Les assemblées générales de cheminots qui se sont tenues dans
toute la France lundi ont voté à 96 pour cent la reconduction de leur grève
contre le démantèlement des régimes spéciaux de retraite et la participation à
la mobilisation des fonctionnaires, mardi, contre la politique du président
gaulliste Nicolas Sarkozy.
Les syndicats ont appelé les quelque cinq millions de
fonctionnaires à une grève d’un jour et à des manifestations massives.
Se joindront aussi aux manifestations de mardi les étudiants
qui s’opposent à la loi sur l’autonomie des universités qui va
ouvrir les universités aux entreprises privées, restreindre aux couches sociales
les plus privilégiées l’accès à une éducation de qualité et diminuer la
qualité de l’enseignement supérieur pour la majorité des étudiants. Les
grèves et blocages par les étudiants touchent la moitié des 85 universités
françaises. Les étudiants protestataires ont fait l’objet de violences
policières dans plusieurs campus.
Sont appelés à cette grève d’un jour les enseignants, on
s’attend à ce que 65 pour cent cessent le travail, les fonctionnaires des
hôpitaux, de la poste, les contrôleurs aériens et les employés des
collectivités territoriales. Ils revendiquent principalement pour que les
augmentations de salaire rattrapent l’augmentation brutale du coût de la
nourriture, de l’énergie et de l’essence et que cessent les
suppressions de postes dans le service public. Le gouvernement pratique une
politique de diminution progressive des effectifs, où 50 pour cent des
retraités dans les services publics ne sont pas remplacés.
Un représentant syndical a dit à radio France Inter que
pendant les années du mandat du président Sarkozy, on perdrait 85 000
postes d’enseignants (soit 10 pour cent) alors qu’il y aura une
augmentation de près de 140 000 élèves.
De plus, le salaire des enseignants a diminué en termes réels
de 6 pour cent depuis 2000.
Lundi, la grève des cheminots et de la RATP (transports
urbains parisiens, bus et métro) qui avait débuté mardi dernier dans la soirée,
était encore effective. Bien que le pourcentage de grévistes, d’après la
direction de la SNCF (Réseau des chemins de fer français) soit tombé à 26,2
pour cent contre 61,5 pour cent enregistrés mercredi dernier au premier jour de
la grève, le mouvement implique toujours quelque 40 000 travailleurs dont
la grève continue d’affecter de façon majeure le système ferroviaire.
Quelque 18 pour cent des employés de la RATP étaient aussi encore en grève.
Lundi matin, les bulletins d’information faisaient état
d’embouteillages sur les routes et de bouchons de 500 km. Sur les
650 TGV quotidiens, 350 ne circulaient pas. Quelque 75 pour cent des trains Corail
et la moitié des trains RER de banlieue étaient aussi hors service. Le trafic
du métro parisien était réduit de 80 pour cent, et sur certaines lignes aucun
métro ne circulait. Moins de la moitié des tramways et bus parisiens étaient en
circulation.
Ce puissant mouvement s’est maintenu malgré
l’hostilité des médias et l’opposition de tous les principaux
partis politiques, y compris le Parti socialiste. Ils pressent la base de
cesser leur mouvement et de laisser les bureaucraties syndicales négocier l’application
de la « réforme » du gouvernement. Cela revient à accepter les points
essentiels de l’attaque du gouvernement : l’allongement de
37,5 à 40 annuités pour avoir droit à une retraite à taux plein, une décote draconienne
pour tous ceux qui n’ont pas cotisé pendant 40 ans et l’indexation
des retraites sur les prix et non plus sur les salaires.
Des calculs montrent que les travailleurs du secteur privé, dont les
retraites sont déjà indexées sur les prix ont perdu de ce fait 20 pour
cent de leur retraite ces 15 dernières années.
