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Elections québécoises : l’ADQ populiste de droite bénéficie du rejet des partis de l’establishment par les masses

Par Keith Jones
30 mars 2007

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Les élections de lundi dernier au Québec ont fait voler en éclats le cadre politique qui prévalait depuis trente ans dans la seule province canadienne à majorité francophone.

Les deux partis qui ont formé alternativement le gouvernement du Québec depuis le début des années 1970 — le Parti libéral du Québec (PLQ), fédéraliste, et le Parti québécois, indépendantiste — ont vu du nombre de leurs sièges et de leur appui populaire dégringolé.

L’Action démocratique du Québec (ADQ), un parti populiste de droite qui n’avait même pas le statut de parti officiel à l’Assemblée nationale avant le vote de lundi formera désormais l’opposition officielle.

Pour l’instant, les libéraux de Jean Charest, qui avaient obtenu la majorité des sièges lors des précédentes élections en avril 2003, détiennent toujours les rênes du pouvoir, bien qu’ils forment maintenant un gouvernement minoritaire et faible. Il est faible à cause de l’ampleur des pertes du PLQ, mais aussi à cause de l’ampleur des gains de l’ADQ. Les libéraux n’ont obtenu que sept sièges de plus que l’ADQ — 48  contre 41 dans une Assemblée nationale qui en compte 125 — et n’ont récolté que 100 000 voix de plus que l’ADQ.

La part du vote exprimé qui est allé aux libéraux a chuté de 13 pour cent, passant de 46 pour cent en 2003 à 33 pour cent lundi dernier, ce qui s’est traduit par la perte de 25 sièges à l’Assemblée nationale. Quatre ministres libéraux ont échoué à se faire réélire.

L’élection fut un coup encore plus dur pour le PQ, qui avait perdu le pouvoir en 2003 après avoir formé le gouvernement pendant neuf années. Durant la plus grande partie des quatre dernières années, les sondages ont indiqué que le PQ reprendrait le pouvoir aux prochaines élections. Mais il se trouve relégué au troisième rang, tant en termes de sièges que de votes.

Au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale, le PQ détenait 45 sièges. Aujourd’hui, il ne lui en reste que 36.

Lors des élections de 2003, la part du vote exprimé allant au PQ s’était évaporée alors que le nombre des Québécois ayant voté pour le parti indépendantiste diminuait d’un demi-million, passant de 1,7 million à 1,2 million. Lundi, l’hémorragie a continué. La part du vote exprimé allant au PQ est tombé d’un autre cinq pour cent et atteint maintenant 28,3 pour cent. Il faut remonter à 1970, deux ans après la formation du PQ d’une scission d’avec le Parti libéral, pour trouver des chiffres comparables.

Alors que Charest demeurera à la tête du Parti libéral, au moins à court terme, la presse était pleine de spéculation le lendemain du vote que le chef du PQ, André Boisclair, vanté pour être un jeune dirigeant télégénique, subira bientôt d’immenses pressions de la part de son parti pour sa démission.

Les résultats électoraux constituent une répudiation populaire massive des partis traditionnels de la grande entreprise. Ensemble, le PQ et le PLQ n’ont obtenu que 60 pour cent du vote exprimé. Mais en prenant en compte que près de 30 pour cent de l’électorat n’a pas voté (le deuxième plus grand taux d’abstention dans une élection au Québec), les partis de l’establishment n’ont été endossé que par 44 pour cent de l’électorat, comparé à 65 pour cent il y a neuf ans seulement.

Important virage à droite

Les élites dirigeantes québécoise et canadienne ont manœuvré pour que le mouvement de rejet serve à accomplir un virage important vers la droite. Elles ont considéré que l’élection leur offrait l’occasion de lancer un nouvel assaut sur les services publics et sociaux, de redistribuer la richesse encore plus vers la grande entreprise et les sections les plus privilégiées de la société en diminuant les impôts et pour faire pression pour une politique étrangère plus prédatrice et militariste pour défendre les intérêts du Capital canadien sur l’échiquier mondial.

Le gouvernement conservateur minoritaire canadien, qui est un des alliés les plus fervents de Bush, a considéré le gouvernement libéral de Charest comme un allié provincial important, sinon le plus important.

