La campagne électorale menée par la candidate de
Lutte ouvrière (LO), Arlette Laguiller, est dominée par trois thèmes
principaux : le chômage, le problème du logement populaire et la
dégradation du pouvoir d’achat. Le parti n’a rien à dire sur les
questions internationales et les trois piliers de sa perspective politique sont,
de plus, abordés sous un angle purement national.
Laguiller s’est limitée à une sorte de
programme réformiste minimum : l’augmentation du salaire minimum de
croissance (smic), l’accroissement de la construction de logements
sociaux et l’augmentation de la sécurité de l’emploi. Ces mesures seront
financées par une augmentation des impôts sur les bénéfices des grandes
entreprises.
« Ce que j’expose donc ici,
c’est ce que devraient être les premières mesures d’une présidence
et d’un gouvernement vraiment socialistes », peut-on lire dans son
manifeste électoral. Le terme « socialiste » s’applique dans ce
contexte au Parti socialiste dirigé par Ségolène Royal.
Laguiller ne se considère pas elle-même comme responsable
de l’application de ces revendications, elle tient plutôt à jouer le rôle
de bonne conscience du Parti socialiste. Sur ses affiches électorales, elle
souligne son opposition à Sarkozy, accuse Royal d’être faible puis
appelle son électorat à voter pour cette dernière « pour chasser la droite
mais vous faire obéir de la gauche ».
« Oh, je sais qu’une grande partie de
l’électorat populaire attend de cette présidentielle que Sarkozy soit
écarté », s’exclamait-elle lors de son dernier grand meeting électoral
à Paris. « Mais, au premier tour, il faut avertir Ségolène Royal que, si
elle est élue, elle n’aura pas un chèque en blanc et que les
travailleurs, les classes populaires, ne la laisseront pas mener la politique
de la droite sans réagir. » Autrement dit, un vote pour Laguiller est
censé faire pression sur Royal pour qu’elle vire à gauche.
Cet appel lancé au PS est fait dans le contexte
d’une absence totale de confiance dans son propre programme. Dans ses
articles, Laguiller fait remarquer qu’elle ne se fait aucune illusion de devenir
présidente. Même son spot électoral télévisé débute avec une telle affirmation.
On a presque l’impression que Laguiller craint qu’il vienne à
l’esprit de certains électeurs l’idée saugrenue de voter pour elle.
Le journal Libération cite Robert Barcia,
alias Hardy, dirigeant octogénaire de l’organisation, qui a déclaré en
marge d’une réunion à Paris qu’il espérait voir Laguiller remporter
deux pour cent des voix. Tout le reste serait accidentel : « Arlette
n’a jamais fait moins de 2 pour cent. Mais, les deux fois où l’on a
fait plus de 5 pour cent, c’était une totale surprise. »
Hardy s’est plaint de ce qu’en 2002,
lorsque Laguiller et Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR), avaient remporté un total de dix pour cent des voix,
« ça n’a(vait) rien pesé sur la droite ». Par contre, il serait
possible de « peser sur la gauche, oui, si toutefois Ségolène Royal est
élue ».
Pour Hardy, ceci serait plutôt improbable. « Elle
(Royal) est sûre d’être au second tour, mais gagner devant Sarkozy
c’est autre chose. La gauche a toujours été minoritaire dans ce pays.
Mitterrand a été élu grâce au marchepied offert par Chirac. » Voilà une
interprétation plutôt étrange de l’histoire française de ces dernières
années si l’on considère que depuis l’élection en 1981 de Mitterrand
au poste de président de la République, le Parti socialiste est resté au
pouvoir durant quatorze ans et a gouverné durant une période de cinq ans après
1997.
Ce sont avant tout les attaques perpétrées par
le président de la République, François Mitterrand et le premier ministre
Lionel Jospin, contre la classe ouvrière qui ont permis à la droite de revenir
au pouvoir. A cet égard, Lutte ouvrière porte une grande part de
responsabilité. Elle n’avait cessé de faire croire qu’il serait
possible de forcer le Parti socialiste à agir dans l’intérêt des
travailleurs en lui conférant ainsi une couverture de gauche. Ce faisant, elle
rejetait toute responsabilité politique ou initiative indépendante.
Et elle poursuit dans la même voie aujourd’hui.
Pour les Hardy, Laguiller et consorts, la responsabilité des succès électoraux de
la droite n’incombe pas à la politique menée par les partis dits de « gauche »,
mais elle incombe plutôt à la classe ouvrière elle-même. Ils rejettent toute
initiative politique qui aille plus loin que faire pression sur le Parti
socialiste et ses alliés. Ils parlent du socialisme comme un croyant plein de
foi parle du paradis, c'est-à-dire comme quelque chose qu’on
n’obtient que dans l’au-delà.
