De
nouveaux suicides en série ont frappé le monde du travail récemment. Ils font
suite à ceux qui étaient survenus en l’espace de juste quelques mois au
Technocentre de Renault à Guyancourt (Yvelines), un centre de recherche du
producteur automobile français (voir http://www.wsws.org/francais/News/2007/mars07/020307_suicides.shtml).
Chez
Peugeot-Citroën (PSA) ce sont quatre suicides qui se sont produits en moins de
quinze jours, en avril et mai dans un même atelier de l’usine
Peugeot-Citroën de Mulhouse (Haut-Rhin) qui compte 10.500 salariés. Les
salariés concernés étaient âgés de 30 à 40 ans et employés en CDI (contrat à
durée indéterminée). Ces suicides font suite à celui d’un salarié de
l’usine PSA de Charleville-Mézières, dans les Ardennes, au mois de
février. Ce salarié avait invoqué ses conditions de travail dans une lettre
d’adieu.
Ces
suicides ne touchent pas seulement l’industrie automobile. Un autre
suicide à être rapporté dans la presse fut celui d’une employée de la
centrale nucléaire EDF (Electricité de France) de Chinon (Indre-et-Loire)
survenu le 27 février dernier. Il devint un sujet d’actualité parce que
le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Tours délibérait en mai dans
le litige opposant la famille d’un des collègues de cette employée, un
technicien supérieur de 49 ans de la même centrale, qui s’était donné la
mort en août 2004, faisant ainsi passer le nombre de suicides à six en trois ans.
Aucune
statistique officielle n’existe sur le nombre de suicides liés au travail
étant donné qu’ils ne sont que très rarement classés en accidents du
travail, même lorsqu’ils surviennent sur le lieu du travail, et donc à
plus forte raison quand ils ont lieu en dehors du lieu du travail.
Christian Larose, président de la section
travail du Conseil économique et social, dirigeant
syndical CGT et co-auteur d’un livre intitulé « Violences au
travail » a, dans une étude réalisée à titre
privé, estimé qu’entre 300 et 400 personnes par an (une personne par
jour) se donnait la mort pour des raisons liées aux mauvaises conditions de
travail, un chiffre qui serait selon lui en nette progression.
Les difficultés que rencontrent les familles des victimes
de suicides à faire valoir leurs droits ressemblent à un vrai parcours du
combattant comme le montre le cas du suicide survenu le 20 octobre 2006 au
Technocentre de Renault, que la Caisse primaire d’assurance maladie des
Hauts-de-Seine venait de reconnaître début mai comme accident du travail. La
direction de Renault a fait savoir le 27 juin qu’elle avait déposé un
recours contre le classement de ce suicide comme accident du travail.
Non seulement les familles touchées par ces drames
ont-elles à déplorer la mort d’un proche qui est souvent le seul
gagne-pain, mais elles doivent encore livrer bataille devant les tribunaux pour
faire reconnaître les causes réelles du décès en prouvant la responsabilité de
l’employeur et la détérioration des conditions de travail. Une tâche
gigantesque consistant à engager des procédures judiciaires contre des
multinationales aux ressources financières quasi illimitées. Dans ces
conditions, il est facile d’imaginer qu’il existe un fort écart
entre le nombre de cas reconnus officiellement comme suicides dus au travail et
leur nombre réel. Le refus des entreprises à reconnaître la part des conditions
de travail dans ces suicides en les imputant à des difficultés personnelles,
fait que seule une infime partie de cet iceberg est visible.
Selon des articles de presse, le groupe PSA a développé ces
dernières années la pratique d’envoyer des lettres
« culpabilisantes » aux salariés en congé maladie. D’après le
journal Le Monde, la CGT aurait rassemblé une centaine de ces lettres
depuis un an. « Il s’agit de lettres-types » précise Vincent
Duse, délégué CGT, « elles ont été envoyées à des salariés malades du site
de Mulhouse qui avaient fourni un certificat médical. »
Selon Le Monde, qui s’est procuré une de ces
lettres, le chef du personnel y attirerait « l’attention sur
l’importance et la fréquence de l’absence » du salarié en
soulignant que l’« absentéisme personnel est incompatible avec
l’organisation industrielle et perturbe de façon inacceptable le
fonctionnement de [l’]unité de production ». Pour conclure, il est
demandé au salarié malade « de modifier [son] comportement de façon
notable et durable ».
Dans les usines automobiles où des employés en intérim
travaillent côte à côte avec des employés en CDI (contrat à durée
indéterminée), il n’est pas rare que ces derniers soient obligés
d’aligner leur rythme de travail sur celui des employés en situation plus
précaire et qui, dans l’espoir d’une embauche, donnent le meilleur
d’eux-mêmes, en l’occurrence leur santé et même leur vie.
Le groupe PSA avait aussi annoncé, avant la période où ces
suicides eurent lieu, des réductions massives d’effectifs. Il était connu
depuis le mois de février que le groupe visait la suppression de 4.800 emplois.
Un comité central d’entreprise extraordinaire de Peugeot-Citroën qui eut
lieu le 9 mai sous la direction de Christian Streiff, l’ancien président
d’Airbus, avait confirmé la suppression de ces postes en 2007 en France,
sur la base de départs volontaires.
Dans
le même temps, contrairement à Renault qui avait annoncé un recul de ses
ventes, les ventes de PSA augmentaient. Le groupe avait fait connaître une
hausse de 6,5 pour cent des ventes et une augmentation de 5,6 pour cent de son
chiffre d’affaires par rapport à celui des trois premiers mois de 2006,
ainsi qu’une augmentation de 1,6 pour cent de ses ventes en Europe de
l'Ouest.
