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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Washington et l’UE saluent la victoire de l’AKP aux élections turques

Par Stefan Steinberg
30 juillet 2007

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Les cercles économiques, financiers et politiques des Etats-Unis, de l’Union Européenne (EU) et même de la Turquie ont salué la victoire du parti conservateur AKP (Parti de la Justice et du Développement) de Recep Tayyip Erdogan aux élections législatives de dimanche dernier.

L’ambassade des Etats-Unis a été la première à féliciter Erdogan pour sa victoire. Dans un communiqué officiel elle a déclaré que le gouvernement américain se réjouissait à l’idée de collaborer avec le nouveau gouvernement turc « sur des questions qui préoccupent les deux pays. »

Cette approbation de l’AKP a été reprise par le Wall Street Journal qui a écrit que ces résultats « ouvraient la voie à une politique plus fortement orientée vers l’occident et plus bénéfique au patronat… » En remarquant que « la cote des Etats-Unis et de l’Union européenne avaient baissé dans l’opinion publique turque », le journal a poursuivi en disant que « l’AKP s’était en grande partie montré bienveillant envers Washington et avait promis de continuer à soutenir la demande d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ».

Le président de la Commission européenne, José Manuel Baroso, a félicité le premier ministre turc, Erdogan « pour sa victoire impressionnante » et ses propos positifs furent soulignés par les commentaires d’Olli Rehn, le commissaire européen chargé de l’élargissement de l’UE.

Un commentaire publié par le journal Independent a résumé l’enthousiasme qu’a soulevé la victoire de l’AKP parmi les principaux investisseurs et marchés financiers internationaux : « Aux yeux des investisseurs internationaux, la perspective éventuelle d’un gouvernement de parti unique AKP nécessitant moins des deux tiers des sièges requis pour un changement de la constitution est tout à fait idéale. »

Suite à une hausse sensible enregistrée à la bourse turque après l’annonce des résultats électoraux, certains hommes d’affaires influents turcs ont exprimé leur soutien à l’AKP. Le commentaire émis par Tugrul Kutadgobilik, président de la fédération du patronat turc (MESS), symbolisait la réponse favorable des milieux d’affaires à la victoire de l’AKP. « La Turquie exige de l’espoir, de la prospérité économique, de la stabilité et de l’emploi… La victoire d’un gouvernement qui a la majorité absolue et l’augmentation de 14 pour cent des voix de l’AKP montrent clairement à quel point la stabilité est recherchée », a déclaré Kutadgobilik.

Lors des élections législatives de dimanche, le parti AKP au pouvoir fut en mesure d’améliorer considérablement son score. L’AKP a remporté 46,6 pour cent des voix (34 pour cent en 2002), disposant à présent d’un total de 340 députés au nouveau gouvernement. Le parlement turc compte au total 550 membres.

Le taux de participation de 80 pour cent a également été plus élevé que lors des élections de 2002 où il avait été de l’ordre de 74 pour cent.

Les résultats de dimanche représentent une défaite amère pour le principal parti d’opposition aux traditions politiques les plus anciennes, le CHP (Parti républicain du Peuple). Lors des élections législatives de 2002, le CHP avait recueilli 19 pour cent des voix (177 députés). Cette fois-ci, en dépit de sa collaboration avec le DSP (Parti de la Gauche démocratique), le CHP fut seulement en mesure d’améliorer faiblement son score (21 pour cent). En raison de l’élection d’un grand nombre de députés indépendants, le nombre des sièges du CHP dans le nouveau parlement s’est réduit considérablement (111).

Le parti ultranationaliste MHP (Parti de l’Action nationale) mené par Devlet Bahçeli, a pu gagner le soutien des partisans déçus du CHP et accroître ainsi son score de 8,35 pour cent en 2002 à 14,3 pour cent en obtenant 71 sièges. Toutefois, ceci est encore bien loin des 20 pour cent que le parti escomptait gagner en exploitant un chauvinisme turc flagrant. Le MHP avait élaboré une plate-forme électorale qui liait une hostilité extrêmement brutale à l’encontre de la minorité kurde en Turquie à un soutien pour une invasion du nord de l’Irak par l’armée turque et des promesses sociales démagogiques.

Un élément majeur de l’accroissement des voix du MHP a été la campagne menée par certains gouvernements européens contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Parallèlement aux campagnes anti-islamistes menées par des forces de droite au sein de leur propre pays, les dirigeants de l’Allemagne et de la France, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, se sont à plusieurs reprises prononcés contre l’adhésion de la Turquie à l’UE. Les gains de voix obtenus par le MHP montrent clairement que le parti a été en mesure de canaliser une partie de l’opposition croissante à l’entrée dans l’UE au sein de la Turquie vers un soutien pour une perspective réactionnaire ultranationaliste.

