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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Déploiement policier massif à Villiers-le-Bel

France: Trois nuits d’émeute en réponse à la mort des jeunes

Par Antoine Lerougetel
30 novembre 2007

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La ville de Villiers-le-Bel, en banlieue nord de Paris, ressemblait à une zone de guerre civile mardi soir. Une force d’occupation d’un millier de policiers, assistée d’un hélicoptère muni d’un faisceau lumineux, a essayé de calmer la rébellion des jeunes révoltés par la mort de deux adolescents, Larami 16 ans et Moushin 15 ans, dans une collision avec une voiture de police.

La rébellion a été en partie étouffée par la présence massive de policiers, mais des dizaines de voitures ont été incendiées ainsi que des poubelles dans la ville et des localités voisines. A minuit, 22 personnes avaient été arrêtées. Certains jeunes ont déjà été condamnés à des peines de prison ferme de plusieurs mois lors de procès en comparution immédiate.

Tentative avait été faite, juste après l’incident, de blanchir la police pour la mort de Larami et Moushin. Des représentants de la police et Marie-Thérèse Givry, procureure de Pontoise, avaient affirmé que la voiture de police circulait lentement dans la cité d’où sont issus les deux jeunes décédés et que la mini-moto des garçons l’avait percutée.

Cette version des faits commence à s’effilocher. Une vidéo amateur que s’est procurée Le Monde révèle que les dégâts causés à la voiture suggèrent qu’elle circulait à vive allure.

Le quotidien faisait les commentaires suivants mercredi: « Selon l'IGPN, chargée d'enquêter sur les circonstances de la collision, les images parues dans la presse montrant le véhicule avec l'avant défoncé et le pare-brise étoilé ne traduisaient pas la violence du choc mais s'expliquaient par des dégradations commises à coup de barres de fer après l'accident. »

« Cet élément est un des arguments avancés par la police (Le Monde du 28 novembre) pour appuyer la thèse d'une voiture circulant à faible allure et percutée par la mini-moto à l'avant gauche.

« La vidéo, que Le Monde a pu visionner une première fois dimanche 25 novembre, vers 20 h 30, puis à nouveau, en détail, mardi 27 novembre, met à mal cette hypothèse. »

Ceci confirme la version des témoins présents dans le voisinage, version qui avait été écartée par le gouvernement et les médias.

Le principal bulletin d’information de la chaîne de télévision France 2 à 20 heures a préféré ignorer cette preuve et a choisi de mettre l’accent sur les éléments de la vidéo qui semblent corroborer la version de la police, selon laquelle les policiers à l’intérieur du véhicule seraient restés auprès des victimes de l’accident jusqu’à l’arrivée des secours.

La police avait aussi prétendu au début que la moto sur laquelle les jeunes circulaient avait été volée, mais elle avait dû se rétracter là-dessus quelques heures plus tard.

Mis à part les insultes quotidiennes de la part de la police subies par les jeunes, l’expérience des émeutes de 2005 accorde de la crédibilité au scepticisme ressenti à l’égard de la version de la police. A l’époque, les soulèvements avaient été déclenchés lorsque deux garçons cherchant à échapper à une poursuite de police s’étaient électrocutés et n’avaient pas été secourus par leurs poursuivants. On n’avait pas cru les amis des garçons lorsqu’ils avaient remis en question les dénégations de la police concernant les détails de l’incident, dénégations qui par la suite s’étaient révélées être des mensonges.

La BBC a cité le commentaire d’un des frères de l’un des adolescents décédés, Omar Sehhouli qui a dit que les émeutes « ce n’est pas de la violence, c’est l’expression de la rage ».

Lors de la troisième nuit d’échauffourées entre les jeunes et la police au nord de Paris, les perturbations se sont étendues aux municipalités de Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Cergy, Ermont et Goussainville. Les jeunes, dont beaucoup sont issus de familles immigrées vivant dans les mornes cités ouvrières, ont exprimé leur colère et leur désespoir en brûlant des voitures et en vandalisant et mettant le feu à des écoles, des bibliothèques et deux postes de police. La police a fait état de 130 blessés pendant ces trois nuits.

