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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Correspondance sur l’intégration scolaire et l’ « action affirmative »

Par Barry Grey
20 juillet 2007

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Nous publions ici la lettre d’un lecteur réagissant à l’article “US Supreme Court rules school districts cannot consider race in integration plans”, publiée le 29 juin sur le World Socialist Web Site, ainsi que la réponse d’un membre du comité de rédaction du WSWS, Barry Grey.  

Vous allez peut-être penser que je suis fou, mais votre soutien pour l’intégration scolaire obligatoire ne contredit-il l’opposition du PES à l’ « action affirmative » ? Les deux programmes sont supposément conçus pour développer l’égalité entre les races. Mais le PES est opposé à l’ « action affirmative » car cela divise les travailleurs sur une base raciale. En insistant sur la race, l’intégration obligatoire ne fait-elle pas la même chose ? Comment ces deux positions s’accordent-elles l’une avec l’autre ?

BJ

* * *

Cher BJ,

Votre lettre soulève d’importantes questions historiques et politiques. Je n’affirmerais pas que vous êtes fou, mais je dirais que vous n’avez pas assez considéré les questions en jeu.

Il n’y a pas contradiction entre l’appui du World Socialist Web Site pour les efforts des conseils scolaires et d’autres autorités visant l’intégration dans les écoles publiques et notre opposition aux traitements de faveur raciaux implémentés au nom de l’ « action affirmative ».

Les demandes pour l’égalité raciale et la déségrégation de l’éducation publique ont des origines et un contenu politique bien différents de la défense subséquente des soi-disant programmes d’ « action affirmative » par le gouvernement américain et leur adoption par les organisations des droits civils en tant que pierre angulaire de leur programme politique.

Le mouvement visant à mettre un terme à la ségrégation légalement autorisée des écoles publiques, qui s’accéléra au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, était profondément et véritablement démocratique. Il était dirigé contre le système d’apartheid racial dans le sud des Etats-Unis qui avait maintenu les populations noires dans un état d’extrême oppression économique, sociale et politique pendant plus d’un demi-siècle. Le système Jim Crow, autorisé par la doctrine réactionnaire « séparés mais égaux », et proclamé par la Cour suprême comme loi du pays dans son infâme décision de 1896 dans l’affaire Plessy contre Ferguson, était non seulement une attaque sur les droits démocratiques des noirs, mais aussi un rempart de réaction sociale et politique affligeant toute la société.

Le soutien légal de la discrimination raciale par le gouvernement américain constituait un obstacle majeur à l’unification des travailleurs dans la lutte pour la démocratie industrielle et des conditions de vie décentes. Toutes les idées véritablement progressistes et démocratiques, exprimées avec le plus de force et de cohérence par le mouvement socialiste, s’opposaient fermement à la ségrégation et appuyaient des mesures pour renverser les barrières raciales, ethniques et religieuses. Ces militants et socialistes à l’avant-garde du soulèvement de la classe ouvrière des années 1930, qui donna naissance aux syndicats industriels de masse, firent de l’opposition à la discrimination raciale et de la recherche de l’égalité un pan crucial de leur lutte.

En 1954, la décision de la Cour suprême dans l’affaire Brown v. the Board of Education rejeta Plessy v. Ferguson et déclara la doctrine « séparés mais égaux » intrinsèquement inéquitable. En ordonnant la fin de la ségrégation légalement autorisée des écoles publiques, elle porta un coup à la réaction politique et marqua une véritable avancée démocratique.

Nous, en tant que socialistes, n’étions pas alors, et ne sommes pas maintenant, indifférents aux graves limitations de la perspective réformiste qui sous-tendait le jugement de 1954. La notion que l’inégalité raciale pouvait être vaincue dans le cadre d’un système basé sur l’exploitation et l’inégalité, sociales et de classe, était fondamentalement intenable, et la fragilité des gains démocratiques réalisés est devenue de plus en plus évidente.

Néanmoins, l’affaire Brown v. the Board of Education aida à inspirer un mouvement de masse, des noirs et des autres, pour l’obtention des droits démocratiques et civils fondamentaux, ce qui mena une décennie plus tard à l’adoption d’une importante loi pour les droits civils, y compris la Loi des droits civils et la Loi sur le droit de vote des années 1960.

Cependant, ces gains légaux se heurtèrent rapidement aux réalités sociales du capitalisme. La guerre impérialiste au Viêt-Nam et la réalité insurmontable de la pauvreté et des inégalités sociales, reflétée le plus brutalement dans les ghettos urbains et une bonne partie des campagnes américaines, soulevèrent des questions qui ne pouvaient être sérieusement abordées, et encore moins réglées, sur la base de la perspective réformiste des dirigeants du mouvement des droits civils.

Au même moment, l’indifférence, ou même carrément l’hostilité, de l’AFL-CIO et de la majorité du mouvement ouvrier officiel face au mouvement des droits civils érigea une barrière devant l’unification des travailleurs blancs et noirs et concéda la direction de la lutte pour l’égalité raciale aux organisations réformistes des droits civils. Ce fut la conséquence des politiques anti-socialistes des syndicats qui s’exprimèrent dans leur opposition inébranlable à une rupture politique de la classe ouvrière avec le système bipartite, comme en témoigne leur alliance avec le Parti démocrate.

