Le président George Bush et la secrétaire d’Etat
Condoleezza Rice ont réaffirmé leur soutien au dirigeant pakistanais Pervez Musharraf
le week-end des 10 et 11 novembre au moment même où le général augmentait la répression
massive commencée avec l’imposition de fait de la loi martiale, le 3
novembre.
Lors d’une conférence de presse, Musharraf a annoncé que
des élections se tiendraient au début du mois de janvier, mais il a indiqué que
l’état d’urgence et la suspension de la constitution pakistanaise
continueraient indéfiniment, aussi peut-être pendant la période de l’élection
elle-même. Bush, Rice et d’autres responsables américains ont loué le
projet de Musharraf de tenir des élections bidon alors que toute opposition
politique est interdite, des journaux indépendants réprimés et des milliers
d’opposants politiques restent en prison, le qualifiant de mesure
« bienvenue » conduisant à la démocratie.
S’adressant à une conférence de presse tenue à son
ranch texan à la suite d’une rencontre avec la chancelière allemande
Angela Meckel, Bush a insisté pour dire que les Etats-Unis et Musharraf « partageaient
un but commun » : leur opposition à al-Qaïda. Répétant la
justification toujours donnée pour tout aspect de la politique extérieure
américaine, Bush a dit que le soutien au chef d’Etat militaire du Pakistan
était la réponse nécessaire aux attentats du 11 septembre.
Bush a qualifié de démarches positives la promesse de Musharraf
de tenir des élections et de retirer son uniforme militaire (tout en restant président)
à un certain moment dans l’avenir. Tout en répétant ses appels pour la
forme au Pakistan de « retourner à la normale », Bush a dit
clairement que les Etats-Unis soutiendraient Musharraf même si celui-ci ne se
tenait pas à ses injonctions.
Bush a déclaré que Musharraf, qui s’est emparé du
pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1999 avait « une
option », faisant allusion à l’ultimatum donné au Pakistan à la
suite des attentats du 11 septembre. Il a dit que Washington avait alors mis le
dirigeant pakistanais au pied du mur et lui avait posé cette question :
« Êtes-vous avec nous ou êtes-vous contre nous ? Et il s’est
clairement décidé à être avec nous et il a agi par rapport à ce conseil »
Le soutien catégorique de Bush à Musharraf a été réitéré par
la secrétaire d’Etat Rice dimanche 11 novembre. Dans une interview avec George
Stephanopoulos dans l’émission « Cette semaine » d’ABC
News, elle a dit que la situation au Pakistan n’était « pas
parfaite ». « Toutefois, dit-elle, la solution c’est de faire
une chose à la fois. » Elle a esquivé la question de Stephanopoulos qui
lui demandait si Musharraf devait démissionner de la présidence.
Lors d’une conférence de presse avec des journalistes étrangers,
Musharraf est apparu nettement fortifié par le fait que Bush lui avait réitéré
son soutien. Le général a refusé de donner une date de fin de l’Etat
d’urgence. Reprenant à son compte la ligne adoptée par
l’administration Bush, Musharraf a insisté sur le fait que l’état
d’urgence – dont il se sert pour purger les tribunaux et réprimer
les avocats, les organisations des droits de l’Homme et d’autres
opposants au Pakistan — était une partie nécessaire de la « guerre
contre la terreur ».
Musharraf a dit qu’il avait reçu des appels de la part
de « leaders étrangers » exprimant leur « compréhension »
pour la décision de suspendre la constitution. Il a aussi été clair sur le fait
que toute élection serait organisée sous la menace d’arrestations et de violence.
Quiconque « dérange la loi et l’ordre et veut créé l’anarchie
au nom des élections et de la démocratie, on ne le laissera pas faire », dit-il.
Les commentaires de Musharraf et de l’administration Bush
suivent une vague de répression qui a mené à l’arrestation de très
nombreux manifestants qui sont à présent prisonniers de l’armée. Personne
ne sait ce qui arrive à ceux qui sont arrêtés, mais la torture est utilisée de
façon routinière par l’armée et la police civile au Pakistan.
Vendredi 9 novembre, le régime militaire a interdit une
manifestation du PPP (Pakistani Peoples Party — Parti populaire
pakistanais) et de son leader Benazir Bhutto et a arrêté de nombreux
organisateurs de la manifestation. Le gouvernement a aussi amendé une loi de
1952 pour permettre à l’armée de faire passer des civils en cour
martiale.
Parmi les chefs d’accusation que des tribunaux
militaires peuvent à présent utiliser, il y a la trahison – passible de
la peine de mort — la sédition et celui de « faire des déclarations
conduisant au désordre public ». Certaines des personnes arrêtées la
semaine dernière ont déjà été jugées pour trahison.
Selon un article du Washington Post, « les
modifications ont aussi été rendues rétroactives jusqu'à 2003, ce dont les
organisations [des droits de l’Homme] affirment que cela était destiné
en partie à légitimer les disparitions et les tortures de prisonniers, y
compris celles de dissidents séparatistes de la province du Baloutchistan, dont
la cause a été reprise par des tribunaux civils. »
La réaction de Bhutto, la dirigeante du PPP, dont les
Etats-Unis ont fait la promotion en tant que partenaire potentiel de Musharraf
dans un gouvernement de partage du pouvoir, ressemblait à celle de l’administration
Bush. Bhutto a qualifié l’annonce d’une élection de « non positive »
dimanche. En dépit de la répression de ses propres partisans, Bhutto dit
qu’elle « n’avait pas fermé la porte à des négociations »
avec Musharraf.