En plus des trois principaux partis, 27 candidats indépendants siègeront dans le nouveau parlement. Vingt-quatre des 27 sièges seront occupés par des représentants du DTP pro kurde (Parti pour une société démocratique). Les candidats du DTP s’étaient présentés en indépendants pour contourner les obstacles de la loi électorale, notamment le seuil de pourcentage requis pour occuper un siège au parlement. Conformément à la loi électorale turque, les partis doivent recueillir au moins 10 pour cent des voix pour entrer au parlement.

La défaite du CHP

Les résultats de dimanche représentent une débâcle politique pour le CHP qui vient d’enregistrer, sous la direction de Deniz Baykal, sa cinquième déroute électorale consécutive. Pour remuer le fer dans la plaie, Erdogan avait réussi à recruter quelques membres de premier plan du CHP pour figurer sur la liste des candidats de l’AKP.

Le CHP a même subi des pertes au profit de l’AKP dans son bastion politique traditionnel de la cité d’Izmir où le nombre de députés CHP a chuté de 16 en 2002 à tout juste onze. L’AKP par contre a presque doublé ses voix en atteignant 30,53 pour cent et en augmentant légèrement le nombre de députés dans cette ville. Même la chambre de commerce locale ne s’était pas ralliée au CHP. « Les électeurs ont accordé une chance supplémentaire à l’AKP », a dit le président de la Chambre de Commerce d’Izmir, Ekrem Demirtas. « Les gens ont voté en faveur de la stabilité et de la réconciliation », a-t-il ajouté.

Des adversaires du CHP en liesse ont appelé le dirigeant du parti à tenir l’une des promesses qu’il avait faite durant la campagne électorale. Deniz Baykal avait déclaré : « Si nous perdons cette élection législative, je nagerai jusqu’à l’île grecque de Rhodes. »

La défaite du CHP représente, pour ce parti traditionnel de l’establishment kémaliste turc qui entretient des liens étroits avec l’armée turque, une gifle retentissante de l’électorat turc contre les tentatives de l’armée de s’immiscer au début de l’année dans la politique turque afin de déstabiliser le gouvernement en place. En avril, le haut commandement de l’armée turque avait émis une menace à peine voilée d’un putsch militaire au cas où le gouvernement persisterait dans l’idée de désigner un membre influent de l’AKP, Abdullah Gül, le ministre turc des Affaires étrangères comme candidat à la présidence turque.

Dans le même temps, l’armée commença à opérer un déploiement massif de troupes le long de la frontière turque avec l’Irak tout en menaçant de faire des incursions dans le nord de l’Irak pour entreprendre des actions militaires contre les rebelles kurdes qui y sont basés. Conjointement à la campagne militaire, le CHP et le MHP ont organisé une série de rassemblements de masse dans diverses villes turques afin d’accroître la pression sur le gouvernement AKP. La décision d’Erdogan de convoquer des élections anticipées était une réponse directe aux tentatives entreprises par l’armée et le CHP pour déstabiliser son gouvernement.

Pour ce qui est de l’armée turque, elle renforça ses provocations. En milieu de semaine dernière, à peine quelques jours avant les élections, l’armée a pilonné des positions dans le nord de l’Irak, une action qui fut rapidement condamnée par le gouvernement irakien.

Le fait que le CHP ne soit pas en mesure de tirer profit des provocations de l’armée reflète l’étendue de l’opposition populaire à la fois aux machinations du haut commandement de l’armée turque et de l’establishment kémaliste corrompu qui contrôle encore un nombre important d’institutions de l’Etat tout en bénéficiant du soutien de la bureaucratie syndicale turque.

L’AKP, un gouvernement des banquiers et de la grande entreprise

Alors que l’AKP fut en mesure de profiter du désenchantement de la population à l’égard des partis kémalistes et des institutions, le parti dirigé par Erdogan ne représente nullement une alternative pour la classe ouvrière turque. C’est un parti bourgeois engagé dans la politique capitaliste d’économie libérale et étroitement lié à Washington.

L’AKP fut fondé en août 2001 à la suite de la réunion d’un groupement de membres conservateurs issus de l’ancien Parti de la Prospérité avec des représentants de la nouvelle bourgeoisie anatolienne et de la classe moyenne supérieure.

Dans des conditions de crise financière et d’inflation coutumière, l’AKP fut capable, un an après sa fondation, de remporter une majorité parlementaire dans une élection législative. Après avoir mené en 2002 une campagne contre les attaques des banques et des grands groupes, l’AKP s’est révélé être dans la pratique un défenseur loyal du système de profit.

