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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France : Sarkozy concentre le pouvoir entre ses mains

Par Peter Schwarz
25 mai 2007

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Le président français nouvellement élu, Nicolas Sarkozy, a profité des premiers jours de son investiture officielle pour concentrer de vastes pouvoirs entre ses mains, des pouvoirs que seul l’ancien dirigeant, le général Charles de Gaulle, s’était attribués. Avant même la tenue des élections législatives en juin, Sarkozy a pris une série d’initiatives qui lui permettront de gouverner sans contrôle ni limites. A cette fin, il exploite à fond la Constitution de la Cinquième République.

L’actuelle constitution française avait été taillée sur mesure par son auteur, le général de Gaulle. Lorsqu’il avait pris le pouvoir en 1958, au plus fort de la crise algérienne, de Gaulle avait imposé une constitution conférant au président une énorme autorité en limitant sérieusement les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Non seulement le président nomme le chef du gouvernement et préside chaque semaine le conseil des ministres, mais il peut aussi dissoudre le parlement à tout moment et dispose de ce fait d’un moyen de pression considérable sur les représentants du peuple.

Depuis la démission de De Gaulle en 1969, la Constitution a subi de nombreux changements. Notamment durant les périodes dites de « cohabitation », lorsque le président et la majorité parlementaire sont issus de camps politiques opposés, le président est obligé de s’adapter à la majorité parlementaire, de laisser la politique intérieure au gouvernement et de se concentrer sur sa prérogative, c'est-à-dire sur la politique extérieure.

Sarkozy a maintenant clairement fait comprendre qu’il entend bien exploiter pleinement l’autorité de la fonction présidentielle et déterminer dans le moindre détail la politique gouvernementale. Il a nommé l’un de ses plus proches alliés politiques, François Fillon, chef du gouvernement. Bien que la nomination des ministres incombe normalement au chef du gouvernement et non au président, Sarkozy a désigné tous les ministres du nouveau gouvernement et son cabinet a rendu publique sa composition. Avant même d’avoir officiellement pris ses fonctions, Fillon est apparu comme un simple auxiliaire du président.

Les démarches autocratiques de Sarkozy ne se limitent pas au contrôle de la machine gouvernementale. Il s’efforce également à se libérer de tout contrôle provenant de son propre camp politique qui est divisé en plusieurs factions opposées. Ce faisant, il recourt à la technique classique du régime bonapartiste. Il cherche à se créer une plus grande liberté d’action en naviguant entre les différents partis et en les utilisant les uns contre les autres, tout en lançant des appels démagogiques au « peuple », se plaçant au-dessus des conflits de classes.

C’est ce qui se cache derrière sa pratique d’« ouverture », consistant à nommer dans son gouvernement des membres issus d’autres partis ou d’organisations humanitaires. C’est cet objectif que servent ses diverses initiatives, comme celle de nommer un gouvernement paritaire homme-femme, de désigner une ministre d’origine maghrébine et d’associer la bureaucratie syndicale au travail gouvernemental. Loin de signaler une volonté  de compromis, Sarkozy est en train de se donner l’espace qu’il juge nécessaire à la réalisation de son programme droitier. A ce jour, toutes les tentatives faites pour concrétiser un tel programme ont rencontré une forte résistance populaire et provoqué une crise au sein de l’élite dirigeante.

Des ministres « socialistes »

En dernière analyse, la capacité de Sarkozy à se faire passer pour un président fort repose sur l’attitude soumise de la soi-disant « gauche » française et de la bureaucratie syndicale. Après la campagne électorale de la candidate socialiste, Ségolène Royal, qui avait cherché à surpasser Sarkozy en termes de nationalisme et de rhétorique sécuritaire, il est tout à fait logique que certains de ses partisans basculent à présent dans le camp du vainqueur.

Le plus en vue est Bernard Kouchner, 67 ans, qui a été nommé ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement. Kouchner est cofondateur de l’organisation Médecins sans frontières et était encarté au Parti socialiste (PS) jusqu’à sa récente nomination. De 1988 à 2002, il était secrétaire d’Etat et ministre sous plusieurs premiers ministres socialistes. De 1999 à 2000, il était haut représentant de l’ONU pour le Kosovo.

