Une réglementation du travail sur la formation
militaire des étudiants, émise conjointement le 21 avril par le ministère
chinois de l’Education nationale, l’état-major général et le département
politique général de l’Armée populaire de Libération (APL) rendra
obligatoire la formation militaire dans les lycées et les universités de
l’ensemble du pays.
Un système de service militaire existe déjà, sur
le papier, en Chine et qui oblige tous les citoyens âgés de 18 à 22 ans à effectuer
un service militaire de 24 mois. En pratique, Beijing n’a jamais appliqué
le projet vu que l’APL a toujours été en mesure de recruter suffisamment
de volontaires parmi la jeunesse paysanne, cherchant à tout prix à quitter la
campagne appauvrie. Les jeunes désirant s’inscrire dans l’enseignement
supérieur sont exemptés du service militaire.
De plus en plus, la direction chinoise
s’efforce de transformer l’APL en une force de pointe, plus petite.
Toutefois, le but du programme de formation militaire des étudiants n’est
pas en premier lieu celui d’attirer des recrues plus éduquées.
L’année dernière, l’APL n’avait enrôlé que 10.000 étudiants
universitaires de par le pays. L’objectif primordial est politique plutôt
que militaire et reflète les inquiétudes profondes de la bureaucratie de
Beijing face au potentiel de rébellion de la nouvelle génération de la jeunesse
chinoise.
Un élément significatif de la formation
militaire est idéologique. Le but déclaré est « de permettre aux étudiants
de développer des compétences militaires et théoriques de base et
d’accroître leur compréhension de la défense et la conscience de la sécurité
nationale. » Le but est d’accroître l’assujettissement des
étudiants à « l’organisation » et à la « discipline »
ainsi que de leur insuffler les valeurs du « patriotisme », du
« collectivisme » et de « l’héroïsme
révolutionnaire ».
La nouvelle politique prône l’intensification
de programmes de formation militaireet l’augmentation de
personnel militaire de carrière sur les campus de l’éducation tertiaire.
Dans chaque lycée, un proviseur au moins doit être nommé et chargé de la
formation militaire. Les départements de l’éducation nationale établiront
un système de bureaux communs avec l’APL pour organiser
l’entraînement militaire. Le nouvel entraînement militaire sera
obligatoire pour tous les lycéens et étudiants et leurs performancesferont
partie de leur résultat global.
La règlementation exige la tenue tous les cinq
ans d’une campagne nationale d’entraînement militaire des
étudiants. Chaque province devra organiser tous les trois à cinq ans un grand
séminaire de formation. Tout autre aspect de l’éducation est soumis, en
Chine, au principe du marché, à savoir celui de l’« utilisateur
payeur ». L’entraînement militaire des étudiants toutefois sera
financé par le gouvernement et l’APL – une indication que ceci est
d’une priorité absolue. Il est strictement interdit de facturer les coûts
aux étudiants.
Les médias nationaux ont présenté cette nouvelle
politique comme étant une mesure positive pour « aguerrir » des
jeunes gens qui auraient été gâtés en tant qu’enfant unique de parents
urbains. En réalité, ce n’est pas l’impact de la politique de
l’enfant unique que la direction stalinienne redoute, mais les vastes
changements sociaux qui se sont produits au cours de ces trente dernières
années suite à l’adoption ouverte de réformes libérales capitalistes.
Sous Mao Zedong, la bureaucratie jouissait
d’un contrôle quasi-total sur tous les aspects des médias et de la
culture et ce jusqu’au style vestimentaire terne et uniformisé qu’il
fallait porter. Le culte de Mao qui allait de pair avec la propagande patriotique
et les affirmations fausses de socialisme visait à supprimer toute opposition
et à étouffer les influences « étrangères ». De plus,
l’ensemble de la population était tributaire de la bureaucatie
d’Etat à tout point de vue, que ce soit pour un emploi, des soins de
santé, les pensions et l’éduation.
En ouvrant la Chine aux investisseurs étrangers
et à l’entreprise privée, Beijing a déchaîné de vastes forces économiques
et sociales qu’il ne contrôle plus directement. Les jeunes ne dépendent
pas des médias officiels mais ont accès à Internet et à un grand éventail
d’idées et de tendances culturelles. Selon les chiffres des statistiques
officielles, le nombre d’utilisateurs d’Internet enregistrés a
augmenté de 23,4 pour cent l’année dernière pour passer à 137 millions
– soit la deuxième population du monde connectée à Internet après les
Etats-Unis. La plupart d’entre eux ont entre 18 et 24 ans.
Dans le même temps, les réformes libérales ont
créé une polarisation sociale de plus en plus profonde et une grande
incertitude. Lycéens et étudiants en fin d’études ne sont plus assurés de
trouver un emploi et nombre d’entre eux sont au chômage. Des dizaines de
millions de jeunes travailleurs sont contraints de déménager de ville en ville
à la recherche d’un emploi. Ceux qui ont de l’argent sont en mesure
d’acheter des téléphones portables, une variété de vêtements, des bijoux,
des motos et autres accessoires. Le mécontentement et l’aliénation ont
produit une série de réactions diverses parmi les différentes couches de la
jeunesse.