Malgré la force et le potentiel de ce mouvement, les objectifs
des travailleurs en grève risquent dangereusement d’être contrecarrés. La
décision des syndicats de participer aux discussions avec la direction et le
gouvernement mercredi, dans une situation où ces derniers ont clairement dit
qu’ils n’étaient pas prêts à revenir sur les piliers de la
« réforme », signifie tout simplement que les syndicats sont prêts à
aider le gouvernement à imposer sa réduction des retraites.
Xavier Bertrand, ministre du Travail a redit hier qu’il
était « hors de question » d’abandonner la « réforme »
des retraites. Le gouvernement a proposé, pour les amadouer, d’accorder
des augmentations de salaire aux travailleurs qui prennent leur retraite afin
de permettre aux syndicats de ne pas perdre la face devant les travailleurs.
Les syndicats ont rapporté que les assemblées générales de
cheminots dans toute la France avaient voté en faveur d’une résolution
approuvant la participation des dirigeants syndicaux à la table ronde de
mercredi. Mais la formulation de la résolution est très vague. Elle déclare
« lors des négociations qui vont s’ouvrir, elles [les Fédérations
syndicales des cheminots] exigent entre autres une réponse à leurs
revendications concernant le cadrage de la réforme ». La résolution ne
contraint pas les syndicats à rejeter catégoriquement les trois piliers
principaux du projet du gouvernement.
C’est le syndicat Sud (Solidarité, unité, démocratie)
qui a joué le rôle clé dans l’obtention d’un vote favorable pour
cette résolution lors des assemblées de grévistes. Cette organisation,
fortement influencée par ses adhérents venus des diverses tendances petites
bourgeoises de « gauche »critiquait au départ les autres
syndicats, dont la CGT (Confédération générale du travail) dominée par les
staliniens, pour avoir accepté d’entrer dans des pourparlers avec la
direction et le gouvernement. Sud rejetait toute négociation à moins que et
jusqu’à ce que Sarkozy retire son projet de « réforme » des
retraites.
Cette volte-face de Sud, acceptant de participer aux
pourparlers de mercredi, est une capitulation majeure et souligne
l’immense danger d’une trahison du mouvement par les syndicats,
aidé par les partis soi-disant de « gauche » — le Parti
communiste et le Parti socialiste – ainsi que les partis d’« extrême-gauche »,
la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) et LO (Lutte ouvrière).
Les médias ont exprimé leur surprise. L’Agence
France-Presse rapportait, « même Sud-Rail,
deuxième syndicat de l'entreprise qui tient les positions les plus dures dans
ce conflit, a assuré à l'AFP qu'il serait "bien présent" aux
négociations. »
Un accord similaire a été trouvé avec les syndicats de la
RATP. Mais là, Sud qui n’a que 6 pour cent de représentativité, a refusé
de participer aux pourparlers.
Le World Socialist Web Site a interviewé Juan Aliart,
un dirigeant de Sud-Rail à Paris, pour connaître sa réaction sur le fait que
son syndicat avait accepté l’invitation. Nous lui avons rappelé que Sud-Rail,
moins d’une semaine auparavant, avait soutenu une motion mettant
fortement en garde les autres syndicats de ne faire aucune concession sur les
trois piliers de la « réforme. »
Cette motion avait été adoptée par des assemblées de grévistes
dans toute la France. Elle disait, « nous exigeons d’être consultés
pour toute décision qui engagerait notre avenir et d’être informés du
contenu des discussions à chaque étape, » et continuait en déclarant son
opposition « à toute négociation entreprise par entreprise. »
Aliart a dit au WSWS que si Sud-Rail avait refusé de
participer à la table ronde de mercredi, « cela pouvait mettre Sud tout
seul devant la direction. Tactiquement, cela aurait été une erreur pour Sud de
se trouver isolé. »
Isolé de qui ? Par des grévistes et des millions de
travailleurs et de jeunes qui les soutiennent. Cette volte-face révèle au grand
jour l’imposture de sa soi-disant indépendance par rapport aux autres
bureaucraties syndicales.