Malgré de nombreux efforts déployés à la
conférence internationale qui a eu lieu au centre de villégiature égyptien de
Charm el-Cheikh les 3 et 4 mai derniers, l’administration Bush a échoué
dans ses tentatives d’obtenir des appuis en faveur de la désastreuse
occupation américaine de l’Irak. Sous les pressions de Washington,
quelques créanciers de l’Irak ont accepté une réduction de la dette de
Bagdad et les pays voisins de l’Irak ont accepté de faire davantage pour
bloquer les armes et les insurgés entrant en Irak. Toutefois, l’accroissement
des tensions régionales produites par l’invasion illégale de l’Irak
et par les menaces d’agression contre l’Iran et la Syrie
n’étaient jamais loin.
Les commentaires des médias sur la
conférence, à laquelle assistaient tous les voisins de l’Irak ainsi que
d’autres pays du Moyen-Orient et les membres permanents du Conseil de
sécurité des Nations unies, étaient pour la plupart à la limite du comique. Quelle
était la signification de la rencontre de trente minutes entre la secrétaire
d’Etat américaine, Condoleezza Rice, et le ministre syrien des Affaires
étrangères, Walid al-Moallem? L’échec du ministre iranien des Affaires
étrangères, Manouchehr Mottaki, à s’asseoir à la même table que Rice
est-il vraiment le résultat de ses objections envers un violoniste russe et sa
robe trop décolletée ? La rencontre de trois minutes entre
l’ambassadeur américain en Irak et le premier ministre adjoint de
l’Iran signifiait-elle un dégel des relations entre les deux pays ?
Ces questions et plusieurs autres aussi importantes ont été disséquées en long
et en large.
Au cours des six derniers mois, Washington
a pris une attitude de confrontation et de provocation envers Téhéran en
déployant ses forces navales dans le Golfe persique et en laissant entendre de
façon peu subtile que des frappes militaires sur les installations nucléaires
de l’Iran étaient possibles. Les Etats-Unis se sont fermement opposés à
toute négociation sur la question des programmes nucléaires iraniens à moins
que l’Iran n’accepte à l’avance de fermer ses litigieuses usines
d’enrichissement de l’uranium. Avant la conférence, Rice a limité
toute possibilité de dialogue avec son homologue iranien à la question de la
« sécurité en Irak », c’est-à-dire aux déclarations non
prouvées de Washington que Téhéran fournit des armes et de l’entraînement
aux insurgés anti-américains en Irak.
Sans la moindre ouverture au compromis de
la part de Washington, il n’est pas surprenant que l’Iran ait
décliné l’offre américaine d’une discussion informelle. Comme l’a
expliqué aux médias le ministre iranien des Affaires étrangères, Mottaki: « Il
n’y avait pas d’heure fixée, pas de rendez-vous et pas
d’ordre du jour. Une rencontre entre ministres des Affaires étrangères a
certaines exigences telle la volonté politique et il faut aussi que la base sur
laquelle la rencontre aura lieu soit claire. » Si elle avait voulu montrer
sa bonne foi, l’administration Bush aurait pu libérer les cinq
responsables iraniens que l’armée américaine a arrêtés lors d’un
raid sur un bureau de liaison iranien au nord de l’Irak en janvier
dernier. Mais elle a refusé d’accéder aux demandes en ce sens de Téhéran.
La courte discussion avec le ministre
syrien des Affaires étrangères, Moallem, souligne le fait que les ouvertures
très publicisées de Rice n’impliquent pas de changement essentiel de la
politique américaine. Washington a coupé tout contact avec Damas après
l’assassinat en février 2005 de l’ancien premier ministre libanais,
Rafik al-Hariri, et a fait pression sur l’ONU pour qu’un tribunal
international juge cette affaire. La Syrie, qui a été accusée d’avoir organisé
le meurtre, s’est fortement opposée à un tel développement.
L’administration Bush a décrit la Syrie, tout comme l’Iran, comme un
« Etat finançant le terrorisme » pour avoir appuyé
l’organisation chiite libanaise, le Hezbollah, et le parti palestinien,
le Hamas.
