20 000 travailleurs français d’Airbus ont fait une demi-journée
de grève mardi 6 mars pour protester contre le plan d’austérité « Power
8 » qui exige la destruction de 10 000 emplois, soit 11,5 pour cent
de l’ensemble des salariés, dans les usines européennes de la compagnie.
Les manifestations étaient organisées le matin dans les principaux centres de
production en France et étaient soutenues par la population locale qui dépend
de ces usines pour sa survie. Entre 85 et 90 pour cent du personnel était en
grève.
4 300 emplois au total risquent de disparaître en France,
3 700 en Allemagne, 1 600 en Grande-Bretagne et 400 en Espagne.
Airbus emploie actuellement 23 000 travailleurs en Allemagne, 19 000
en France, 10 000 en Grande-Bretagne et 3 000 en Espagne.
Power 8 n’est qu’un exemple d’une série de
plans impliquant des suppressions d’emploi massives faisant partie
d’une restructuration fondamentale de l’économie française.
D’autres grandes entreprises touchées par les suppressions d’emploi
et rationalisations sont Alcatel-Lucent, Michelin, Renault et PSA
Peugeot-Citroën.
A Toulouse, le principal centre de production d’Airbus, quelque
15 000 personnes, pour beaucoup venues en autocars des régions
avoisinantes, ont bravé une pluie battante pour venir manifester. 3 000
personnes étaient dans les rues de Saint-Nazaire et 500 à Nantes, des villes où
se trouvent les plus importants sites d’Airbus après Toulouse. Ils ont
été rejoints dans la rue par des agents de la Fonction publique et des
travailleurs d’Alcatel-Lucent (le géant franco-américain des
télécommunications procède à 12 500 suppressions de postes, dont
1 800 en France) et de Walor, sous-traitant pour l’automobile.
Les manifestants ont défilé de l’usine de Méaulte en
Picardie rurale, qui emploie 1 300 salariés, jusqu’à la ville
voisine d’Albert. Deux tracteurs devançaient le cortège auquel
s’étaient joints des agriculteurs et des ouvriers agricoles ainsi que des
travailleurs de firmes sous-traitantes, des ouvriers de la métallurgiede
la région et plusieurs maires portant leur écharpe tricolore.
Sur les pancartes de la manifestation de Toulouse on pouvait
lire « Pour la défense de l’aéronautique », « Pour
l’emploi à Airbus et chez ses sous-traitants », « Y a-t-il un
pilote dans l’avion ? » et faisant référence à la possibilité
que la production de l’A320 se fasse à Hambourg en Allemagne,
« l’Airbus A320 à Toulouse. »
Ce dernier slogan reflète les efforts des syndicats pour détourner
la résistance au plan Power 8 dans toute l’entreprise et en faire en une
querelle nationaliste sur le partage « équitable » des suppressions
d’emplois et des mesures de restructuration.
Jean-François Knepper, délégué FO (Force ouvrière, proche du
Parti socialiste) du Comité européen d’Airbus a ainsi commenté les
mobilisations et donné le ton nationaliste des syndicats. « Cette
manifestation de grande ampleur est organisée pour dire “non” au
départ de l’A320 pour l’Allemagne, “non” à la fermeture
de Méaulte. Nous ne voulons pas devenir les petites mains d’Airbus mais
acquérir de nouvelles compétences. »
Le secrétaire national de FO, Jean-Claude Mailly, défilant en
tête du cortège de Toulouse derrière la banderole commune de
l’intersyndicale, aux côtés des dirigeants français des principales
confédérations syndicales a cherché à éviter toute politisation du mouvement et
a appelé à l’intervention de l’Etat. Il a dit à la presse, « Il
faut un nouvel apport au capital…L’Etat avec 15 pour cent du
capital, doit prendre une responsabilité particulière. » Et
d’ajouter « J’ai d’ailleurs senti une évolution des
pouvoirs publics. »
Il faisait référence à la proposition du premier ministre
Dominique de Villepin d’investir 100 millions d’euros dans la
compagnie et aussi au changement de position du candidat UMP à la
présidentielle, l’actuel ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy.
