S.P. Thamilchelvan, principal négociateur du
LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) a été tué dans une attaque
aérienne de l’aviation sri lankaise aux premières heures du vendredi 2 novembre
près de la place forte de Kilinochchi. Le raid aérien qui s’appuyait sur ce
qu’un porte-parole de l’aviation a décrit comme « une information très
fiable » a aussi entraîné la mort de cinq autres responsables importants
du LTTE.
Le fait qu’on ait délibérément attaqué Thamilchelvan
montre l’absurdité de l’affirmation du gouvernement sri lankais selon laquelle
celui-ci respecterait l’accord de cessez-le-feu de 2002 et de ses appels
occasionnels à une fin négociée de la longue guerre civile. En tant que chef de
l’aile politique du LTTE, Thamilchelvan avait fait partie ou avait dirigé,
durant les cinq dernières années, de nombreuses délégations du LTTE lors de
pourparlers de paix avec le gouvernement sri lankais.
Le président Mahinda Rajapakse a déclenché,
depuis le mois de juillet 2006, une suite d’opérations offensives dans le but
de s’emparer des territoires tenus par le LTTE dans l’est de l’Ile, en
violation flagrante de l’accord de cessez-le-feu de 2002. L’assertion selon
laquelle ces opérations étaient de nature « défensive » était
destinée à conserver le soutien des principales puissances. L’assassinat
calculé du principal négociateur du LTTE montre clairement que le gouvernement
sri lankais n’a aucune intention de conduire des négociations sérieuses et
qu’il a au contraire l’intention de détruire le LTTE par des moyens militaires.
Il est significatif qu’aucune des puissances
qui supervisent le soi-disant processus international de paix (les Etats-Unis,
l’Union européenne, la Norvège et le Japon) n’a prononcé une seule parole
critique à propos de cet acte de guerre patent. Il y a peu de temps,
l’ambassadeur des Etats-Unis à Colombo, Robert Blake, a condamné une attaque
récente du LTTE et exprimé sa sympathie aux familles des militaires qui y
furent tués. Aucune déclaration de ce genre n’a été publiée à propos de la mort
de Thamilchelvan que beaucoup de diplomates engagés dans les négociations sri lankaises
connaissaient personnellement. Le silence de la part des grandes puissances sur
les actions du gouvernement revient à une approbation de la reprise de la
guerre par celui-ci.
La mort de Thamilchelvan a été reçue avec une
satisfaction à peine contenue dans les cercles dirigeants de Colombo. Le
porte-parole de l’armée, le brigadier Udaya Nanayakkara, a essayé de justifier
le meurtre de Thamilchelvan en prétendant que le dirigeant de la branche
politique du LTTE avait été impliqué dans de récentes actions militaires. Thamilchelvan,
qui était âgé de 40 ans, boitait fortement à la suite d’une grave blessure
reçue en 1993 au cours d’une bataille avec l’armée sri lankaise.
Nanayakkara a affirmé que la mort de Thamilchelvan
représentait pour les forces armées un « encouragement moral » et
serait « une grande perte pour le LTTE ». L’attaque aérienne s’est
produite moins de quinze jours après que des membres de la guérilla du LTTE
eussent pénétré sur une base aérienne importante située près de la ville d’Anuradhapura,
dans le nord de l’île, et y avaient détruit ou endommagé un certain nombre
d’avions. Ce qui a causé plus de dommages que les pertes matérielles et
physiques, c’est que le raid a fait éclater la propagande gouvernementale selon
laquelle l’armée sri lankaise avait mis le LTTE en fuite.
Dans une allocution prononcée au soir du 2
novembre, Rajapakse a fait l’éloge des forces armées pour leur
« engagement et leur dévouement optimaux pour sauver leur patrie d’une
fragmentation grave et imminente. » Bien qu’il n’ait fait aucune référence
à l’assassinat de Thamilchelvan, le président a répété que le gouvernement
était résolu à obtenir une « paix honorable » et que le LTTE ne
pouvait pas « imposer de conditions ». Ce sont là des phrases
codées signifiant qu’aucune concession ne sera faite au LTTE et par conséquent qu’il
n’y aura aucune négociation.
Le frère du président, le ministre de la
Défense, Gotabhaya Rajapakse, ne s’est pas donné la peine de cacher ses
intentions. « Ce n’est là qu’un message pour dire que nous savons où se
trouvent leurs dirigeants. Je connais l’endroit où se trouvent tous leurs
dirigeants… si nous le voulons, nous pouvons les prendre l’un après
l’autre », se vanta-t-il, parlant à l’agence de presse Reuters. Il a
appelé les dirigeants du LTTE à « sortir » sans délai, c'est-à-dire à
capituler sans conditions.
Le parti extrémiste cingalais JVP (Janatha Vimukthi
Peramuna) qui revendique une intensification de la guerre jubilait lui aussi.
Le dirigeant de la fraction parlementaire du JVP, Wimal Weerawansa, a pressé le
gouvernement de déclarer ouvertement que l’assassinat était une victoire pour
l’armée et pour le peuple. Le député du JVP Vijitha Herath a décrit l’attaque
comme un coup porté à ceux qui appelaient à la reprise des pourparlers de paix
à la suite du raid d’Anuradhapura.
L’événement a aussi été célébré en chœur dans
la presse de Colombo. Le journal de droite Island a intitulé son article
de samedi : « L’aviation nous venge du raid d’A’pura et se paye la
face publique des Tigres ». Dimanche 4 novembre Lakbima News publiait
une photo du dirigeant du LTTE V, Prabhakaran, rendant hommage à Thamilchelvan
et ayant pour titre « Cette fois, c’est lui — et la
prochaine ? » poussant, en d’autres mots, au meurtre de Prabhakaran.