Les médias ont déclaré que des armes à feu avaient été utilisées contre la police. Le Monde du 29 novembre fait état d’une enquête sur « deux policiers blessés par des tirs de plomb ». Le battage autour de la question des soi-disant coups de feu tirés sera, à n’en pas douter, utilisé pour mettre en place de nouvelles mesures de répression d’Etat.

Le détournement et l’incendie d’un bus aux Mureaux, près de Paris, et 20 voitures incendiées à Toulouse mardi soir sont considérés comme un prolongement de la rébellion de Villiers-le-Bel.

L’envergure de la réaction a contraint le président Nicolas Sarkozy, qui a reçu à l’Elysée les familles des jeunes garçons décédés, à annoncer « l’ouverture d’une information judiciaire » sur la mort de Larami et Moushin. Mais Sarkozy a récolté un battage médiatique plus important lors de sa visite ostentatoire aux policiers blessés.

Villiers-le-Bel n’avait pas été touché par les émeutes de 2005, mais partage bien des caractéristiques des autres banlieues défavorisées, un taux de chômage officiel dépassant les 20 pour cent, un service de transport peu développé pour se rendre au centre-ville et une population jeune. Sur les 27 000 habitants, 60 pour cent ont moins de 25 ans.

Interviewé par Libération le 27 novembre, le sociologue Jean-Marc Stébé a fait remarquer que la situation des jeunes dans les villes comme Villiers-le-Bel ne s’était pas améliorée depuis 2005 :

« L'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ZUS) note qu'en 2007, le chômage, la paupérisation, ne se sont pas améliorés. On voit qu'il y a encore aujourd'hui, parmi les jeunes actifs, 39,5 pour cent de ces jeunes qui sont au chômage », c'est-à-dire pratiquement le double du taux national.

Le maire socialiste de Clichy, où Bouna Traoré et Zyed Benna étaient morts alors qu’ils tentaient d’échapper à la police en 2005, a dit à Libération : « Depuis l’automne 2005, la situation ne s’est pas améliorée. Les habitants des quartiers se sentent oubliés. Des dossiers tels que le désenclavement, l’amélioration des transports n’avancent pas alors que les attentes sont très fortes. L’action publique est si lente qu’elle devient intolérable pour des gens qui subissent des frustrations depuis trop longtemps. »

Il n’a pas détaillé, comme on peut s’en douter, le rôle du Parti socialiste et du Parti communiste dans les instances gouvernementales nationales ou locales qui ont présidé à la dégradation des cités que l’on trouve à la périphérie de toutes les grandes villes en France.

Un entretien, affiché sur le site du Nouvel Observateur du 28 novembre, avec Marie-Michelle Pisani, responsable de la Mission locale dont l’objectif est de permettre aux jeunes déscolarisés de 16 à 25 ans et sont au chômage, de trouver du travail, donne une bonne idée des problèmes auxquels ils sont confrontés.

Pisani a confirmé que « rien n'a été fait pour les jeunes depuis l'explosion des banlieues en 2005. Je ne suis pas étonnée par les violences, ça fait très longtemps qu'on sent que ça va exploser, il y a une telle désespérance, le sentiment que l'avenir est bouché. »

Elle a dit que depuis 2005 « on nous avait annoncé un plan Marshall (pour les banlieues), mais je n'ai vu aucun changement… De nombreuses associations qui entretenaient le lien social dans les quartiers ont vu leurs financements diminuer. »

Ce sentiment de vivre en permanence en état de siège ressort clairement des interviews données à la presse par des habitants de Villiers-le-Bel. Hussein, un ouvrier du bâtiment, originaire du Mali, a dit au Times, « On peut dire que c’est Sarkozy qui a fait ça. » Il se tenait près de l’endroit où les garçons avaient trouvé la mort, emplacement symbolisé par quelques bouquets de fleurs. « Sarkozy entraîne les flics comme des chiens d’attaque et ils viennent ici et ils traitent les jeunes pire que des animaux. »

Les actions des politiciens de l’establishment, profondément hostiles aux jeunes, représentent un aspect de la situation. Mais la plus grande responsabilité incombe à la « gauche », du Parti socialiste à l’« extrême-gauche », Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et Lutte ouvrière (LO) qui sont tous de respectables partis de l’ordre. Leur refus obstiné de proposer une solution socialiste à la crise du capitalisme français, malgré de nombreuses occasions, la dernière en date étant les grèves massives des cheminots entre autres, durant ce mois de novembre, explique pourquoi les jeunes réagissent avec frustration et colère et non par une opposition consciente au capitalisme.