Kouchner a débuté sa carrière politique au Parti communiste avant d’en être exclu en 1966. Après une mission de la Croix rouge au Biafra, il se consacra à l’aide humanitaire qu’il détacha complètement de tout examen des causes politiques et sociales de ces diverses catastrophes. Il appuya les interventions militaires impérialistes en Bosnie et au Kosovo, et même, plus tard la guerre contre l’Irak.

Kouchner est d’une grande utilité pour Sarkozy à plusieurs égards ; premièrement, il représente une caution de gauche à la politique sociale et intérieure de droite de ce dernier. Kouchner, par exemple, devra s’asseoir régulièrement à la table du conseil des ministres aux côtés du nouveau ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, le confident de Sarkozy, Brice Hortefeux, et ce, en dépit du fait que lors de la récente campagne électorale, Kouchner avait qualifié la création même d’un tel ministère de « dérive historiquement scandaleuse ».

Deuxièmement, Kouchner est utile en tant que défenseur des interventions militaires « humanitaires » en Afrique que Sarkozy considère comme l’une des sphères d’intérêts les plus importantes pour l’impérialisme français. Kouchner est décidé à créer un « groupe de contact » international qui fera pression, cela pourra aller jusqu’à une intervention militaire, sur le Soudan en raison de la crise au Darfour. Kouchner préconise même un boycott des Jeux olympiques de Pékin pour obliger la Chine à rompre ses relations commerciales avec le Soudan.

Et troisièmement, Kouchner, tout comme Sarkozy et la chancelière allemande, Angela Merkel, favorise l’adoption d’une constitution européenne simplifiée sans le recours à un nouveau référendum. Kouchner favorise également de meilleures relations avec les Etats-Unis. Cependant, comme toujours en politique française, c’est le président qui déterminera les questions clés de la politique étrangère et non son ministre des Affaires étrangères.

Un autre ancien membre du Parti socialiste, Jean-Pierre Jouyet, a rejoint le nouveau gouvernement comme secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. Contrairement à Kouchner, Jouyet n’a jamais joué un rôle influent au Parti socialiste, mais il a certainement une longue carrière à des postes gouvernementaux importants, dont celui de directeur-adjoint du cabinet de l’ancien premier ministre, Lionel Jospin. Il entretient un lien personnel étroit, qui remonte à sa rencontre à l’ENA il y a plus de trente ans, avec la candidate présidentielle, Royal, et son compagnon, le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande. Il y a trois ans, déjà Jouyet avait occupé diverses fonctions de haut rang dans le gouvernement gaulliste.

Eric Besson par contre a quitté le Parti socialiste au milieu de la campagne électorale. Il faisait partie de l’équipe électorale de Royal et était chargé des questions économiques, mais il l’attaqua publiquement lorsqu’elle refusa d’expliquer comment elle comptait financer ses réformes. Il en est à présent récompensé par une nomination au poste de secrétaire d’Etat chargé de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques.

La quatrième personne anciennement de « gauche » à intégrer le gouvernement, est Martin Hirsch qui jusque-là était président d’Emmaüs France, oeuvre caritative fondée par l’abbé Pierre en faveur des sans-abri. Hirsch porte le titre pompeux de Haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté sans toutefois disposer de son propre ministère ou d’un appareil administratif. Hirsch avait occupé des postes importants dans le gouvernement Jospin, dont celui de directeur du cabinet de Kouchner au secrétariat d’Etat à la santé et à l’action sociale.

Le premier secrétaire du PS, François Hollande, a publiquement dénoncé ces transfuges en les qualifiant de « traitres » alors que d’autres membres influents du parti, dont Ségolène Royal et l’ancien ministre des Finances, Dominique Strauss-Kahn, ont, de manière démonstrative, refusé de condamner les déserteurs. Ils souhaitent ainsi ne se fermer aucune porte, dans l’éventualité d’une coopération future avec Sarkozy tandis que l’ancien ministre de la Culture, Jack Lang (également PS), a déjà rencontré le nouveau président pour un entretien.

