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WSWS : Nouvelles et analyses : Amérique du Sud

L’« aide » de Bush à l’Amérique du Sud rappelle les programmes nationaux visant à cacher l’oppression

31 mars 2007
Par Vitor Hugo et R. Pichuaga à Sao Paulo

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A la veille de son récent voyage en Amérique du Sud, le président américain George W. Bush et son administration se sont plaints que Washington n’était pas reconnu pour l’aide qu’il apporte à cette région, soit 1,8 milliard de dollars en 2007. Toutefois, la moitié de cette somme, en baisse de 200 millions par rapport à l’année précédente, va à l’aide militaire.

Pour tenter de faire la démonstration de la générosité américaine, Bush a annoncé la veille de son départ une aide supplémentaire : 75 millions pour l’éducation, 385 millions pour le financement de prêts immobiliers pour les pauvres et pour une tournée des ports d’un navire-hôpital de l’armée américaine dans le but d’offrir des soins aux personnes à faibles revenus.

Non seulement cela n’est-il qu’une goutte d’eau dans la mer étant donné la pauvreté de masse dans cette région du monde, mais le montant de l’aide dans son ensemble représente une diminution importante de ce que Washington offrait à une époque précédente où l’Amérique du Sud était perçue comme un des endroits où il fallait lutter contre le communisme dans le cadre de la Guerre froide. Dans les années 1960, l’Alliance pour le progrès, du président américain John F. Kennedy, donnait à la région une aide se chiffrant à 10 milliards de dollars en termes actuels.

La tentative de Bush d’obtenir un soutien politique sans qu’il lui en coûte a échoué lamentablement. Des manifestations de masse ont été organisées contre lui dans toutes les villes où il est allé. La prétendue aide promise a été accueillie avec dérision par presque tous. Il en est ainsi en partie parce que les gouvernements bourgeois d’Amérique du Sud, qui ont leurs propres programmes d’« aide » ayant pour objectif d’obtenir un soutien politique et d’empêcher les soulèvements sociaux, font concurrence à Bush.

Par exemple, au Brésil, la première étape de la tournée de Bush, le gouvernement du président Luiz Inacio Lula da Silva a introduit le programme Bolsa família (Bourse familiale) en octobre 2003. Ce programme offre une prestation de 50 réals (23 dollars américains) par mois aux familles qui ont un revenu mensuel par personne de 60 réals (28,60 dollars) ou moins. En plus des 50 reals, la famille peut recevoir 15 réals (7.14 dollars) pour chaque enfant ou adolescent et pour un maximum de trois dépendants. Ainsi, une famille peut recevoir une aide mensuelle de l’Etat pouvant atteindre 95 réals (45.23 dollars). Une obligation pour obtenir l’aide gouvernementale est que l’enfant aille à l’école et qu’il participe aux programmes de vaccination.

Alors que cette aide vise particulièrement les Brésiliens les plus pauvres, d’autres couches de la société en bénéficient elles aussi. Parmi celles-ci, on trouve l’establishment politique qui en bénéficie lui très directement : des politiciens corrompus détournent vers leurs coffres une bonne partie des ressources du programme Bolsa família.

Des irrégularités importantes ont été découvertes dans au moins 121 municipalités sur les 5560 que compte le Brésil. Les ressources dévolues au programme ont été utilisées pour augmenter les salaires de membres de conseils municipaux, comme ce fut le cas dans la ville de Nazaré, ou même pour financer les campagnes électorales de candidats soutenus par le gouvernement central, comme à Guaribas et à Acaua, deux villes du l’état du Piaui, au nord-est du pays. Les ressources de ce programme ont aussi été détournées au profit d’hommes d’affaires de la classe moyenne, comme on le découvrit à Teixeira de Freitas, dans l’état de Bahia. Même les morts peuvent recevoir de l’aide, comme on s’en rendit compte à Nanoai et à Sananduva, dans l’état du Rio Grande do Sul.