Selon les médias, les pourparlers entre Rice et Moallem ont
consisté essentiellement en des demandes américaines visant à ce que la Syrie
stoppe l’infiltration d’insurgés antiaméricains en Irak. Rice a
qualifié la discussion de « professionnelle » tandis que Moallem a
déclaré que la Syrie « souhaitait sérieusement améliorer les
relations ». Cependant, aucune décision ne fut annoncée. Des questions
importantes comme l’affaire Hariri et le Liban ne furent pas abordées. De
plus, la Maison-Blanche, qui le mois dernier avait critiqué sans ambages la
présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, pour sa
visite en Syrie, a minimisé l’importance de la rencontre à Charm el-Cheikh
en la qualifiant de « conversation privée ».
Au cours des derniers mois, l’administration Bush a
tenté d’établir une alliance anti-iranienne au Moyen-Orient en exploitant
les craintes des Etats « sunnites » conservateurs au sujet de
l’influence croissante de Téhéran en Irak. L’Arabie saoudite, en
particulier, a assumé un rôle diplomatique beaucoup plus actif au Liban, menant
des pourparlers avec les partis palestiniens et d’autres de la région
afin d’isoler l’Iran.
Selon le groupe de réflexion américain Stratfor, la rencontre
entre Rice et Moallem pouvait bien faire partie des efforts visant à briser
l’alliance de longue date entre la Syrie et l’Iran.
« L’Arabie saoudite semble être le principal instigateur de la
décision américaine d’engager des pourparlers avec la Syrie, avec
l’idée d’éloigner la Syrie de l’Iran. Les efforts pour
ramener la Syrie dans le monde arabe ont consisté essentiellement à inonder
l’économie syrienne de pétrodollars du Golfe », soutient
l’article.
Un contrat
international à l’avenir incertain
Des manœuvres semblables ont entouré le Contrat
international pour l’Irak d’une durée de cinq ans — le seul
résultat concret de la rencontre. En échange d’une réduction de la dette
de quelque 30 milliards $, le gouvernement irakien du premier ministre
Nouri al-Maliki a accepté de mettre en place des normes économiques et
politiques, élaborées essentiellement par l’administration Bush.
L’élément le plus important est la mise en place
d’une loi sur le pétrole qui permettra aux entreprises américaines
d’exploiter les immenses réserves du pays. Le Contrat établit des
objectifs de production de pétrole brut à 3,5 millions de barils par jour
d’ici 2011, soit le double de ce qui est produit présentement, ce qui
nécessitera un important investissement étranger dans les infrastructures
délabrées et désuètes de l’Irak. Il établit aussi un objectif de
croissance économique de 15,4 pour cent en 2007, comparativement à un faible 3
pour cent pour 2006.
La plupart des autres critères visaient à satisfaire aux
exigences des Etats voisins concernant la participation des sunnites, qui
formaient la base sociale du régime baasiste de Saddam Hussein, au gouvernement
et à l’appareil d’Etat. Sous le mot d’ordre de la
« réconciliation nationale », ceux-ci visent un arrêt de la
« débaasification », de nouvelles élections provinciales et le
démantèlement des milices chiites.
Les soi-disant voisins sunnites de l’Irak, dont
l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Egypte et les Etats du Golfe
persique, croient que le gouvernement chiite à Bagdad est trop aligné sur les
positions de Téhéran. Comme l’a affirmé au magazine Time un
diplomate arabe, dont le nom n’a pas été dévoilé: « Al-Maliki ne
représente pas tout le peuple d’Irak. Il est trop iranien. Il sert les
intérêts de l’Iran. » La profonde hostilité qui existe a été
démontrée par le refus du ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince
Saud al-Faisal, de rencontrer Maliki à la conférence. Avant la conférence, le
roi saoudien Abdullah avait aussi refusé de rencontrer le premier ministre
irakien Maliki lors de la tournée effectuée par ce dernier dans les Etats voisins.
