La ville de Villiers-le-Bel, en banlieue nord de Paris,
ressemblait à une zone de guerre civile mardi soir. Une force d’occupation
d’un millier de policiers, assistée d’un hélicoptère muni
d’un faisceau lumineux, a essayé de calmer la rébellion des jeunes révoltés
par la mort de deux adolescents, Larami 16 ans et Moushin 15 ans, dans une
collision avec une voiture de police.
La rébellion a été en partie étouffée par la présence massive
de policiers, mais des dizaines de voitures ont été incendiées ainsi que des
poubelles dans la ville et des localités voisines. A minuit, 22 personnes
avaient été arrêtées. Certains jeunes ont déjà été condamnés à des peines de
prison ferme de plusieurs mois lors de procès en comparution immédiate.
Tentative avait été faite, juste après l’incident, de
blanchir la police pour la mort de Larami et Moushin. Des représentants de la
police et Marie-Thérèse Givry, procureure de Pontoise, avaient affirmé que la
voiture de police circulait lentement dans la cité d’où sont issus les
deux jeunes décédés et que la mini-moto des garçons l’avait percutée.
Cette version des faits commence à s’effilocher. Une
vidéo amateur que s’est procurée Le Monde révèle que les dégâts
causés à la voiture suggèrent qu’elle circulait à vive allure.
Le quotidien faisait les commentaires suivants mercredi: « Selon
l'IGPN, chargée d'enquêter sur les circonstances de la collision, les images
parues dans la presse montrant le véhicule avec l'avant défoncé et le
pare-brise étoilé ne traduisaient pas la violence du choc mais s'expliquaient
par des dégradations commises à coup de barres de fer après l'accident. »
« Cet élément est un des arguments avancés par la police
(Le Monde du 28 novembre) pour appuyer la thèse d'une voiture circulant
à faible allure et percutée par la mini-moto à l'avant gauche.
« La vidéo, que Le Monde a pu visionner une
première fois dimanche 25 novembre, vers 20 h 30, puis à nouveau, en détail,
mardi 27 novembre, met à mal cette hypothèse. »
Ceci confirme la version des témoins présents dans le
voisinage, version qui avait été écartée par le gouvernement et les médias.
Le principal bulletin d’information de la chaîne de
télévision France 2 à 20 heures a préféré ignorer cette preuve et a choisi de
mettre l’accent sur les éléments de la vidéo qui semblent corroborer la
version de la police, selon laquelle les policiers à l’intérieur du
véhicule seraient restés auprès des victimes de l’accident jusqu’à
l’arrivée des secours.
La police avait aussi prétendu au début que la moto sur
laquelle les jeunes circulaient avait été volée, mais elle avait dû se
rétracter là-dessus quelques heures plus tard.
Mis à part les insultes quotidiennes de la part de la police subies
par les jeunes, l’expérience des émeutes de 2005 accorde de la
crédibilité au scepticisme ressenti à l’égard de la version de la police.
A l’époque, les soulèvements avaient été déclenchés lorsque deux garçons
cherchant à échapper à une poursuite de police s’étaient électrocutés et
n’avaient pas été secourus par leurs poursuivants. On n’avait pas
cru les amis des garçons lorsqu’ils avaient remis en question les
dénégations de la police concernant les détails de l’incident, dénégations
qui par la suite s’étaient révélées être des mensonges.
La BBC a cité le commentaire d’un des frères de
l’un des adolescents décédés, Omar Sehhouli qui a dit que les émeutes
« ce n’est pas de la violence, c’est l’expression de la
rage ».
Lors de la troisième nuit d’échauffourées entre les
jeunes et la police au nord de Paris, les perturbations se sont étendues aux
municipalités de Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Cergy, Ermont et Goussainville.
Les jeunes, dont beaucoup sont issus de familles immigrées vivant dans les
mornes cités ouvrières, ont exprimé leur colère et leur désespoir en brûlant
des voitures et en vandalisant et mettant le feu à des écoles, des
bibliothèques et deux postes de police. La police a fait état de 130 blessés pendant
ces trois nuits.