D’autres couches bénéficient indirectement de ce programme. C’est particulièrement le cas pour les grands propriétaires fonciers du nord-est du Brésil et pour des hommes d’affaires des petites villes de l’intérieur du pays. Les premiers tirent profit du fait que les travailleurs ruraux travaillent au noir dans le but de ne pas perdre leur droit aux allocations de la Bolsa família. Ces derniers craignent que leur salaire puisse servir à prouver que leurs revenus dépassent les limites imposées par le programme. Pour les propriétaires, cela signifie qu’ils n’auront pas à payer les diverses charges sociales requises légalement ou le tiers additionnel de salaire pour les vacances.

Ainsi, grâce à Bolsa família, les grands propriétaires terriens ont à leur disposition une main-d’oeuvre moins chère et encore plus docile. Ce qui revient en fait à ceci : le gouvernement fédéral assume les coûts de mesures minimales qui profitent aux employeurs sous le couvert de Bolsa família. Autrement dit, une part des ressources publiques consacrées à ce programme représente un transfert de richesse du gouvernement fédéral aux grands propriétaires terriens du nord-est, les travailleurs pauvres servant d’intermédiaires.

D’un autre côté, cela démontre aussi que la situation de misère totale dans laquelle se trouve la majorité des travailleurs ruraux du Brésil est telle qu’ils sont prêts à abandonner leurs propres droits de travailleurs en échange d’une petite quantité d’argent offerte par le gouvernement.

Mise à part la question du détournement d’argent pour servir d’autres fins, le programme a certainement un but politique. Il a servi à créer une importante base d’appui au gouvernement de Lula, constituée non seulement des très pauvres, mais aussi des grands propriétaires terriens et des éléments corrompus qui réussissent à détourner des ressources.

Si l’on compare le pourcentage du vote allant à Lula dans les élections 2006 pour chaque région du pays avec la distribution géographique du programme Bolsa família, l’énorme influence qu’a eu le programme dans les élections devient aussitôt évidente. Au deuxième tour, Lula a été propulsé devant son opposant, Geraldo Alckmin, dans la région du nord-est, gagnant avec 77,1 pour cent contre 22,9 à son adversaire. Rappelons que plus de la moitié de ceux qui bénéficient de Bolsa família sont concentrés dans cette région.

Ainsi, au sud du Brésil, où Bolsa família joue un rôle plus modeste, Lula a été battu par le candidat de droite de l’opposition.

L’année dernière, selon un reportage du magazine Epoca, une personne sur quatre qui avait voté pour Lula avait affirmé avoir voté pour le président sortant à cause de son programme social. En finançant relativement modestement par les fonds publics (8,6 milliards de réals ou 4,1 milliards de dollars) des programmes qui ne génèrent pas vraiment de développement, qui ne créent pas de nouvelles industries ou de nouveaux emplois et qui ne viennent pas à bout de la pauvreté à laquelle font face les travailleurs, Lula réussit à perpétuer son gouvernement, créant un immense réseau de bénéficiaires reconnaissants, et pauvres.

Avec ses programmes d’aide, Lula obtient le soutien des travailleurs les plus pauvres, tout en gouvernant au nom de la bourgeoisie et des grands banquiers, réalisant les contre-réformes exigées par le capital international contre les travailleurs.

L’Amérique latine et les programmes d’assistance sociale

Le rôle joué par les programmes d’assistance sociale pour assurer la réélection des présidents sortants peut être observé à travers toute l’Amérique latine. La version mexicaine de Bolsa família, appelée Oportunidades, a été un facteur décisif dans la victoire serrée du candidat du parti de droite PAN, Felipe Calderon, en juillet dernier. Au Venezuela, Hugo Chavez doit sa popularité parmi les sections les plus pauvres des travailleurs en grande partie à ses programmes d’aide de plusieurs milliards de dollars : Missiones.

En Argentine, le président Nestor Kirchner soutient son gouvernement par des programmes sociaux. Le programme connu sous le nom de jefes de hogar (maîtres de maison) a, selon les chiffres du gouvernement, fourni une petite aide à près de 2 millions de chômeurs argentins. Comme pour Lula, ceci est la véritable base politique de Kirchner qui sera la plate-forme pour le successeur qu’il aura choisi. Dans ce cas-ci, le candidat le plus probable serait sa femme, la sénatrice Cristina Kirchner.

