Mercredi, le débat télévisé de deux heures et demie entre
Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP gaulliste au pouvoir (Union pour un
mouvement populaire) et ancien ministre de l’intérieur, et Ségolène Royal
du Parti socialiste, dans l’opposition, était une joute entre deux
défenseurs impitoyables des intérêts de l’impérialisme français et du
patronat.
Le débat a été suivi par 20 millions de personnes, soit plus
que la finale de la Coupe du monde de football, et cependant les opinions sont
partagées quant à savoir lequel des deux a remporté la rencontre. L’éditorial
de Libération dit, « Nicolas Sarkozy n’a pas perdu. Mais
Ségolène Royal a gagné. »
Le débat était presque exclusivement centré sur la France. Un
commentateur a fait remarquer, « extraordinairement
hexagonal ! » Il n’a été fait aucune mention des guerres en
Irak (pour laquelle la France fournit un soutien logistique crucial), en
Afghanistan (où la France a des soldats et a subi des pertes), au Liban ou dans
d’autres pays africains où la France est impliquée dans des interventions
militaires actives pour y défendre ses intérêts impérialistes.
Il existe un accord tacite au sein de l’establishment
politique, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, de ne pas
faire du rôle de l’impérialisme français ou de l’alternance entre rivalité
et complicité avec le militarisme américain, une question de querelle
politique. C’est surtout le cas en période d’élections
présidentielles, bien que le président soit, de par la constitution, responsable
de la politique étrangère et des affaires militaires.
Une question était au cœur du débat, la question de
l’immigration. Les deux candidats sont ouvertement opposés à toute
régularisation massive des sans-papiers et s’accordent à penser que toute
régularisation doit se faire au cas par cas.
Sarkozy a dit, « La France ne peut pas accueillir toute la
misère du monde. » Royal en a convenu et dit qu’il s’agissait
d’un « problème très difficile et humainement très
douloureux. »
Royal a accusé Sarkozy d’être responsable d’une
affaire largement médiatisée où un grand-père chinois sans papiers avait été
arrêté alors qu’il venait chercher ses deux petits-fils à l’école.
Sarkozy lui a demandé si elle maintenait toujours la position qu’elle
avait alors énoncée, pour ensuite se rétracter, selon laquelle tous les parents
et grands-parents d’enfants sans-papiers scolarisés en France recevraient
automatiquement des permis de séjour. Elle a été contrainte de reconnaître que
sa politique, dans la ligne du programme du PS, consistait à examiner chaque
situation au cas par cas : « Je n’ai jamais demandé la
régularisation globale et générale de générations, » a-t-elle affirmé.
Sarkozy de répliquer, « Comme je l’ai fait, on est
d’accord. »
Ségolène Royal: « Oui, sur le cas par cas, on est
d’accord. »
Sarkozy a clairement démontré l’inhumanité de sa
politique d’immigration dont un aspect rend quasiment impossible le regroupement
familial, une politique que Royal accepte aussi. « Je n’autoriserai
plus quelqu’un à faire venir sa famille s’il ne prouve pas
qu’il a un logement, a-t-il dit, qu’il a un revenu de son travail
et non pas des allocations sociales… je souhaite que les membres de la
famille qui vont venir le rejoindre apprennent le français avant de venir en
France. »
Un peu plus tard dans le débat, Royal a saisi
l’opportunité d’attaquer un geste de Nicolas Sarkozy et de le
critiquer pour avoir transgressé ses propres lois sur l’immigration. Elle
a constaté, « Vous êtes allé récemment dans un foyer de femmes battues et
avez promis à toutes les femmes battues étrangères d'avoir des papiers. »
Elle lui a demandé « Aujourd'hui, ces femmes ont-elles eu ces papiers ?
Cela vaut-il pour toutes les femmes battues sans-papiers en France ? »
Sarkozy, gêné a répondu, « J'étais dans une association remarquable, qui
s'appelle "Coeur de femmes" qui s'occupe de femmes au bout du bout de
la détresse. Il y en avait 12 dans la salle. Je connais très bien la dirigeante
de cette association avec qui je travaille depuis très longtemps. J'ai
confiance dans cette femme. Je sais que, quand elle me soumet des dossiers, ce
sont des dossiers qui ont été réfléchis et ce sont des situations dramatiques.
