La présidente à vie du Parti populaire du
Pakistan, Benazir Bhutto, a été forcée de condamner avec plus de fermeté
l’officier soutenu par les Américains, le général Pervez Musharraf et son
régime de loi martiale.
Le lundi 12 novembre, Bhutto a annoncé
qu’elle mettait un terme à ses négociations avec Musharraf, négociations qui
ont débuté il y a des mois à la demande pressante de l’administration Bush dans
l’espoir que cela offrirait un vernis démocratique au gouvernement contrôlé par
l’armée.
« Nous ne pouvons travailler avec une
personne ayant suspendu la constitution, imposé l’état d’urgence et opprimé la
branche judiciaire, a dit Bhutto. Nous disons non à d’autres
pourparlers. »
Puis, le lendemain, après que le
gouvernement ait, pour la deuxième fois en cinq jours, mobilisé les forces de
sécurité en masse pour l’empêcher de prendre la tête d’une manifestation contre
la loi martiale, Bhutto a demandé la démission de Musharraf en tant que
président et chef des forces armées pakistanaises.
« Je demande que le général Musharraf
démissionne, qu’il quitte, qu’il abandonne », a dit Bhutto à un groupe de
journalistes lors d’un entretien téléphonique de sa résidence de Lahore qu’elle
ne peut quitter depuis le 15 janvier.
Bhutto a clairement montré que c’était avec
regret qu’elle prenait cette position. Parlant de Musharraf, qui a pris le
pouvoir en 1999 par un coup d’état, écrit une constitution donnant le rôle
principal à l’armée dans la politique gouvernementale, truqué plusieurs fois
les élections et utilisé la force pour réprimer l’opposition, elle a dit:
« Je crois qu’il a fait trop peu, trop tard. Il continue à vouloir acheter
du temps… Le Pakistan a besoin de stabilité. Je ne pourrais pas être première
ministre si Musharraf demeurait président. J’aimerais pouvoir le faire. »
Bhutto sait que l’administration Bush souhaiterait la voir
collaborer avec Musharraf, son allié de longue date, et elle ainsi que la
direction du Parti du peuple pakistanais (PPP) admettent que l’armée est
cruciale à la défense de leurs propres privilèges, soit le maintien de l’ordre
social hautement inéquitable du Pakistan et de son intégrité en tant
qu’Etat-nation.
Durant des mois, elle a déconseillé le déclenchement d’un
mouvement populaire contre le régime militaire, affirmant que cela pouvait
rapidement échapper au contrôle de l’élite politique traditionnelle.
Depuis que Musharraf a décrété la loi martiale afin
d’empêcher que la Cour suprême
n’invalide son simulacre de réélection à la présidence, Bhutto a tenté
d’aligner ses actions sur les appels de l’administration Bush, demandant à
l’opposition de faire preuve de « retenue » et à toutes les
« forces modérées » de collaborer avec le général-président pour la
« démocratie ».
En agissant de la sorte, elle s’est davantage attirée
l’opprobre de la population et a essuyé les critiques du PPP, pour avoir frayé
avec un violent régime dictatorial qui s’en prend de plus en plus aux partisans
du PPP.
Tard lundi en soirée et mardi, des milliers d’agents des
forces de sécurité, dont de nombreux armés de AK-47, furent mobilisés pour
empêcher le PPP d’organiser une caravane de protestation, de Lahore à la
capitale Islamabad. La résidence à Lahore où se trouvait Bhutto était entourée
de fils barbelés, de véhicules et de 900 policiers. Dans ce qui était en fait
un acte d’intimidation, mais qui fut présenté comme une mesure pour prévenir
une attaque terroriste contre Bhutto, des tireurs d'élite furent postés dans
des buildings voisins.