Dans une interview accordée à Canal Plus,
Laguiller fut rappelée au fait que deux semaines avant les élections
présidentielles de 2002, les sondages l’avaient créditée de 11 pour cent
des voix. Incapable de nier cet état de fait malgré des efforts multiples, elle
en resta pantoise. Ce mutisme est l’expression de son programme de base
et de la perspective de LO.
Même si Lutte ouvrière se réfère au trotskysme, elle
n’a jamais été membre de la Quatrième Internationale. Mettant en avant
l’argument selon lequel la composition de l’Internationale trotskyste
était petite-bourgeoise et que la tâche primordiale était d’établir des
liens organisationnels avec la classe ouvrière, LO a limité son travail
politique à la distribution de journaux d’entreprise et aux activités
syndicales. Certes, elle a revendiqué, en paroles, la construction d’un
parti international, mais, en pratique, elle s’est adaptée totalement à
l’environnement national des syndicats.
Ce n’était pas là juste une position organisationnelle,
mais un problème fondamental d’orientation politique. La construction de
la Quatrième Internationale découle de la nécessité de résoudre la crise de la
direction de la classe ouvrière suite à la dégénérescence nationaliste de la
Deuxième et de la Troisième Internationale. Ceci requiert une stratégie et une
organisation internationales que LO rejette avec force. Le fait que cette
organisation se concentre sur le milieu syndical va de pair avec le fait
qu’elle limite son activité aux questions strictement d’ordre
national.
Alors que les conditions prévalant après la
Seconde Guerre mondiale permettaient une renaissance limitée du réformisme, les
développements techniques révolutionnaires et la mondialisation de la
production survenus depuis les années 1980, ont coupé l’herbe sous le
pied de toute politique fondée sur l’Etat-nation.
Le monde s’est effondré pour LO.
Entièrement absorbée par son travail au jour le jour dans les usines, elle ne
s’est pas préparée ni n’a étudié le processus de la mondialisation.
Les défaites des mouvements de grève des années 1980 et 1990 furent des coups
supplémentaires assénés à une organisation déjà bien tourmentée. Le résultat
final en est cette étrange entité politique qui s’offre à nous dans cette
campagne électorale.
Dans les cas exceptionnels où LO traite des
questions mondiales, ses positions sont faibles et inefficaces. Elle condamne
la guerre en Irak comme étant impérialiste, elle critique la ruée sur les
réserves pétrolières tout en exigeant que les Etats-Unis retirent leurs troupes,
mais ne fait absolument aucune analyse de l’impérialisme américain. Aucun
effort n’est entrepris pour comprendre quelles sont les forces motrices
de la guerre et toute stratégie internationale active pour opposer la guerre semble
être hors de portée de la compréhension des dirigeants de LO ; après tout,
cela ne se passe pas en France.
En ce qui concerne le conflit sur le programme
nucléaire iranien, LO proteste contre le fait que des critères différents sont
appliqués aux cinq grandes puissances nucléaires et non à l’Iran, la
France n’étant critiquée que modérément. Aucune analyse du contexte n’est
fournie, aucune référence aux préparatifs de guerre américains, et avant tout,
aucune analyse n’est faite des conséquences de cette crise en matière de politique
mondiale.
Pour Lutte ouvrière, la politique n’est
pas déterminée par les dictats de l’économie mondiale et des lois
objectives, mais plutôt par des individus bons ou mauvais. Une telle position
n’étant quasiment pas défendable, LO cherche refuge dans des domaines
politiques où la lutte pour obtenir des concessions semble encore possible. A
cette fin, Laguiller est particulièrement encline à discuter du niveau du smic,
du manque de logements sociaux et du niveau du chômage.
Toutefois, c’est la politique mondiale qui
détermine la politique de l’Etat national et les développements
économiques mondiaux déterminent le sort de l’économie française. La
question des augmentations de salaire, de l’emploi et des infrastructures
sociales ne peut ni se comprendre ni se résoudre sans l’analyse
d’éléments tels les marchés financiers internationaux, la pression
mondiale pour maximiser les profits, le déclin du capitalisme américain et les
changements internationaux survenus dans la politique mondiale au cours de ces
dernières trente années.
Aujourd’hui, la défense des intérêts les
plus élémentaires pose la nécessité d’une stratégie révolutionnaire
internationale. La perspective réformiste de LO ne sert qu’à créer des
illusions dans l’Etat-nation et représente un obstacle à la construction
d’un mouvement révolutionnaire indépendant.