Depuis sa prise de pouvoir, l’AKP a souvent été loué pour son « réalisme » pro business. Un élément clé de sa politique fut à cet égard l’introduction de la « loi sur les investissements étrangers directs » (FDI) qui a fait de la Turquie une source de main d’œuvre bon marché considérablement plus attrayante pour le patronat international. En 2001, les investissements étrangers totalisaient tout juste 1,1 milliard de dollars US. En 2006, ils s’élevaient à 20 milliards de dollars et l’on s’attend à ce qu’ils totalisent 27 milliards cette année.

Dans un discours prononcé début avril lors d’une conférence organisée par Tuskon, la plus importante confédération des hommes d’affaires et des industriels turcs, le ministre d’Etat à l’Economie de la Turquie, Ali Babacan, a déclaré : « Le message de FDI est que nous avons confiance dans l’avenir de ce pays ». Depuis qu’AKP est arrivé au pouvoir, les cours de la bourse turque ont quintuplé.

Encouragées par le programme de privatisation agressif de l’AKP, les plus importantes banques, telles Citigroup, BNP Parisbas, SA, Fortis, Ratobank et autres ont acquis d’importantes parts de banques turques. A présent, des entreprises de télécommunications majeures cherchent à profiter des projets d’adhésion de la Turquie à l’UE et l’intérêt pour le secteur immobilier turc croît également. L’on constate aussi l’engouement des entreprises asiatiques à récolter les juteux bénéfices réalisés en Turquie.

Alors que la Turquie connaît une croissance économique depuis plusieurs années, la répartition du revenu est très inégale. Les paysans pauvres sont maintes fois descendus dans la rue pour protester contre les conséquences de la politique pratiquée par l’AKP au cours de son premier mandat.

Alors que les sections de la classe moyenne turque et la bourgeoisie anatolienne en particulier ont connu une hausse considérable de leurs revenus et de leurs profits, le chômage, notamment dans les régions rurales, est resté élevé et de vastes couches de paysans pauvres n’ont pas assisté à une amélioration réelle de leur niveau de vie. Immédiatement après le vote, Erdogan a fait comprendre clairement que la politique de l’AKP d’ouvrir la Turquie au capital financier international se poursuivrait. Ceci ne fera qu’aggraver davantage encore les tensions dans la société turque.

La direction de l’AKP a sans cesse cherché à s’adapter au CHP et à l’armée. Au plus fort du conflit avec l’armée et ses alliés du CHP, Erdogan a accusé l’establishment kémaliste d’avoir tiré « une balle contre la démocratie. » Néanmoins, au cours de la campagne électorale, Erdogan avait adopté un ton beaucoup plus conciliatoire.

Suite au bombardement de mercredi dernier du nord de l’Irak, Erdogan a proposé un sommet trilatéral entre des responsables militaires et civils turcs, américains et irakiens afin d’évoquer une stratégie contre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) déclaré hors-la-loi. Des éléments kurdes pro américains en Irak placent leurs espoirs dans un accord avec le premier ministre turc pour isoler les rebelles kurdes dans le nord de l’Irak et pour prévenir une invasion de grande envergure de l’armée turque.

L’on s’attend à ce que le conflit entre l’AKP et l’establishment kémaliste et l’armée ressurgisse à nouveau au moment de la nouvelle élection du président turc qui sera choisi par le parlement. Erdogan a promis d’organiser un nouveau vote dans les quatre semaines qui suivent l’élection de dimanche.

L’armée turque qui a déjà menacé le gouvernement d’un putsch n’assistera pas sans réagir au cas où l’AKP tenterait de trouver une solution à la question de la présidence en recourant aux députés kurdes.

Alors que de nombreux commentateurs occidentaux ont salué la victoire de l’AKP comme étant le signe d’une future stabilité politique en Turquie, ceci n’est qu’une appréciation vraiment superficielle. A cause surtout de sa situation géo stratégique, la Turquie représente, dans une région qui a été bouleversée par la guerre d’Irak déclenchée par les Etats-Unis, un lien vital entre l’Asie et l’Europe.

Le potentiel de conflit sur des questions relatives à la politique étrangère, telle que l’orientation future de la Turquie, est renforcé par l’ampleur des inégalités sociales qui sont à l’œuvre dans le pays, une polarisation sociale qui a été exacerbée par la politique de l’AKP. Dans des conditions où il manque à la classe ouvrière turque toute représentation politique indépendante, il a été possible à l’AKP droitier et pro-patronal de tirer profit des élections, mais de nouveaux conflits entre le gouvernement et les masses turques sont inévitables.

(Article original anglais paru le 25 juillet 2007)


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