Il n’y a aucun moyen de déterminer précisément le nombre de
politiciens, d’avocats, de militants des droits de l’homme et de syndicalistes
qui ont été mis sous détention préventive ou arrêtés pour avoir défié le régime
de la loi martiale. Le New York Times a rapporté lundi, avant qu’une
nouvelle vague d’arrestations ne soit dirigée contre des partisans du PPP qui
prévoyaient rejoindre la caravane de mardi, que des diplomates occidentaux
évaluaient leur nombre total à 2500. L’appareil judiciaire a été purgé. La
plupart des stations de télévision privées ne diffusent pas, ayant refusé de se
plier à un code de censure draconien qui menace d’emprisonner les diffuseurs
qui s’opposent au gouvernement.
Le week-end dernier, le gouvernement a soumis des civils
aux tribunaux militaires sous des chefs d’accusation allant de trahison à
« déclarations ayant entraîné des méfaits publics ».
Après l’appel de Bhutto à la démission de Musharraf, des
diplomates occidentaux ont dit au Financial Times de Londres qu’ils ne
croyaient pas que le dirigeant du PPP et deux fois ancienne premier ministre
ait véritablement fermé la porte à une entente avec Musharraf et les
militaires. « Mon sentiment est qu’une rupture complète n’a pas encore eu
lieu, compte tenu de l’influence américaine sur les deux parties », a
déclaré un diplomate anonyme. Le Washington Post, pendant ce temps,
citait un autre diplomate occidental anonyme, qui aurait dit « Bhutto
est experte en relations publiques. Elle ne va pas renverser sa propre "charrette
de pomme". »
Mais Musharraf et le régime militaire ont répondu aux
manœuvres de Bhutto avec de plus en plus de colère et de crainte. Dans des
entrevues données mardi avec NBC et le New York Times, Musharraf divaguait
contre les activistes des droits de l’homme et la presse, tout en accusant
Bhutto d’adapter une attitude de « confrontation » depuis son retour
au Pakistan le 18 octobre après huit ans d’exil.
Inquiet de voir que les événements au Pakistan pourraient mener
au scénario cauchemardesque pour Washington d’une confrontation entre le peuple
pakistanais et l’armée, l’administration Bush a annoncé que le secrétaire
d’État adjoint, John Negroponte, allait se rendre à Islamabad plus tard cette
semaine.
L’administration Bush veut désespérément soutenir le régime
militaire d’Islamabad, parce qu’il joue un rôle si crucial autant dans
l’occupation américaine de l’Afghanistan – la moitié du pétrole utilisé par les
forces en Afghanistan ainsi que d’autres équipements cruciaux arrivent par le
Pakistan – que pour les préparatifs d’une confrontation militaire du Pentagone
contre l’Iran.
Selon le département d’État, le message que Negroponte est
supposé livrer à Musharraf est qu’il doit lever la loi martiale avant les élections
du début janvier. Apparemment, même l’administration Bush trouverait difficile
de soutenir à la face du monde qu’une élection durant laquelle les gens
pouvaient être emprisonnés pour avoir critiqué le gouvernement, la presse était
censurée et les rassemblements interdits est « libre et impartiale ».
Dans un article publié mardi soir, le New York Times
citait des représentants anonymes de l’administration Bush, qui auraient dit
être « de plus en plus frustrés tant par le général Musharraf que par Bhutto »
et qu’ils « tentent de prendre discrètement le pouls de l’armée pakistanaise
pour y déceler des signes au sein de la caste des officiers » de
« refroidissement à son égard ».
« Ce n’est pas une question de provoquer quelque
chose », a dit un responsable. « Nous voulons seulement être certains
de garder un œil sur la situation de toutes les parties concernées. »
En d’autres mots, l’administration Bush explore la
possibilité de changer de général, de disposer de Musharraf dans le but
d’éviter un soulèvement populaire qui pourrait menacer le gouvernement contrôlé
par les militaires.
Mais les événements au Pakistan, et ceux en Irak, ont déjà
démontré que les visées de l'impérialisme américain excèdent de plus en plus
ses capacités.