Les suppressions d’emplois devaient se faire sans
recourir officiellement aux licenciements. Jean-Luc Vergne, directeur des
ressources humaines, avait déclaré : « nous avons choisi de ne pas
recourir à des plans sociaux avec licenciements. Le dispositif … conduit
à ne pas remplacer les partants ». Le dispositif en question est appliqué
à compter du 1er juin 2007 et s’étalera sur une durée de 6 mois. Il est
issu de l’accord sur la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des
Compétences (GPEC) signé le 6 avril 2007 par cinq des six organisations
syndicales du groupe PSA (CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO et GSEA), à l’exception
de la CGT.
Cette « gestion des compétences » est régie par
une législation datant de 2005. En effet, la loi du 18 janvier 2005 de
« Programmation pour la cohésion sociale », dite loi Borloo, impose
dorénavant aux PME et aux groupes au-delà de 300 salariés à engager tous les
trois ans des négociations entre les « partenaires sociaux
», à savoir les syndicats et les organisations patronales, sur l’emploi et la mise en place d’un
dispositif GPEC. Le GPEC a pour objet d’identifier à l’avance les
réductions possibles d’effectifs et d’adapter en permanence le
nombre des salariés aux besoins de l’entreprise.
Ces pratiques ont pour effet d’augmenter la pression
sur les salariés en intensifiant le travail. Des conditions sont créées où la
pression au travail devient intolérable pour ceux qui sont censés garder leur
emploi. Le soutien de ces mesures par les syndicats laisse les salariés à la
merci du patronat et sans perspective pour se défendre. Les syndicats de PSA
n’ont mis en avant aucun projet pour défendre les 4.800 emplois supprimés
chez Peugeot.
Ce n’est pas par
manque de combativité des ouvriers de PSA. Le 10 avril, à quelques jours du
premier tour de la présidentielle, s’est achevée une grève qui était
partie le 28 février de quelque 500 des 3.400 ouvriers de l’usine PSA
Peugeot-Citroën d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) après
l’annonce des gains obtenus par les ouvriers de Magnetto (entreprise
d’emboutissage sous-traitante vendue par PSA il y a trois ans), après
leur grève.
Les revendications des
grévistes de PSA portaient sur une augmentation de salaire de 300 euros pour
tous, un salaire minimum d’embauche de 1.525 euros nets, le départ en
préretraite des plus de 55 ans et l’embauche des intérimaires. Le
protocole de fin de conflit qui fut signé est loin de satisfaire les
revendications formulées initialement, n’accordant aucune augmentation de
salaire aux ouvriers en grève.
Un cas qui illustre de façon exemplaire le rôle joué par
les syndicats, qui refusent systématiquement d’organiser des luttes contre les suppressions d’emploi
en général et permettent aux patrons de monter un site contre l’autre, a
été celui d’Airbus. Là, le plan de restructuration « Power 8 »
prévoit la suppression de l0.000 emplois en Europe, la fermeture ou la vente de
cinq usines et la délocalisation des productions vers des pays à bas salaires.
Alors que les salariés d’Airbus étaient déterminés à
s’opposer au plan de licenciement et avaient fait grève, les syndicats
ont tout fait pour empêcher qu’une lutte sérieuse ne se développe. Ils
ont étouffé les derniers mouvements de grèves en cours contre le plan de
restructuration Power 8 des ouvriers d’Airbus des sites de Nantes et de
St Nazaire en échange d’une promesse de la direction de reprendre les
négociations à une date ultérieure et quelques jours à peine avant la réunion
des dirigeants des cinq plus importantes fédérations syndicales avec Nicolas
Sarkozy à l’Elysée, avant même que celui-ci n’ait été investi
officiellement président de la République.
L’application de la politique d’« électrochoc » annoncée par le nouveau
premier ministre, François Fillon, pour conduire la France « au maximum de
ses capacités pour qu’elle soit au premier rang de la compétition
internationale » et satisfaire le patronat français doit se faire avec le
soutien des organisations syndicales.
On s’était efforcé, il y a quelques mois,
d’élargir et d’officialiser cette collaboration par une
modification de la loi dite de « modernisation du dialogue social »,
introduite fin janvier par l’ancien premier ministre Dominique de
Villepin. Cet amendement d’une législation existante institue une
concertation de l’Exécutif avec les « partenaires sociaux » sur
l’ouverture de négociations avec ces derniers avant tout projet
gouvernemental de réforme portant sur les relations du travail, l’emploi
et la formation professionnelle.
Sarkozy pourra donc compter officiellement sur le soutien
des dirigeants syndicaux en septembre lorsque figureront à l’ordre du
jour ses « chantiers prioritaires » : l’attaque du droit
de grève dans les services publics, la création d’un « contrat
unique de travail », la « représentativité » des syndicats, la
fusion de l’Unédic et de l’ANPE et la « réforme » de la
sécurité sociale et des retraites, entre autres.
La
dure réalité des conséquences qui découlent de cette complicité et du rôle
d’accompagnateur que jouent les syndicats dans les plans de licenciement
et l’aggravation des conditions de travail est mise en évidence dans le
fait que la France arrive, selon un rapport de l’Organisation mondiale de
la santé, au troisième rang mondial, derrière l’Ukraine et les
Etats-Unis, où les dépressions liées au travail sont les plus nombreuses.