Fervent adepte du libéralisme économique, Sarkozy avait tout d’abord appelé
à ce qu’on laisse Airbus prendre ses propres décisions, mais par la suite
et pour d’évidentes raisons électorales a changé son fusil d’épaule
et appelé au « patriotisme économique » et dit que l’Etat
pourrait bien intervenir comme il l’avait fait en tant que ministre des
finances en 2004 dans le cas de Alstom, groupe industriel en difficulté. « J’ai
décidé de ne pas laisser Airbus couler » a déclaré Sarkozy. « S’il
faut augmenter la part de l’Etat chez Airbus, pourquoi pas ? » Il
a aussi appelé à ce que la direction soit placée sous une seule autorité au
lieu de la direction bicéphale actuelle représentant les côtés français et
allemand du groupe.
Ni Villepin ni Sarkozy n’ont fait la moindre promesse de
sauver les emplois. Interviewé à la télévision lundi, Sarkozy a carrément nié
qu’il y aurait des licenciements, laissant entendre que les suppressions
d’emploi se feraient par des encouragements à partir, des retraites
anticipées et autres procédés. Néanmoins, de telles promesses sont complètement
irréalistes, sachant qu’au moins six sites vont fermer en Europe. Le plan
envisage de se défaire de deux usines en France, dont celle de Méaulte.
Ségolène Royal, candidate du Parti socialiste et rivale de
Sarkozy à la présidentielle fait des propositions similaires, mais elle veut
aussi impliquer les conseils régionaux dans la recapitalisation. La plupart de
ces conseils régionaux sont dirigés par le Parti socialiste et ses alliés qui
ont formé une organisation, « Sauvons l’aéronautique », avec
des représentants des régions et des syndicats.
Des reporters du WSWS étaient présents à la manifestation de
2 000 personnes sur le site de Méaulte mardi matin ainsi qu’au rassemblement
devant la mairie d’Albert. Les manifestants ont écouté sous la pluie le
discours lugubre de Claude Piquet, représentant de FO, principal syndicat de
l’usine, qui a parlé au nom de tous les autres syndicats, notamment la
CGT (Confédération générale du travail, traditionnellement liée au Parti
communiste) et la CFDT (Confédération française démocratique du travail.)
Acceptant de façon tacite l’accord de restructuration,
Cliquet a appelé à un traitement équitable des parties françaises et allemandes
de la compagnie, tout en accusant par deux fois les actionnaires allemands et
ceux de Daimler de « boulimie ». Il a appelé les actionnaires à
augmenter leurs investissements et attaqué avec chauvinisme la Banque centrale
européenne dont le président Jean-Claude Trichet, « un Français », ne
faisait rien pour compenser la hausse de l’euro par rapport au dollar. Il
a implicitement demandé le recours à une dévaluation compétitive pour accroître
la profitabilité d’Airbus.
Cliquet n’a pas fait la moindre allusion à la
manifestation du 16 mars à Bruxelles contre Power 8 ou à aucun autre projet
pour poursuivre ou élargir la lutte. Ses remarques ont été suivies
d’applaudissements peu soutenus. Plus de la moitié des personnes
rassemblées sur la place ont gardé les mains dans leurs poches.
Bernard Déas, travailleur de 56 ans chez Airbus et proche de la
retraite a dit à la presse, « Nous sommes contre la fermeture. Si elle
parait sauvée pour le moment, qu’en sera-t-il dans 3 ou 5 ans ? La
survie d’Airbus, c’est important pour le travail des jeunes, les
commerçants, les sous-traitants. Nous sommes inquiets pour les jeunes. »
Christophe, un apprenti a dit au WSWS, « Mon avenir est
en jeu. Je suis formé pour devenir opérateur sur UGV c'est-à-dire sur une
machine à commande numérique à grande vitesse utilisée pour la tuyauterie du
kérosène pour les avions. Je ne suis pas sûr qu’on me donnera du travail
ici alors je suis là pour soutenir tout le monde. On est une trentaine d’apprentis
ici à Méaulte. Il y a aussi d’autres personnes en formation et des
stagiaires. ”
Quand on lui a demandé si la lutte devrait impliquer tous les
travailleurs des quatre pays où Airbus possède des usines, Christophe a
répondu, «C’est beaucoup mieux de s’unir et d’agir ensemble
plutôt que faire plein de petites manifestations. » Il a dit qu’il
croyait que la France payait un prix plus élevé que l’Allemagne et que le
côté allemand de l’entreprise était responsable des retards de
production, mais il a reconnu que cette crise d’Airbus n’était pas
la faute des travailleurs. « Si Airbus part, c’est toute
l’économie locale qui s’effondre, les emplois des travailleurs et aussi
les commerçants », dit-il.