D’une manière ou d’une autre, toute la gauche se range contre les jeunes. Les déclarations des représentants du Parti socialiste (PS) ont toutes condamné la révolte des jeunes et appelé à une police de proximité. Le président PS du Conseil régional d’Ile de France, Jean-Pierre Huchon, a fait une déclaration lundi : « Je condamne un tel déchaînement de violence et de dégradations à l'égard des pompiers, des policiers, des services publics et des entreprises... J'adresse mes voeux de rétablissement pour le commissaire agressé et ses collègues. »

François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, a fait une déclaration complètement creuse appelant à des mesures sociales, éducatives et « républicaines » et en a appelé au nationalisme : « C’est la République la réponse. Une conception commune de la nation. Il faut parler de la citoyenneté, de la nation. »

L’UNSA Police (Union nationale des syndicats autonomes, proche du Parti socialiste) a déclaré dans un communiqué lundi:

 « Il faut remettre une présence policière dans les endroits où cela est nécessaire, 7 jours sur 7 et 24h sur 24. Il faut mettre en place une véritable politique d'occupation des lieux pour d'une part, mieux connaître la population locale et d'autre part, permettre une répression plus efficace, car cela devient de plus en plus nécessaire. »

Et c’est la « gauche » qui dit cela !

Au même moment, Patrice Ribeiro, secrétaire national du syndicat de police Synergie, évoquait une confrontation avec les jeunes rappelant une guerre civile. Il a dit sur Radio RTL : « Mais si cela continue comme cela, nous craignons un drame d'un côté ou de l'autre parce que nos collègues ne se laisseront pas tirer dessus comme ça indéfiniment sans riposter… C’est une véritable guérilla urbaine avec des armes conventionnelles et des armes de chasse. »

Les médias ont rapporté que le premier ministre François Fillon avait dit aux pompiers lors de sa visite à Villiers-le-Bel : « Nous ne lâcherons pas. Nous nous battrons avec toute la force dont la nation est capable. » Il a poursuivi : « Le gouvernement est totalement déterminé à faire en sorte que l’ordre revienne le plus rapidement possible sur ce territoire… tous les moyens seraient donnés aux forces de l’ordre pour y parvenir.» Il n’y a pas lieu de croire qu’il s’agit là de menaces vides.

La ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a déclaré que la force d’occupation policière resterait à Villiers-le-Bel aussi longtemps que nécessaire et qu’à nouveau mercredi soir il y aurait un policier pour 27 habitants. Les délinquants pouvaient s’attendre à « aucune tolérance. » Elle a qualifié, de façon mensongère, cette explosion de frustration et de colère de « faits de délinquance organisée. »

La prétention que le gouvernement va dépenser davantage pour améliorer la situation des banlieues défavorisées a été abandonnée par certains membres de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) de Sarkozy. Un député, Jacques Myard, a lâché une diatribe raciste. « Ouvrons les yeux, a-t-il dit au Financial Times. Le problème n’est pas économique. La réalité c’est qu’un préjugé ethnoculturel antifrançais, originaire d’ailleurs, a pris racine sur le sol français et se nourrit de racisme antifrançais primaire, même si les émeutiers sont de nationalité française. » [retraduit de l’anglais.]

(Article original anglais paru le 29 novembre 2007)

Lire aussi :

France: Emeutes en banlieue parisienne après la mort de deux jeunes dans une collision avec une voiture de police [29 novembre 2007]

France : la nécessité d’une perspective socialiste internationaliste pour lutter contre les attaques du président Sarkozy sur les acquis sociaux [13 novembre 2007]


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