Le soutien à Musharraf de la part Washington est motivé par
les intérêts stratégiques de l’impérialisme américain en Asie du Sud et
au Moyen-Orient. Le Pakistan a des frontières communes avec l’Afghanistan
au nord-ouest, l’Iran à l’ouest, la Chine au nord-est et
l’Inde à l’est. L’Iran et la Chine sont considérés comme une
menace pour l’hégémonie américaine en Asie. Les Etats-Unis mènent depuis
huit ans une occupation difficile et précaire en Afghanistan et cherchent à
faire de l’Inde, un pays affligé par des tensions sociales et politiques
explosives, un allié nucléaire et un contrepoids à la Chine.
L’administration Bush n’en est que plus ferme dans
son soutien au régime militaire pakistanais parce qu’elle a besoin
d’une certaine stabilité au Pakistan avant de prendre une décision
d’attaquer l’Iran militairement. Les déclarations de Bush en soutien
à Musharraf sont venues après la rencontre avec Merkel et peu après la visite
aux Etats-Unis du président français Nicolas Sarkozy. Le premier objectif de
ces visites était de discuter une aggravation de sanctions et une possible
action militaire contre l’Iran. Au début de sa conférence de presse
commune avec Merkel, Bush avait dit qu’ils « s’étaient mis
d’accord sur le besoin d’« envoyer un message commun et ferme
aux Iraniens ».
Le contraste entre l’attitude de Bush envers le Pakistan
et les accusations qu’il a lancées contre le Myanmar (anciennement
appelé Birmanie), est juste un exemple des deux poids deux mesures qui prévalent
dans la politique étrangère américaine et le cynisme de sa prétendue croisade
pour la démocratie. Si pour la Birmanie, allié de longue date de la Chine, l’administration
Bush avait poussé à des sanctions économiques, pour le Pakistan, elle a montré clairement
qu’elle n’avait aucune intention de réduire l’aide militaire,
qui totalise depuis 2001 plus de dix milliards de dollars.
La position stratégique importante du Pakistan et l’inquiétude
devant l’instabilité politique et sociale dans le pays pourraient
entraîner l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement moins favorable
aux intérêts américains, ce qui explique pourquoi la critique des médias et de l’establishment
politique américain du soutien non dissimulé de Musharraf par
l’administration Bush a été aussi discrète. Les critiques qui ont été soulevées
avaient surtout à voir avec l’inquiétude que les Etats-Unis ne soutiennent
un régime totalement isolé, discrédité et condamné à tomber, ce qui aurait le
potentiel de déclencher des éruptions sociales et politiques pouvant prendre
des dimensions révolutionnaires.
Ces inquiétudes se trouvaient exprimées dans une lettre de la
direction démocrate du sénat à l’administration Bush. « Il est de
plus en plus clair que la politique de l’administration n’a servi
ni les besoins du peuple pakistanais ni les intérêts de sécurité de notre
pays », avertissent les démocrates. Sans poser de revendications concrètes
quant au soutien des Etats-Unis pour Musharraf, la lettre dit que « les événements
du Pakistan et d’ailleurs démontrent de manière convaincante qu’il
est plus que temps d’avoir une stratégie efficace quant au Pakistan
lui-même, à la situation en Afghanistan en rapport avec lui, ainsi qu’à une
approche des autres menaces et défis que l’Amérique confronte dans le
monde ».
Certains critiques avertissent de ce que le soutien américain
à Musharraf pouvait conduire à une débâcle pour l’impérialisme américain
semblable à celle qui suivi la chute d’un autre allié clé des Etats-Unis
dans la région, le Shah d’Iran.
Un éditorial du Washington Post publié dimanche
clarifie la position de ceux qui, au sein de l’élite dirigeante américaine,
s’inquiètent de l’attitude de l’administration envers Musharraf.
Intitulé « Le général doit partir », l’éditorial déclare :
« La seule manière de préserver les intérêts américains et la cause de la modération
au Pakistan est d’éliminer l’obstacle que représente un Musharraf
s’accrochant désespérément et de façon nuisible au pouvoir. »
Ce journal poursuit en faisant l’éloge d’un
successeur probable de Musharraf, le général Ashfaq Kiyani comme d’un
« modéré pro-occidental qui soutient le programme de contre-insurrection parrainé
par les Etats-Unis ». Le journal exprime l’espoir qu’un
nouveau chef de l’armée serait capable de constituer une alliance avec
des sections de l’establishment politique pakistanais dans le but
de créer un gouvernement plus stable – mais un gouvernement qui
continuerait de soutenir la politique américaine dans la région. « Les
actions de M. Musharraf dans les semaines passées ont détruit toute chance
qu’il aurait eue de jouer un rôle dirigeant dans ce processus »,
conclut le Washington Post.
Un article d’information publié le 9 novembre 2007 dans
ce même journal, faisait état de l’inquiétude régnant chez les responsables
militaires américains quant au fait que la tourmente pakistanaise pourrait
perturber les opérations militaires le long de la frontière avec
l’Afghanistan. Ces responsables ont indiqué que les opérations se
poursuivaient en dépit des actions de Musharraf. Au centre de ces efforts, écrit
le journal, il y avait Kiyani, le second en chef de l’armée pakistanaise.
Le Washington Post notait aussi le peu
d’enthousiasme pour les opérations américaines au sein de l’armée
pakistanaise qui a des liens de longue date avec les groupes islamistes intégristes
qui sont présentement la cible des Etats-Unis.
Toutes les factions de l’establishment politique
des Etats-Unis sont d’accord pour que les ceux-ci continuent de soutenir
l’armée pakistanaise en tant que garant de l’intégrité territoriale
du Pakistan, le principal rempart contre les masses populaires et
l’instrument des intérêts impérialistes américains le plus fiable dans
cette région du monde.