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Rentrée parlementaire à Québec : à droite toute, au diable le vote populaire

Par Richard Dufour
19 mai 2007

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Le discours inaugural prononcé le 9 mai dernier par le premier ministre libéral Jean Charest à l’occasion de la rentrée parlementaire constitue une répudiation de la volonté populaire exprimée lors de l’élection québécois du 26 mars.

Cette élection a enregistré une chute historique du soutien populaire pour les deux partis de la grande entreprise qui ont alterné au pouvoir au cours des trente dernières années. Le Parti libéral du Québec (PLQ) et le Parti québécois (PQ) n’ont récolté à eux deux que 60 pour cent du vote exprimé. Si l’on tient compte du taux d’abstention d’environ 30 pour cent, les deux partis traditionnels de l’establishment québécois n’ont été endossés que par 44 pour cent de l’électorat, comparé à 65 pour cent il y a seulement neuf ans.

Ce vote doit être vu à la lumière de la politique mise en œuvre par ces deux partis. Les libéraux de Charest ont appliqué en quatre ans de pouvoir une série de mesures de libre-marché tels que des amendements au Code du travail pour faciliter la sous-traitance, des baisses d’impôt favorisant les riches, l’imposition de contrats de travail à la baisse sur un demi-million de travailleurs du secteur public, et l’adoption d’une loi permettant l’expansion au Québec d’un système de santé axé sur le profit. 

Les conditions politiques d’un tel programme de démolition sociale ont été mises en place sous les gouvernements péquistes précédents qui, de 1994 à 2003, ont lancé un assaut frontal sur les services publics au nom de la lutte au déficit, tout en accordant d’importantes baisses d’impôt aux plus riches. Autrement dit, c’est la politique de droite, appliquée tant par les libéraux que par le PQ, qui a été sévèrement sanctionnée par la population en mars dernier.

Le désaveu massif des Québécois envers l’establishment a reçu une reconnaissance purement verbale dans le discours du 9 mai qui ouvrait la session parlementaire. « Par votre choix du 26 mars dernier », a reconnu du bout des lèvres le premier ministre, « vous nous avez envoyé un message clair. Vous voulez un gouvernement différent. »

Charest, dont le gouvernement a été réduit à un statut minoritaire après la gifle politique subie à l’élection de mars, a consacré le reste de son discours à présenter un programme de gouvernement qui poursuit et renforce l’orientation néo-libérale qui a été précisément rejetée par l’électorat.

« Pour que vous ayez plus d’argent, nous baisserons vos impôts », a promis le chef libéral. Cette mesure s’adresse à la grande entreprise, qui a sévèrement critiqué son premier gouvernement pour avoir manqué à sa promesse de diminuer les impôts de 15 milliards $ sur cinq ans et pour avoir été en général trop hésitant dans l’application de mesures impopulaires.

« Nous allons ouvrir plus grande la porte à une participation du privé dans notre système public de soins de santé », a continué Charest. « L’Etat achètera des services au secteur privé, comme le permet maintenant la loi 33, adoptée en décembre dernier. »

Cette mesure va à contre-courant de ce qui est régulièrement rapporté dans les sondages d’opinion comme étant la préoccupation première des citoyens : le maintien et l’amélioration du réseau public de la santé. Le Québec est la province où la part occupée par le privé dans le secteur de la santé est déjà la plus élevée. Cette part risque de subir une forte hausse avec le recours des hôpitaux publics à la sous-traitance privée. Le résultat inévitable sera une dégradation du réseau public, qui souffre déjà d’un sous-financement chronique, et la création d’un système de santé à deux vitesses où l’accès de chacun à des soins de qualité sera déterminé par l’épaisseur de son portefeuille.

Se tournant vers le domaine de l’éducation, Charest a annoncé que « nous procéderons au dégel des frais de scolarité ». L’élimination du plafond relativement bas des frais de scolarité post-secondaires au Québec, comparé au reste du Canada et aux États-Unis, rendra la formation collégiale et universitaire moins accessible aux jeunes issus de milieux modestes.

Une réaction significative au discours inaugural de Charest a été celle du chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ), le parti radical de droite qui a profité de l’étouffement par la bureaucratie syndicale des mobilisations de masse anti-Charest pour prendre une pose anti-establishment aux élections de mars et gagner sur cette base démagogique assez de voix pour former l’opposition officielle.

« Il y a certainement des engagements dont … on va se réjouir », a indiqué Mario Dumont, dont le parti réclame depuis longtemps le dégel des frais de scolarité ainsi que la privatisation de la santé. Il a ensuite mis à nu le rôle que l’ADQ est appelée à jouer sur l’échiquier politique, et la raison pour laquelle la presse patronale lui a accordé une couverture favorable aux dernières élections.

« Je me souviens du discours inaugural de 2003 », a fait savoir le chef adéquiste, « ça parlait … d’un autre modèle d’Etat, de … transformer le Québec de fond en comble. Rien de ça n’est arrivé ». Cette critique des libéraux pour ne pas avoir attaqué de front les acquis sociaux des travailleurs vise à faire pencher l’axe de la vie politique québécoise encore plus à droite.

C’est pour donner une couverture à ce tournant de l’élite dirigeante vers la réaction que ses représentants dans les médias et le monde politique ont détourné l’attention publique ces derniers mois vers la menace supposément représentée par le fondamentalisme religieux qui serait introduit dans la société québécoise par l’immigration en provenance d’Etats musulmans.

Charest n’a pas manqué d’y faire référence dans son discours inaugural, en y opposant « les valeurs québécoises », qu’il a définies comme étant « les libertés individuelles, l’égalité entre les femmes et les hommes, la séparation entre la religion et l’Etat ».

De tels appels creux visent en fait à camoufler l’émergence, au sein même du monde occidental, d’un niveau sans précédent d’inégalités sociales et d’une indifférence croissante chez les élites dirigeantes pour les droits démocratiques les plus élémentaires, au nom de la « lutte au terrorisme ».

Un autre but visé est de transformer des minorités religieuses, les musulmans en particulier, en boucs-émissaires contre qui canaliser les frustrations causées par l’insécurité économique croissante et l’explosion de violence dans le monde. Il y aussi un parallèle à faire avec la rhétorique de la libération des femmes afghanes derrière laquelle se cache le gouvernement canadien dans son intervention néo-coloniale en Afghanistan.

Charest a profité de la rentrée parlementaire pour apporter sa voix à la campagne aux relents xénophobes qui a été amorcée sous l’impulsion d’un Mario Dumont se faisant le champion de l’ « identité québécoise ». « Nos chartes ont toujours eu pour but de protéger les minorités contre les abus de la majorité », a pontifié le premier ministre dans son discours du 9 mai. « Elle n’ont jamais eu pour dessein de permettre l’inverse. C’est donc dire qu’il y a une limite, une ligne qui doit être tracée.»

Le discours inaugural de Charest a reçu un accueil enthousiaste de la part des éditorialistes. Selon André Pratte, rédacteur en chef à La Presse, le principal quotidien du monde des affaires au Québec : « Le chef libéral a donc tiré enseignement de ce qui s’est passé sur les scènes politiques fédérale et québécoise au cours des derniers mois. »

Pratte parle au nom de la grande entreprise qui cherche à présenter le relatif succès politique de démagogues de droite, tels que le conservateur Stephen Harper ou l’adéquiste Mario Dumont, comme un mandat populaire pour un virage prononcé vers la droite. Le véritable processus politique sous-jacent est d’abord et avant tout l’effondrement du soutien populaire pour les partis traditionnels de l’establishment. 

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