Dirigeant ses critiques sur le gouvernement Maliki, le prince
Saoud a dit au New York Times : « Nous ne voyons rien se réaliser
en Irak. Nos amis américains disent qu’il y a des améliorations :
des améliorations quant à la violence, des améliorations quant au niveau de
compréhension, des améliorations dans le désarmement de la milice. Mais nous ne le voyons pas. »
L’ancien ambassadeur égyptien aux Etats-Unis, Abdel
Raouf el-Reedy, a dit au International Herald Tribune que les Etats
arabes étaient en situation de défaite. « Ils réalisent que plus les Etats-Unis
restent en Irak, plus le problème de l’Irak va se compliquer et
s’approfondir. D’un autre côté, si les Etats-Unis quittent
l’Irak, il va y avoir un vide, et qui va être capable de le combler ?
L’Iran est la force la plus disponible pour le combler. »
Alors que la plupart des pays voisins de l’Irak, sous
la pression de Washington, ont offert avec réticence une certaine forme de soulagement
de la dette à l’Irak, les éléments clés contenus dans l’entente
offrent plusieurs prétextes pour annuler les promesses. Le Koweït a refusé de
faire une promesse définitive, disant que toute mesure sur la dette doit au
préalable être ratifiée par le parlement. Maliki, dans un commentaire à l’Associated
Press, a lancé l’avertissement suivant : « Nous allons voir
jusqu’à quel point ces pays sont sérieux et prêts à s’engager sur
la base de qu’ils signeront aujourd’hui. Si ces promesses ne sont pas
respectées, nous allons le voir, et il n’y aura plus de raison de tenir
d’autres conférences à l’avenir. »
Aucun des alliés « sunnites » de Washington à la
conférence n’a élevé la voix contre l’occupation américaine de
l’Irak, la violation des droits démocratiques de base et du désastre
social auquel est confronté le peuple irakien. Leur soumission à la politique
criminelle de l’administration Bush, qui a provoqué une large opposition
populaire en Irak et dans tout le Moyen-Orient, les met en position de
faiblesse devant l’opposition limitée que l’Iran offre aux Etats-Unis.
Ayant tacitement soutenu l’invasion américaine en
2003 pour déloger son rival de longue date à Bagdad, l’Iran a appelé lors
de la conférence à un échéancier établissant le retrait de toutes les troupes
étrangères. Répondant aux accusations américaines que l’Iran armait les
insurgés, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mottaki, a dit aux
délégués : « Si les actes terroristes continuent d’augmenter en
Irak, c’est à cause de l’approche erronée adoptée par les troupes
étrangères. Donc, selon nous, la poursuite de l’occupation est à la
source de la crise. Les Etats-Unis doivent accepter les responsabilités qui
découlent de l’occupation de l’Irak, et ne devraient pas pointer du
doigt ou blâmer les autres. »
En dehors du milieu élitiste de la conférence, des sections
de la presse du Moyen-Orient ont reflété quelque peu l’opposition de
masse qui existe à l’occupation de l’Irak. Un commentateur du Al
Akhbar de l’Egypte a déclaré: « Si nous voulons une explication
claire et franche de cette conférence de Charm el-Cheikh et de ses objectifs,
nous dirions sans hésiter que la situation en Irak a atteint un cul-de-sac et
qu’il y a un échec quasi-total des Etats-Unis dans ses objectifs et
réalisations. » Un éditorial dans le Al-Arab Al-Alamiyah s’est
montré direct : « La conférence de Charm al-Cheick a été tenue non
pas pour sauver l’Irak, mais pour sauver l’administration Bush de
ses nombreuses positions fâcheuses – fâcheuses au niveau de la sécurité
en Irak – et politiquement fâcheuses en Amérique même. »
Loin d’avancer des moyens pour stabiliser
l’occupation américaine en Irak, la conférence n’a fait
qu’illustrer la montée des tensions régionales provoquées par
l’invasion américaine et par les préparatifs de l’administration
Bush pour de nouvelles aventures militaires contre l’Iran.