Charest n’a annoncé les élections qu’après d’intenses discussions avec le premier ministre Harper et ses conseillers. Harper avait prévu assurer la réélection de Charest en annonçant une augmentation des transferts fédéraux au Québec dans un budget présenté durant la dernière semaine de la campagne. Il espérait ensuite utiliser l’effet politique de la défaite du PQ indépendantiste aux mains de Charest pour tenter d’obtenir une majorité parlementaire dans une élection fédérale printanière. 

Les conservateurs sont impatients d’annoncer une élection, car ils savent qu’il n’y a qu’une faible base d’appui pour leur programme néolibéral et militariste. Ils espèrent obtenir une majorité en camouflant leur véritable programme et en utilisant les politiques de scandale et de provocation.

Bien qu’inattendue, la soudaine montée de l’ADQ est vue par Harper et ses conservateurs comme très favorable pour remodeler radicalement le Canada en faveur de l’élite patronale. Après tout, Mario Dumont se vante d’avoir voté pour Harper lors de la dernière élection fédérale. L’ADQ et l’aile québécoise des conservateurs ont en commun plusieurs organisateurs et activistes, et le programme populiste de droite de l’ADQ équivaut à celui du Reform Party de Preston Manning — le parti dans lequel Harper a fait ses preuves politiques et qui constitue l’une des deux principales composantes de l’actuel Parti conservateur fédéral.

Un Harper radieux a proclamé mardi : « Nous avons un gouvernement qui est opposé à un référendum [sur l’indépendance du Québec] et une opposition officielle opposée à un référendum... C’est un grand résultat pour le Canada. »

Pendant ce temps, les analystes des médias ont ardemment cherché à présenter les résultats de l’élection au Québec comme l’indication d’un profond et massif tournant populaire vers la droite. L’ADQ, nous disent-ils, est la véritable voix du Québec, du moins le Québec à l’extérieur de la métropole multiethnique de Montréal.

Dumont, dans son discours victorieux de lundi soir, a déclaré que l’élection était un « cri du coeur » du peuple. Il a fait plus tard indirectement référence aux politiques de droite qu’il mettra de l’avant en tant que chef de l’opposition officielle, appelant à la « modernisation de l’Etat québécois », un synonyme de privatisation et de coupes dans les services sociaux, et « un système de santé mixte », c’est-à-dire le démantèlement d’un système de santé public universel de qualité.

En réalité, les résultats électoraux de lundi sont beaucoup plus indicatifs d’un tournant marqué vers la droite de la part de la bourgeoisie québécoise que de la classe ouvrière.

Le gouvernement libéral de Charest a implémenté une série de politiques de droite. Il a amendé le Code du travail pour faciliter la sous-traitance, a augmenté les frais de garderies, les assurances automobile et les coûts d’électricité, a décrété des contrats à la baisse d’une durée de sept ans pour un demi-million de travailleurs du secteur public, et a adopté une loi permettant l’expansion rapide au Québec du système de santé privé et pour le profit. 

Malgré tout, le gouvernement Charest a été sévèrement critiqué par la grande entreprise pour ne pas avoir respecté sa promesse de diminuer les impôts des particuliers de 1 milliard $ par année, soit de 15 milliards $ sur cinq ans, et en général pour ne pas être allé de l’avant avec des politiques impopulaires visant à rendre le Québec plus profitable aux investisseurs. La consternation qui règne au sein de l’élite face à la résistance populaire à leur programme de droite a été exemplifiée par un manifeste, « Pour un Québec lucide », rédigé par d’éminents fédéralistes et indépendantistes, y compris l’ancien premier ministre péquiste Lucien Bouchard qui se plaignait de « l’immobilisme » et de l’antipathie populaire envers l’entreprise.

C’est pourquoi, lorsque les médias virent que l’ADQ, qui n’enregistrait que 12 pour cent d’appui dans les sondages l’automne dernier, réussissait à exploiter l’hostilité populaire envers les partis de l’establishment qui avaient supervisé le développement d’une plus grande insécurité économique et polarisation sociale durant les deux dernières décennies, ils ont donné une attention toute particulière à l’ADQ. Particulièrement odieuse a été la légitimité qu’ont donnée les médias et, par la suite le PQ et le PLQ, à la démagogie chauvine de Dumont — que le Québec a été beaucoup trop accommodant envers les immigrants et les minorités religieuses.