La crise sous-jacente du capitalisme américain et l’insuffisance du programme des organisations des droits civils s’exprimèrent de la façon la plus explosive lors des émeutes urbaines des années 1960. Bien qu’ayant majoritairement un contenu racial, ces soulèvements étaient essentiellement ceux de la classe ouvrière contre des conditions de pauvreté, de chômage et de répression. Ils firent jonction avec un mouvement grandissant contre la guerre du Viêt-Nam et de luttes militantes salariales par les travailleurs syndiqués.

La réaction de l’élite dirigeante américaine — après avoir réprimé ces soulèvements sociaux par la police et l’armée — fut de développer une mince couche privilégiée au sein des populations noires et d’autres minorités pour que celle-ci participe à l’administration de l’Etat et des gouvernements locaux et maîtrise les masses ouvrières. En peu de temps, des politiciens noirs, en très grande majorité des démocrates, furent choisis pour diriger d’importantes villes industrielles comme Détroit et Newark au New Jersey.

L’ « action affirmative » devint le mot d’ordre de cette politique. Cela représentait en tous points une retraite des idéaux démocratiques et universalistes qui animaient le mouvement des droits civils des années 1950 et 1960. Alors que ces luttes, menées au nom des principes de liberté et d’égalité, tentaient d’améliorer les conditions sociales et culturelles de toute la population, blanche ou noire, l’ « action affirmative » était motivée par quelque chose de bien différent : la distribution de privilèges parmi une petite section de la population noire.

Cela faisait appel aux éléments les plus opportunistes, créant ultimement des individus tels que Condoleezza Rice et Clarence Thomas.

Ceux qui défendirent cette politique en arrivèrent inévitablement à employer des arguments fondamentalement anti-démocratiques et à poser des demandes qui avaient été associées par le passé à l’exclusion et à la discrimination. Des défenseurs de l’ « action affirmative » exigèrent l’établissement de quotas pour les noirs : pour l’embauche, les promotions, les admissions à l’université, etc. Le terme quota avait été, et pour cause, associé à l’exclusion des noirs, des juifs, des Italiens et d’autres minorités de l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la vie sociale. Un quota était quelque chose qui devait être détruit, pas érigé.

L’attrait fondamental du mouvement des droits civils, la justice indéniable de sa cause, ne pouvaient être niés. Ils eurent un puissant écho parmi les travailleurs, peu importe la race, y compris au Sud. Les demandes entourant l’ « action affirmative » ne pouvaient jamais s’attirer un tel appui. Il était impossible de convaincre des jeunes blancs de la classe ouvrière qu’ils devaient accepter de subir une discrimination pour le présumé bénéfice de noirs et d’autres minorités.

Un aspect de la grande radicalisation politique qui se produisit dans les années 1960 fut la demande pour des « universités ouvertes », soit la fin d’un système d’éducation universitaire socialement stratifié et hiérarchisé et son remplacement par un système ouvert à tous les jeunes désirant obtenir une éducation universitaire. Les politiques d’ « action affirmative » entrèrent en conflit avec celui-ci et s’opposèrent à cette demande largement démocratique.

Pour l’élite dirigeante américaine, l’ « action affirmative » avait non seulement l’avantage de créer une couche de noirs conservateurs pour défendre le statu quo capitaliste, mais également d’exacerber les divisions au sein de la classe ouvrière. Richard Nixon embrassa pleinement l’ « action affirmative » et l’associa à la promotion du « capitalisme noir ».

La dégénérescence du milieu intellectuel de gauche – noir et blanc – et le virage à droite du parti démocrate a trouvé son expression dans l’adaptation à cette perspective essentiellement élitiste.  De plus en plus, la politique sociale des États-Unis répudie les concepts démocratiques et commence à ressembler aux machinations de l’ancien Empire austro-hongrois dans ses efforts pour monter différents groupes raciaux et ethniques les uns contre les autres. 

Cela correspond au déclin du capitalisme américain dans l’économie mondiale et à l’effondrement de toute politique de réforme sociale.

De manière croissante, la direction officielle du mouvement des droits civils, elle-même majoritairement de la classe moyenne dans ses origines et style de vie, se tourna vers l’ « action affirmative » en tant que substitut à la lutte pour une véritable égalité sociale. La demande pour l’intégration était supplantée par la politique de nationalisme noir et du séparatisme.

En terme social, le tournant vers la droite par les dirigeants du mouvement des droits civils, tel que Jesse Jackson, vers l’ « action affirmative » était la réponse d’une couche plus privilégiée de noirs de la classe moyenne en réaction à l’intensification explosive des conflits de classe qui ont fait éruption avec les émeutes urbaines. En pratique, ils rejetèrent toute lutte visant la transformation de la société américaine de manière égalitaire et adoptèrent plutôt une perspective visant à obtenir une plus grande « part du gâteau » pour une petite section de la population noire.