J'assume. Je tiendrai mes promesses… ce sont des femmes poursuivies,
violées, battues et que la France que j'imagine est une France généreuse et
accueillante. »
Royal a poursuivi son interrogatoire, « Très bien. Donc toutes les femmes
victimes de violences pourront avoir accès à des papiers en France ? »
Quand Sarkozy a répondu qu’il le ferait pour le foyer « Cœur de
femmes », Royal l’a mis sur le banc des accusés, « Vous pensez
que la responsabilité de l'Etat est de choisir de façon arbitraire ? »
Sarkozy a dû reconnaître les dispositions de sa loi sur l’immigration,
« Comme vous l'avez dit : au cas par cas», a-t-il admis. Et Royal de
revenir à la charge, « Il faut des règles. Donc, au cas par cas, toutes
les femmes victimes de violences. »
Aucun des deux candidats n’a mentionné les 500
expulsions de sans-papiers par semaine au départ de la France, dont bon nombre
sont envoyés vers des privations, des arrestations, la torture et la mort, et
qui font partie de l’objectif annuel de 26 000 expulsions annuelles
fixé par Sarkozy. Tous deux étaient d’accord sur le fait qu’une
régularisation massive était hors de question.
Dans ce contexte, la démonstration de colère de Royal, qui a
fait couler beaucoup d’encre, accusant le gouvernement UMP de supprimer
l’aide aux enfants handicapés accueillis dans les établissements
scolaires sonnait faux et était ignoble. En effet, le manque d’intérêt
des deux candidats pour la détresse humaine ne se limite pas aux seuls
étrangers.
Tous deux sont d’accord sur la nécessité d’obliger
ceux qui dépendent des allocations sociales, tels les chômeurs, à accepter tout
emploi proposé, ce qui revient à du travail forcé. Ceci a des connotations
sinistres en France où, sous l’occupation nazie, le régime
collaborationniste du maréchal Pétain avait enrôlé le STO (Service de travail
obligatoire) au service de l’Allemagne. (Des milliers de travailleurs
avaient alors rejoint les rangs de la Résistance en opposition au STO et
l’avait transformée en un mouvement de masse.)
Royal a affirmé, « Sur la question des droits et des
devoirs, un point sur lequel nous sommes d’accord, et dans le programme
que je propose, est qu’il n’y a aucun droit nouveau sans
contrepartie. »
Sarkozy a affirmé qu’il maintiendrait la réforme des
retraites que François Fillon, son principal conseiller et l’un des
politiciens les plus détestés de France, avait imposée lorsqu’il était
ministre du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Cette loi sur les retraites avait
provoqué une énorme opposition très déterminée. Sarkozy a affirmé, ce qui est
faux, que les dispositions actuelles de la loi, qui condamnent déjà les
personnes âgées à une diminution de leur qualité de vie, resteraient en
l’état. En fait, les dispositions de la loi de Fillon seront revues
l’année prochaine, et il est possible que les cotisations mensuelles soient
augmentées et les retraites diminuées, non seulement pour les nouveaux
retraités mais pour tous les retraités.
Royal a nié avec véhémence vouloir abolir cette loi : « Remettre
à plat ce n’est pas démolir. » Elle a dit qu’elle voulait
prendre en compte certaines injustices, notamment concernant les femmes qui ont
perdu des annuités en arrêtant de travailler pour élever leurs enfants.
« Je ne démantèle pas les lois Fillon, je les remets à plat et je mets fin
aux injustices les plus criantes, » a-t-elle dit. Elle a dit que seraient aussi
mis à plat les « régimes spéciaux » (régimes de retraite plus
avantageux dont bénéficient les travailleurs puissamment organisés des
entreprises d’électricité, EDF et des transports ferroviaires SNCF et
d’autres entreprises nationalisées) qui sont depuis longtemps dans le
collimateur de la droite.
« Tout sera mis à plat, y compris les régimes spéciaux »
a-t-elle dit.
Les deux candidats étaient essentiellement d’accord sur
la nécessité d’intensifier les mesures répressives contre les jeunes défavorisés
et Royal n’a pas mentionné une seule fois le vaste programme législatif
que Sarkozy a fait voter au parlement et qui accroît les pouvoirs
d’arrestation et de surveillance de la police. Une fois encore elle
l’a émis une critique de droite l’accusant de n’avoir pas
tenu sa promesse de tolérance zéro en matière de délinquance juvénile.
Une caractéristique frappante de la politique des deux
candidats est qu’ils comptent tous deux sur les syndicats pour les aider
à imposer leur politique réactionnaire. C’est Royal qui l’a exprimé
de façon la plus explicite. « Le deuxième axe de la relance de la
croissance est la qualité du dialogue social. » Elle a ajouté, « On
sait que tous les pays du nord de l’Europe qui ont réussi à relancer la
croissance sont les pays qui ont mis en place un dialogue social de qualité,
qui permet aux syndicats de faire des compromis sociaux, » c'est-à-dire
d’imposer des baisses de salaires et de conditions de travail à la classe
ouvrière.