Dumont, pour sa part, avait précédemment cherché à obtenir l’appui du monde des affaires en recrutant Gilles Taillon, l’ancien président du Conseil du patronat du Québec, la principale association patronale de la province, comme vice-président de l’ADQ et second en commandement.

Même d’un point de vue électoral étroit, la vague adéquiste est largement exagérée, entre autres parce que plusieurs de ceux qui ont voté pour l’ADQ ont dit l’avoir fait en guise de protestation contre l’establishment politique.

Un peu plus d’un Québécois sur cinq a voté pour l’ADQ. Bien que l’ADQ ait gagné un demi-million de votes, des partis qui se proclamaient à gauche du PQ et du PLQ, les Verts et Québec solidaire (QS), ont récolté quelque 250 000 votes de plus que les Verts et l’Union des forces progressistes, le prédécesseur de QS, avaient récolté en 2003, pour un vote populaire total combiné juste au-dessous de 8 pour cent.

Ceci étant dit, les résultats de l’élection de lundi soulignent l’urgence pour la classe ouvrière de rompre avec la politique nationaliste et pro-capitaliste de la bureaucratie syndicale qui, durant des années, a été un des principaux piliers du PQ et développer une nouvelle direction.

Le virage à droite entrepris par l’Assemblée nationale du Québec va être utilisé pour intensifier l’offensive de la grande entreprise contre les positions sociales de la classe ouvrière et les droits démocratiques à travers le Canada. Les politiques chauvines de droite qui diabolisent les minorités ont gagné une nouvelle légitimité. Le fait que les musulmans aient été spécialement visés n’est pas qu’un simple incident dans le présent contexte où l’élite canadienne tente de justifier sa participation dans une guerre impérialiste en évoquant la nécessité d’émanciper les femmes musulmanes. 

Si l’ADQ, avec l’assistance du consortium médiatique, a été capable de puiser et de manipuler la colère et la frustration des travailleurs à l’égard de l’establishment, c’est parce que la bureaucratie a complètement isolé la classe ouvrière et supprimé son opposition à l’assaut contre les emplois, les salaires, les droits des travailleurs du secteur public.

Le gouvernement Charest a été torpillé par des protestations de masse. Il y a tout d’abord eu en décembre 2003 une explosion de manifestations et de grèves de toute la province contre une série de mesure de droite et au printemps 2005 une grève étudiante qui a duré plusieurs semaines. Dans les deux cas, les dirigeants syndicaux sont intervenus pour torpiller le mouvement d’opposition, sous prétexte d’assurer la « paix sociale ».

La participation directe des syndicats au programme de coupes massives dans les dépenses sociales mené par les gouvernements péquistes de Parizeau, de Bouchard et de Landry de 1994 à 2003 a été tout aussi importante

Il ne fait aucun doute que la réponse de la direction syndicale à la montée de l’ADQ sera de collaborer plus étroitement encore avec les partis de la grande entreprise du PQ et du PLQ.

Le nationalisme a servi à diviser les travailleurs au Québec de leurs frères et soeurs de classe du reste du Canada anglais, des Etats-Unis et d’ailleurs dans le monde et à les subordonner au PQ et à son projet réactionnaire de création d’un Etat québécois capitaliste indépendant. Il permet maintenant au parti populiste de droite de l’ADQ de manipuler la colère populaire et la frustration générée par la crise sociale causée par le système de profit.

L’expérience des travailleurs au Québec au cours du dernier quart de siècle est fondamentalement la même que celle des travailleurs à travers le monde. Les vieilles organisations nationalistes syndicales et les partis sociaux-démocrates sont devenus des instruments que le capital utilise pour intensifier toujours plus l’exploitation de la classe ouvrière. Pour vaincre les compagnies transnationales et empêcher que le monde ne soit entraîner dans une série d’escalade de guerre prédatrice entre les différentes cliques capitalistes nationales rivales, les travailleurs doivent adopter une stratégie socialiste internationaliste visant à mobiliser la classe ouvrière internationale contre la subordination de la vie socio-économique aux profits privés et contre le système dépassé des États- nations.

(Article original paru le 28 mars 2007)

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