Les médias ont déclaré que des armes à feu avaient été
utilisées contre la police. Le Monde du 29 novembre fait état
d’une enquête sur « deux policiers blessés par des tirs de plomb ».
Le battage autour de la question des soi-disant coups de feu tirés sera, à
n’en pas douter, utilisé pour mettre en place de nouvelles mesures de
répression d’Etat.
Le détournement et l’incendie d’un bus aux Mureaux,
près de Paris, et 20 voitures incendiées à Toulouse mardi soir sont considérés
comme un prolongement de la rébellion de Villiers-le-Bel.
L’envergure de la réaction a contraint le président
Nicolas Sarkozy, qui a reçu à l’Elysée les familles des jeunes garçons
décédés, à annoncer « l’ouverture d’une information
judiciaire » sur la mort de Larami et Moushin. Mais Sarkozy a récolté un
battage médiatique plus important lors de sa visite ostentatoire aux policiers
blessés.
Villiers-le-Bel n’avait pas été touché par les émeutes
de 2005, mais partage bien des caractéristiques des autres banlieues défavorisées,
un taux de chômage officiel dépassant les 20 pour cent, un service de transport
peu développé pour se rendre au centre-ville et une population jeune. Sur les
27 000 habitants, 60 pour cent ont moins de 25 ans.
Interviewé par Libération le 27 novembre, le sociologue
Jean-Marc Stébé a fait remarquer que la situation des jeunes dans les villes
comme Villiers-le-Bel ne s’était pas améliorée depuis 2005 :
« L'Observatoire national des zones urbaines sensibles
(ZUS) note qu'en 2007, le chômage, la paupérisation, ne se sont pas améliorés.
On voit qu'il y a encore aujourd'hui, parmi les jeunes actifs, 39,5 pour
cent de ces jeunes qui sont au chômage », c'est-à-dire pratiquement le
double du taux national.
Le maire socialiste de Clichy, où Bouna Traoré et Zyed Benna
étaient morts alors qu’ils tentaient d’échapper à la police en
2005, a dit à Libération : « Depuis l’automne 2005, la
situation ne s’est pas améliorée. Les habitants des quartiers se sentent
oubliés. Des dossiers tels que le désenclavement, l’amélioration des
transports n’avancent pas alors que les attentes sont très fortes.
L’action publique est si lente qu’elle devient intolérable pour des
gens qui subissent des frustrations depuis trop longtemps. »
Il n’a pas détaillé, comme on peut s’en douter, le
rôle du Parti socialiste et du Parti communiste dans les instances
gouvernementales nationales ou locales qui ont présidé à la dégradation des
cités que l’on trouve à la périphérie de toutes les grandes villes en
France.
Un entretien, affiché sur le site du Nouvel Observateur
du 28 novembre, avec Marie-Michelle Pisani, responsable de la Mission locale
dont l’objectif est de permettre aux jeunes déscolarisés de 16 à 25 ans
et sont au chômage, de trouver du travail, donne une bonne idée des problèmes
auxquels ils sont confrontés.
Pisani a confirmé que « rien n'a été fait pour les jeunes
depuis l'explosion des banlieues en 2005. Je ne suis pas étonnée par les
violences, ça fait très longtemps qu'on sent que ça va exploser, il y a une
telle désespérance, le sentiment que l'avenir est bouché. »
Elle a dit que depuis 2005 « on nous avait annoncé un
plan Marshall (pour les banlieues), mais je n'ai vu aucun changement… De
nombreuses associations qui entretenaient le lien social dans les quartiers ont
vu leurs financements diminuer. »
Ce sentiment de vivre en permanence en état de siège ressort
clairement des interviews données à la presse par des habitants de
Villiers-le-Bel. Hussein, un ouvrier du bâtiment, originaire du Mali, a dit au Times,
« On peut dire que c’est Sarkozy qui a fait ça. » Il se tenait
près de l’endroit où les garçons avaient trouvé la mort, emplacement
symbolisé par quelques bouquets de fleurs. « Sarkozy entraîne les flics
comme des chiens d’attaque et ils viennent ici et ils traitent les jeunes
pire que des animaux. »
Les actions des politiciens de l’establishment,
profondément hostiles aux jeunes, représentent un aspect de la situation. Mais
la plus grande responsabilité incombe à la « gauche », du Parti
socialiste à l’« extrême-gauche », Ligue communiste
révolutionnaire (LCR) et Lutte ouvrière (LO) qui sont tous de respectables
partis de l’ordre. Leur refus obstiné de proposer une solution socialiste
à la crise du capitalisme français, malgré de nombreuses occasions, la dernière
en date étant les grèves massives des cheminots entre autres, durant ce mois de
novembre, explique pourquoi les jeunes réagissent avec frustration et colère et
non par une opposition consciente au capitalisme.