L’importance accordée par les factions dominantes de l’élite dirigeante américaine à l’ « action affirmative » en tant qu’outil de maintien de la stabilité du capitalisme américain était soulignée dans la décision rendue par la Cour suprême en 2003, conservant les critères de sélection raciaux de la faculté de droit de l’Université du Michigan. Un nombre d’officiers militaires à la retraite et de dirigeants d’entreprises produisirent des mémoires en tant qu’amis de la cour appuyant le programme de l’Université, arguant que l’ « action affirmative » était essentielle à la sécurité nationale et au maintien de la compétitivité globale des compagnies américaines.  

L’un des libéraux de la cour qui appuya la décision de la majorité, le juge Stephen Breyer, défendit l’ « action affirmative » en tant que politique nécessaire pour donner de la légitimité aux « élites » américaines en leur donnant une aura de diversité. Durant l’argumentation orale, il déclara : « Nous pensons du point de vue des affaires, des forces armées, de la loi, etc., que c’est un besoin extraordinaire d’avoir de la diversité parmi l’élite à travers le pays, que sans cela, le pays sera dans un état bien pire. »

Après quatre décennies d’ « action affirmative » comme politique officielle aux États-Unis, le bilan de ses résultats est très clair. Les inégalités sociales ont augmenté à des niveaux sans précédents. Des villes entières, qu’elles soient sous la direction d’un maire blanc ou noir, ont été dévastées par les fermetures d’usines, les mises à pied massives et les coupures dans les programmes sociaux.

Les écoles publiques, spécialement dans les centres urbains, ont été affamées par le sous-financement alors que l’élite dirigeante a encouragé la croissance des écoles privées. Il en résulte que l’éducation publique a été réduite en pièces presque partout au pays.

Au même moment, la ségrégation de facto des écoles est allée en augmentant. Le Centre national des statistiques en éducation rapportait il y a six ans que l’étudiant blanc moyen fréquente une école composée à 80 pourcent de blancs, alors que 70 pourcent des étudiants noirs fréquentent des écoles composées aux deux tires par des étudiants noirs et hispaniques. D’autres chiffres montrent qu’un enfant noir sur six fréquente une école qui est composée de 99 pourcent à 100 pourcent de minorités. 

Alors que les échelons supérieurs de la société, y compris une mince couche de noirs privilégiés, ont de beaucoup accru leurs richesses personnelles, une grande majorité de travailleurs ont vu la stagnation ou la baisse de leur niveau de vie, et la pauvreté règne plus que jamais parmi les travailleurs noirs.

La montée de l’inégalité sociale a été accompagnée et nourrie par un tournant prononcé à droite de tout l’establishment politique et des deux partis de la grande entreprise, dont la politique est dédiée à l’enrichissement additionnel d’une aristocratie financière. Le jugement la semaine dernière de la Cour suprême répudiant Brown v. the Board of Education démontre que la réaction politique et sociale aux États-Unis prend un caractère de plus en plus étendu.

Fait important, la réponse de l’establishment des droits civils a été remarquablement timide. Theodore M. Shaw, le président du Fonds pour la formation et l’aide juridique du mouvement des droits civiques (NAACP) – organisme qui avait mené le recours juridique contre la ségrégation dans Brown v. the Board of Education – a déclaré :  « A bien y penser, compte tenu de nos attentes, ce n’est pas aussi mauvais que ça aurait pu être… »

Juan Williams, correspondant senior à la National Public Radio et analyste politique chez Fox News Channel, l’un de ceux ayant personnellement profité de la promotion de la diversité raciale dans les médias de l’establishment, a publié une colonne vendredi dans le New York Times sous le titre : « Pas de regret pour Brown v. Board of Education ».

Il y a un lien étroit entre l’ambivalence qu’entretient l’establishment noir vis-à-vis de l’intégration scolaire et l’écart socio-économique grandissant qui existe entre ses membres et la masse des travailleurs – noirs comme blancs – aux États-Unis.

Le mouvement socialiste soutient l’intégration et toute politique visant à surmonter les divisions raciales, ethniques et religieuses et à encourager l’unité la plus étroite possible des travailleurs. Nous préconisons l’égalité légale, politique et sociale la plus complète ainsi que la défense et l’extension des droits démocratiques.

Mais ces objectifs démocratiques ne peuvent être atteints dans le cadre d’un système en pleine crise qui prive des dizaines de millions des prérequis essentiels de la vie : des emplois garantis et bien payés, une éducation de qualité, l’accès aux soins de santé et au logement. En opposition à l’ « action affirmative », qui encourage une lutte entre travailleurs pour des emplois décents et avantages sociaux qui vont en diminuant, nous luttons pour unifier les travailleurs sur la base d’un programme socialiste qui mette les forces productives sous le contrôle démocratique et la propriété collective de la société en son ensemble, au lieu d’une oligarchie financière.

Barry Grey, pour le comité de rédaction du WSWS


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