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Hémorragie des emplois dans l’industrie manufacturière canadienne

Par Eric Marquis
17 mai 2007

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L’industrie manufacturière canadienne a été dévastée par les coupures d’emplois au cours des dernières années. Depuis 2002, 250.000 emplois ont été éliminés dans ce secteur, soit un emploi sur dix. Au Québec, la province canadienne la plus touchée par cette hécatombe, 124 000 postes ont été abolis durant la même période.

L’assaut sur les emplois est particulièrement brutal dans les provinces où le secteur manufacturier occupait une place importante. En Ontario, la proportion de la main-d’oeuvre totale employée dans ce secteur est passée de 18,2 à 14,8 pour cent, tandis que le Québec a subi une diminution de 18,6 à 14,4 pour cent.

Les travailleurs sont d’autant plus frappés que le secteur manufacturier était l’un des rares à offrir des emplois relativement bien payés. Les victimes de ces mises à pieds massives ont peu de chance de se trouver un emploi à salaire équivalent. Nombreux sont ceux qui, s’ils réussissent à se dénicher un nouvel emploi, se retrouveront dans le secteur des services, beaucoup plus précaire et offrant des salaires considérablement inférieurs.

Selon Statistiques Canada, un travailleur du secteur manufacturier gagnant en moyenne 20,68 $ l’heure qui est mis à pied verra ses revenus annuels diminuer de 25 pour cent, soit de 10 000 $ par année.

Au cours des dernières années au Québec, de nombreuses entreprises ont procédé à des fermetures d’usines et certaines, notamment dans le secteur des pâtes et papiers, ont arrêté la production à plusieurs endroits simultanément, jetant ainsi à la rue des milliers de travailleurs.

La compagnie Kruger, entreprise qui emploie environ 10 000 travailleurs, a annoncé des fermetures de durée indéterminée à cinq de ses usines. Deux scieries ont déjà cessé la production le 5 avril et trois autres usines devraient fermer en date du 29 juin. Au total, c’est plus de 1 000 travailleurs qui se retrouvent au chômage.

En automne 2006, une série de fermetures d’usines successives dans l’industrie forestière frappait la province. Le 3 octobre, Tembec annonçait la suppression de 435 emplois. Trois jours plus tard, Cascades imposait un congé forcé à 200 de ses employés. Le 10 octobre, Abitibi-Consol fermait quatre usines et supprimait 700 emplois. Enfin, le 11 octobre, Domtar annonçait la fermeture temporaire de quatre de ses usines au Québec et en Ontario, supprimant 940 emplois.

En 2004, le nombre total d’emplois au Québec reliés à l’industrie de la forêt était évalué à environ 100 000. Jusqu’à présent, la crise de l’industrie forestière aurait entraîné la disparition de plus de 8 000 emplois.

Cette destruction systématique des emplois a été mise en oeuvre grâce à la collaboration directe de la bureaucratie syndicale avec l’élite dirigeante du pays dans une campagne commune pour accroître la productivité et la rentabilité sur le dos des travailleurs.

Un exemple typique est celui d’Olymel, le plus important exportateur de viandes et de volailles au Canada. En début d’année, la direction exigeait de ses employés à l’usine de Vallée-Jonction des réductions drastiques de leurs salaires et avantages sociaux, de l’ordre de 30 pour cent de la masse salariale ou 12 000 $ en moyenne par année par employé. La compagnie menaçait même de fermer l’usine si les employés ne se pliaient pas à ses diktats.

Ces derniers ont rejeté, presque à l’unanimité, deux contrats de travail successifs que la direction a tenté de leur imposer de force, sachant bien lors du deuxième vote que leurs emplois étaient en jeu. Pendant ce temps, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la soi-disant représentante de ces travailleurs, cherchait un terrain d’entente avec la direction d’Olymel. Après le deuxième refus massif des travailleurs, la CSN a fait une offre qui aurait demandé presque autant de concessions de la part des employés que celle exigée par les employeurs, mais ces derniers l’ont repoussée.

Isolés, confrontés à une campagne intense des médias, des gouvernements et des centrales syndicales affirmant que leurs salaires supposément trop élevés ne permettaient pas à leur employeur de demeurer compétitif, les travailleurs d’Olymel ont finalement accepté à la mi-février, après un troisième refus, les coupes drastiques exigées par l’employeur. Les cadres de l’entreprise ont, quant à eux, bénéficié au même moment d’une augmentation salariale de six pour cent sur trois ans. Deux mois plus tard, Olymel fermait deux autres de ses usines, entraînant la mise à pied de 560 travailleurs.

Les commentaires de Claudette Carbonneau, la présidente de la CSN, suite à la « résolution » du conflit sont parfaitement révélateurs de la perspective de la bureaucratie syndicale. « Quand vous êtes confronté à une offre patronale qui a pour effet de vous appauvrir de 12 000 $ par année », a-t-elle plaidé, « n’est-il pas raisonnable de … tenter d’amoindrir au maximum les conséquences d’un tel recul » ?

Carbonneau ne condamne pas les plans d’Olymel pour charcuter les revenus et intensifier le travail de ses employés. Elle accepte la prémisse que les travailleurs doivent faire des concessions pour que la grande entreprise québécoise puisse se tailler une position avantageuse sur les marchés mondiaux. Ce qu’elle conteste c’est « l’approche autoritaire » de la direction d’Olymel. Autrement dit, la bureaucratie syndicale souhaite être un partenaire à part entière dans l’assaut patronal sur les emplois et les salaires.

C’est l’idée qu’a défendue Henri Massé, le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la plus importante centrale syndicale de la province, lorsqu’il a pris la parole devant les Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ) au début de février, alors même que le conflit de travail à Olymel s’envenimait.

Évoquant la profonde crise qui sévit dans le secteur manufacturier, Massé a tendu la main aux dirigeants d’entreprises. « On est capable de travailler ensemble », a-t-il dit, sous l’œil approbateur du président-directeur général des MEQ, Jean-Luc Trahan. Acceptant l’inévitabilité des pertes d’emplois, Massé a suggéré aux patrons présents de recourir autant que possible à l'attrition, aux préretraites et à la négociation. Et il s’est dit ouvert à l’introduction d’une plus grande flexibilité dans le travail, tant que cela n’était pas fait de manière « débridée ».

Massé a conclu par un appel à la tenue d’un sommet réunissant patronat, gouvernement et syndicats. Un tel sommet avait pris place en 1996, sous un gouvernement du Parti québécois dirigé par Lucien Bouchard, et avait donné le coup d’envoi à des coupes drastiques dans les dépenses sociales au nom de l’élimination du déficit gouvernemental. L’appel de Massé à un autre sommet tripartite va de pair avec ses efforts pour subordonner politiquement les travailleurs au parti de la grande entreprise que constitue le Parti québécois, qui a été officiellement appuyé par la FTQ lors des élections provinciales de mars dernier.

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