L’apparition de telles tendances est un
choc pour le régime. En 2005, par exemple, la ville natale de Mao, dans la
province de Hunan, une chaîne de télévision avait organisé un concours
« Super Girls », inspiré de l’émission américaine
« American Idol », qui a attiré en une seule soirée 400 millions de téléspectateurs
dans l’ensemble de la Chine. Quelque huit millions de téléspectateurs, en
majorité des jeunes, ont envoyé des textos pour « voter » pour leur
participante favorite. Les trois finalistes, toutes âgées d’une vingtaine
d’années, sont devenues sur le coup des célébrités nationales. Li Yuchun
de Sichuan, qui se présentait en garçon manqué, a finalement gagné.
La CCTV, télévision dirigée par l’Etat, a
publié un communiqué pour dénoncer l’émission comme étant « vulgaire
et manipulative » et a menacé de la supprimer. La direction chinoise
craint que tout mouvement présentant un aspect vaguement anti-establishment,
même s’il est tout à fait apolitique, puisse devenir dangereux. Wei Feng,
étudiant à l’Institut des langues étrangères de Beijing a dit au Seattle
Times : « Il s’agit tout simplement de chanter ce que l’on
veut et des millions de jeunes filles dans ces provinces n’ont jamais eu
cette occasion auparavant. » Quelque 120.000 jeunes filles ont participé à
ce concours.
Le gouvernement a essayé de canaliser
l’aliénation qui existe parmi la jeunesse dans la direction réactionnaire
du nationalisme et du patriotisme. En 2005, il avait délibérément encouragé les
manifestations anti-japonaises des Fenqing ou « jeunes en colère »
contre un projet d’accorder au Japon un siège permanent au Conseil de
sécurité de l’ONU, et contre le soutien de Tokyo pour des manuels d’histoire
dissimulant les crimes de guerre japonais.Les jeunes issus
principalement de la classe moyenne avaient chanté des slogans racistes, attaqué
des commerces japonais et tabassé des visiteurs japonais. Beijing avait dû
finalement mettre fin aux manifestations devant le risque que ce déchaînement
ne puisse plus être maîtrisé.
La plus grande crainte de Beijing est un
mouvement généré par des idées sociales progressistes et dirigé contre les
inégalités sociales et la répression de l’Etat. D’ores et déjà, le
coût élevé de l’éducation ainsi que le chômage omniprésent parmi les
diplômés ont déclenché une vague de protestation et d’émeutes. La
« réforme libérale » a mis fin à l’ancienne garantie d’emploi
pour les diplômés universitaires dans les entreprises appartenant à
l’Etat. Tout comme les étudiants des autres pays, les étudiants chinois
ne font plus partie de l’élite privilégiée, mais forment plutôt une
réserve de salariés qualifiés bon marché pour les patrons.
En 2006, sur les 4,13 millions de diplômés
universitaires et de l’enseignement supérieur, un sur trois n’a pas
pu trouver un emploi. Le 25 avril, lors d’une réunion du conseil
d’Etat concernant les diplômés universitaires, les hauts fonctionnaires
du gouvernement ont reconnu que le chômage des étudiants serait probablement
plus important en 2007. Le nombre des diplômés chinois de l’enseignement
tertiaire s’élèvera cette année à 4,9 millions, soit un accroissement de
820.000 par rapport à 2006.
Les difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants
sont le produit direct des réformes éducatives libérales entreprises par le
régime. Durant la dernière décennie, le coût des études universitaires a
augmenté de façon exponentielle de 5.000 à 8.000 yuan (entre 640 et 1.000
dollars US) par an. Dans un pays où le revenu moyen par habitant est inférieur
à 2.000 dollars, le fardeau financier des études est lourd à assumer pour les
familles de travailleurs.
Beijing est pleinement conscient du potentiel
explosif de ces tensions sociales. Les dirigeants chinois sont aussi conscients
que les mouvements politiques des étudiants ont révélé au cours de
l’histoire une radicalisation plus large de la population laborieuse. Le
Parti communiste chinois (PCC) est issu du Mouvement du 4 mai 1919 des
étudiants et des intellectuels, et qui était lui-même une réponse à la
Révolution russe.
Le PCC abandonna les principes de
l’internationalisme socialiste à la fin des années 1920, mais il continue
toujours de célébrer tous les ans le 4 mai comme le Jour de la Jeunesse. Mais c’est
un rite qui enterre la vraie signification du Mouvement du 4 mai. A la place de
la « nouvelle jeunesse » rebelle de 1919, déterminée à changer le cours
de l’histoire en Chine et dans le monde, on a mis en place l’image
de jeunes gens patriotiques, irréfléchis, enrégimentés et totalement assujettis
aux autorités.
En 1989, la direction chinoise avait donné
l’ordre à l’APL d’envoyer des troupes fortement armées et des
tanks pour écraser brutalement, sur la Place Tiananmen, les manifestations des
travailleurs et des étudiants luttant pour des droits démocratiques fondamentaux
et de niveaux de vie décents. Sa décision de mettre en vigueur dans
l’ensemble du pays un programme de formation militaire pour les étudiants
est une tentative plutôt désespérée d’écarter une nouvelle et inévitable
explosion de la jeunesse.