D’une manière ou d’une autre, toute la gauche se
range contre les jeunes. Les déclarations des représentants du Parti socialiste
(PS) ont toutes condamné la révolte des jeunes et appelé à une police de
proximité. Le président PS du Conseil régional d’Ile de France,
Jean-Pierre Huchon, a fait une déclaration lundi : « Je condamne un
tel déchaînement de violence et de dégradations à l'égard des pompiers, des
policiers, des services publics et des entreprises... J'adresse mes voeux de
rétablissement pour le commissaire agressé et ses collègues. »
François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, a
fait une déclaration complètement creuse appelant à des mesures sociales,
éducatives et « républicaines » et en a appelé au nationalisme :
« C’est la République la réponse. Une conception commune de la
nation. Il faut parler de la citoyenneté, de la nation. »
L’UNSA Police (Union nationale des syndicats autonomes,
proche du Parti socialiste) a déclaré dans un communiqué lundi:
« Il faut remettre une présence policière dans les
endroits où cela est nécessaire, 7 jours sur 7 et 24h sur 24. Il faut mettre en
place une véritable politique d'occupation des lieux pour d'une part, mieux
connaître la population locale et d'autre part, permettre une répression plus efficace,
car cela devient de plus en plus nécessaire. »
Et c’est la « gauche » qui dit cela !
Au même moment, Patrice Ribeiro, secrétaire national du
syndicat de police Synergie, évoquait une confrontation avec les jeunes rappelant
une guerre civile. Il a dit sur Radio RTL : « Mais si cela continue
comme cela, nous craignons un drame d'un côté ou de l'autre parce que nos
collègues ne se laisseront pas tirer dessus comme ça indéfiniment sans
riposter… C’est une véritable guérilla urbaine avec des armes
conventionnelles et des armes de chasse. »
Les médias ont rapporté que le premier ministre François
Fillon avait dit aux pompiers lors de sa visite à Villiers-le-Bel : « Nous
ne lâcherons pas. Nous nous battrons avec toute la force dont la nation est
capable. » Il a poursuivi : « Le gouvernement est totalement
déterminé à faire en sorte que l’ordre revienne le plus rapidement
possible sur ce territoire… tous les moyens seraient donnés aux forces de
l’ordre pour y parvenir.» Il n’y a pas lieu de croire qu’il
s’agit là de menaces vides.
La ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a
déclaré que la force d’occupation policière resterait à Villiers-le-Bel
aussi longtemps que nécessaire et qu’à nouveau mercredi soir il y aurait
un policier pour 27 habitants. Les délinquants pouvaient s’attendre à « aucune
tolérance. » Elle a qualifié, de façon mensongère, cette explosion de
frustration et de colère de « faits de délinquance organisée. »
La prétention que le gouvernement va dépenser davantage pour
améliorer la situation des banlieues défavorisées a été abandonnée par certains
membres de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) de Sarkozy. Un
député, Jacques Myard, a lâché une diatribe raciste. « Ouvrons les yeux, a-t-il
dit au Financial Times. Le problème n’est pas économique. La
réalité c’est qu’un préjugé ethnoculturel antifrançais, originaire
d’ailleurs, a pris racine sur le sol français et se nourrit de racisme
antifrançais primaire, même si les émeutiers sont de nationalité
française. » [retraduit de l’anglais.]
(Article original anglais paru le 29 novembre 2007)