Des ministres de droite aux postes clés

Sarkozy a placé à tous les autres postes ministériels clés, notamment l’Intérieur (sécurité), l’économie et la politique sociale, soit des alliés politiques proches soit des poids lourds de son parti, l’Union pour un mouvement populaire (UMP).

La seule exception est le ministère de la Défense qui est allé au président du groupe parlementaire du parti de droite l’Union pour la Démocratie française (UDF), Hervé Morin. Morin avait soutenu François Bayrou, candidat de l’UDF lors de la campagne électorale présidentielle, mais s’était ensuite entièrement rallié à Sarkozy pour le second tour, contrairement à Bayrou qui n’avait donné aucune consigne de vote. Sa nomination au poste de ministre vise évidemment à miner le « Mouvement démocrate » nouvellement fondé par Bayou avant les élections législatives des 10 et 17 juin prochain.

Le second du gouvernement est Alain Juppé, ministre d’Etat chargé de l’Ecologie, du développement et de l’aménagement durable. Nommé premier ministre en 1995 par Jacques Chirac, Juppé fut contraint de céder son poste au socialiste Lionel Jospin après qu’une grève de plusieurs semaines contre son projet de réforme des retraites ait paralysé le pays. Juppé, longtemps pressenti pour être l’héritier de Chirac, avait dû abandonner ses propres ambitions présidentielles à la suite d’un scandale de corruption.

La nouvelle ministre de l’Intérieur, ancienne ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, est également une proche confidente de Chirac. Son compagnon est Patrick Ollier, le président UMP de l’Assemblée nationale.

Le ministère de la Justice a été confié à Rachida Dati, 41 ans, née dans une famille ouvrière de douze enfants d’un père marocain et d’une mère algérienne, elle représente une nouvelle génération de carriéristes très déterminés. Il lui incombera la tâche d’élaborer et d’appliquer le renforcement du projet de loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance.

Les domaines de l’économie, des affaires sociales et des finances ont été entièrement restructurés par Sarkozy dans le but d’imposer ses projets de « réformes ». Trois ministres UMP expérimentés en ont la charge : l’ancien ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo est chargé de l’Economie, des Finances et de l’Emploi ; l’ancien ministre de la Santé, Xavier Bertrand est responsable du Travail, des relations sociales et de la solidarité ; et l’ancien secrétaire d’Etat, Eric Woerth, prend le poste de ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique.

L’intégration des syndicats

Sarkozy a passé beaucoup de temps à s’assurer le soutien des syndicats à son gouvernement. Deux jours avant son investiture et avant la constitution de son gouvernement, il a passé plusieurs heures à discuter avec les dirigeants des six plus importantes fédérations syndicales ; tous se sont par la suite déclarés prêts à coopérer avec son gouvernement.

Son premier déplacement officiel dans le pays en qualité de président l’a conduit à Toulouse où il a parlé aux employés d’Airbus menacés de licenciement de masse. Il a ensuite déjeuné avec les salariés à la cantine. Sarkozy a promis d’augmenter la part de l’Etat français dans le capital d’EADS et de revoir le plan de restructuration Power8 controversé. Il s’est également engagé au maintien et à la pérennisation du site de Méaulte en Picardie, menacé de fermeture.

Après la réunion, les dirigeants syndicaux se sont dits enthousiasmés par sa visite. Ce qui les attire chez Sarkozy, c’est le nationalisme prononcé qu’il affiche dans sa politique économique. A Berlin, par contre, la déclaration faite par Sarkozy a été accueillie avec inquiétude par le gouvernement allemand qui craint de perdre son influence au sein de l’avionneur européen.

Personne ne devrait se laisser abuser par les avances populistes de Sarkozy. Il est déterminé à user de ses pouvoirs présidentiels et du soutien des syndicats pour pratiquer le genre d’attaques contre les acquis sociaux et les droits démocratiques que les milieux d’affaires français et les marchés financiers internationaux réclament depuis longtemps.

(Article original paru le 23 mai 2007)

Lire aussi :

La victoire électorale de Sarkozy et la faillite de la « gauche » française [10 mai 2007]


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