De la même manière, la présidente du Chili, Michelle Bachelet, a annoncé que 68 pour cent du budget du gouvernement iraient en 2007 aux programmes sociaux.

Aucun de ces programmes, et encore moins la misérable et insultante aide annoncée par Bush durant sa récente tournée en Amérique du Sud, ne peut résoudre les graves problèmes auxquels les travailleurs d’Amérique du Sud et d’ailleurs dans le monde sont confrontés. Est-ce que ces programmes sont en mesure d’améliorer les conditions de vie des travailleurs dans leur ensemble de façon réelle et durable ? Les statistiques de l’Organisation internationale du Travail (OIT) indiquent clairement que la réponse est non.

Selon l’OIT, les cinq dernières années, qui ont été caractérisées par une forte croissance de l’économie mondiale (en d’autres mots, une période qui semblerait extrêmement favorable à l’amélioration des conditions de vie de la population laborieuse) le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (un dollar par jour et par personne) est resté pratiquement stable en Amérique du Sud, dans les Caraïbes, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Ceci, malgré plusieurs programmes d’aide mis en place par différents gouvernements.

L’inévitable question est la suivante : à quoi doit-on s’attendre pour l’avenir, alors que tout indique que ce sera une période de récession et de croissance aiguë du nombre des chômeurs ? Il suffit de considérer les événements des quatre derniers mois, où les plus grandes compagnies ont licencié des dizaines de milliers de travailleurs dans toutes les régions du globe : Volkswagen à Bruxelles, 3 300 ; Volkswagen dans la région de São Paulo, 3 300 ; Chrysler aux États-Unis, 13 000 ; Airbus en Europe, 10 000 ; Bayer, 6 100 ; Coca-Cola, 3 500 et Multbras au Brésil, 400. Que peuvent attendre les travailleurs et les chômeurs de la période à venir ?

Il n’y a qu’une réponse à cette question troublante : indépendamment des multiples programmes d’aide, ce que le capitalisme offre à l’humanité n’est qu’une destruction systématique et croissante des forces productives de celle-ci. Le plan élaboré par Bush et Lula en vue d’une augmentation massive de la production de biocarburants menace de créer des déserts sans eau et sans nourriture de base pour la vaste majorité de la population. La guerre a dévasté des régions entières, comme l’Irak et le Liban. Les bidonvilles s’étendent partout à travers le globe. Et, par-dessus tout, des millions et des millions de travailleurs sont quotidiennement confrontés à la pauvreté et au chômage, sans aucune perspective de vie décente pour eux-mêmes et leurs enfants.

Le programme d’aide de Lula ne change rien au fait que le Brésil continue de détenir un des taux de chômage officiels les plus élevés au monde (9,3 pour cent), comparable à l’Afrique subsaharienne (9,8 pour cent) et dépassé seulement par le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (12,2 pour cent à la fin de 2006)

Les programmes d’aide de Lula, de Chavez et Kirchner, sans mentionner les différents programmes d’aide des Nations unies, sont incapables de résoudre, même de façon minime, les véritables problèmes que doit affronter la majorité des travailleurs. Les travailleurs veulent avoir la possibilité de travailler et de produire, d’avoir un salaire suffisant pour le logement, la nourriture, les services de santé et les loisirs.

Ces demandes minimales, cependant sont, pour le système de profit capitaliste, impossibles à satisfaire. Au lieu de chercher les moyens de résoudre les problèmes de l’humanité, Lula, Chavez, Kirchner et l’infime majorité qui contrôle le grand capital international, défendent un système qui crée les conditions de la barbarie partout à travers le globe, tout en cherchant à détourner la colère des ouvriers en distribuant de misérables aumônes et en vantant les mérites de leurs programmes d'aide hypocrites.

(Article original paru le 22 mars 2007)

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