Le parti d’opposition UNP (United National Party)
qui a signé l’accord de cessez-le-feu et entamé les négociations avec le LTTE y
compris avec Thamilchelvan n’a toujours pas publié de déclaration. Mais il est
déjà clair que l’UNP s’adapte à la nouvelle guerre menée par le gouvernement et
à son exacerbation des tensions communautaristes. Dans des commentaires faits
au journal Daily Mirror l’organisateur national de l’UNP, S.B. Dissanayake,
déclarait : « On ne devrait pas avoir de regrets quant à sa mort [la
mort de Thamilchelvan]. »
Le LTTE a réagi à l’assassinat de Thamilchelvan
avec sa propre politique communautariste. Prabhakaran, le dirigeant du LTTE,
dit dans une déclaration publiée samedi 3 novembre : « La nation
cingalaise a pris la vie d’un dirigeant politique profondément aimé dans le
monde tamoul et grandement respecté dans la communauté internationale. »
Les Cingalais ordinaires cependant sont tout aussi peu responsables de la mort
de Thamilchelvan que de la reprise de la guerre, à laquelle la majorité de la
population travailleuse est opposée.
Directement responsables de la guerre ont été
les gouvernements sri lankais qui se sont succédés depuis 1983 et ont exploité
le chauvinisme anti tamoul pour diviser les travailleurs et étayer leur propre
base sociale. Mais la perspective du LTTE d’un petit Etat tamoul séparé
représente les intérêts de la bourgeoisie tamoule, pas ceux des travailleurs
tamouls. En acceptant des négociations avec le gouvernement en 2002, le LTTE
recherchait un accord de partage du pouvoir qui permettrait la transformation
de l’île en une plateforme de main-d'œuvre à bon marché à des fins
d’exploitation commune de la classe ouvrière par toutes les parties de l’élite
dirigeante.
L’échec des pourparlers de paix et la reprise
de la guerre témoignent de l’incapacité de l’establishment politique de
Colombo de rompre avec la politique du chauvinisme. L’assassinat de Thamilchelvan
est calculé pour enflammer les tensions entre communautés et conduira
inévitablement à une nouvelle escalade de la guerre. Le recours par Rajapakse à
de telles méthodes donne la mesure de la crise profonde à laquelle fait face le
gouvernement, du fait du mécontentement et de l’opposition croissante au
fardeau économique engendré par la guerre.
Une grève de deux jours de la part de 200.000
enseignants du secteur public il y a deux semaines ne fut empêchée qu’à la
dernière minute par les dirigeants syndicaux qui ont capitulé devant la
pression du gouvernement et l’ont annulée. Des milliers de travailleurs des
hôpitaux ont arrêté le travail pendant deux jours fin octobre pour demander une
hausse de salaire et pour protester contre des conditions de travail qui
s’aggravent. Et le 25 octobre la police a violemment dispersé une manifestation
de milliers de diplômés sans travail.
La hausse des prix, due en partie aux dépenses
massives du gouvernement pour la guerre, impose un fardeau insupportable à la
population travailleuse. En octobre l’index du coût de la vie a augmenté
brusquement de 210 points pour atteindre 5723, ce qui correspond à un taux
annuel de 19,3 pour cent (17,3 pour cent pour septembre). Le gouvernement a
augmenté les dépenses militaires de 45 pour cent et prévoit une nouvelle
augmentation de 20 pour cent l’année prochaine. En conséquence, les subventions
et les services gouvernementaux, tout comme les salaires et les conditions de
travail des ouvriers du secteur public, ont été réduits drastiquement.
Afin de neutraliser une agitation croissante,
les ministres du gouvernement dénoncent régulièrement les protestations et les
grèves comme étant antipatriotiques et ont imposé une suite de lois
antidémocratiques d’urgence. Le 29 octobre, Rajapakse a proclamé de nouveaux
règlements d’urgence afin de censurer toute information sur les déploiements ou
les activités militaires y compris l’acquisition de matériel de défense. Cette
mesure était destinée non seulement à réprimer toute critique de la guerre,
mais aussi toute critique des scandales qui ont éclaté à propos de l’achat
d’avions de chasse Mig-27 à l’Ukraine. A la suite d’une vague de protestation,
le gouvernement a dû révoquer ces nouveaux règlements.
L’armée s’est servie de l’assassinat de Thamilchelvan
pour justifier l’intensification des barrages routiers, des contrôles
d’identité et des raids, affirmant que le LTTE allait riposter. Samedi, les
forces de sécurité ont bloqué toutes les autoroutes menant à Colombo et y ont
contrôlé tous les véhicules et tous les passagers. Le vice inspecteur général
de la police, responsable de Colombo, a annoncé que des troupes supplémentaires
avaient été mobilisées afin de renforcer la sécurité dans la capitale.
L’assassinat de Thamilchelvan souligne une
fois de plus les dangers énormes auxquels fait face la population travailleuse
et la nécessité d’une rupture complète avec la politique communautariste sous
toutes ses formes, tant chauviniste cingalaise que séparatiste tamoule, et d’un
tournant vers une politique socialiste d’alternative pour combattre la guerre,
l’inégalité sociale et les attaques contre les droits démocratiques.
(Article original anglais paru le 12 novembre
2007)