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L’élection en Ontario : la politique officielle vire encore plus à droite

Par Lee Parsons
9 octobre 2007

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Le 10 octobre, les électeurs de l’Ontario, la province canadienne la plus populeuse et industrialisée, pourront faire un choix parmi une liste de politiciens capitalistes n’ayant à offrir que des promesses creuses ou de légères améliorations à leurs vies.

Dans le débat électoral officiel, les véritables préoccupations des travailleurs – le rôle de combat qu’adopte maintenant l’armée canadienne en Afghanistan et ailleurs, la pauvreté qui s’accroît pour de plus en plus de gens, le manque de logements abordables, la destruction d’emplois décents dans le secteur manufacturier et le démantèlement des programmes sociaux et des services publics – ne sont pas prises en compte ou bien font l’objet de vagues références.

L’actuel gouvernement libéral, arrivé au pouvoir en automne 2003 avec l’appui explicite de la bureaucratie syndicale, n’a apporté que quelques changements, essentiellement symboliques, à la Révolution du bon sens : un programme de droite pour la classe dominante implémenté par les gouvernements conservateurs de Mike Harris et Ernie Eves entre 1995 et 2003.

Mise à part une seule exception importante — un impôt régressif sur la santé — les libéraux ont laissé intact le régime d’imposition des conservateurs. Ce régime a un double objectif : augmenter les profits des entreprises et les revenus des riches et des super riches et priver l’Etat des ressources nécessaires pour maintenir les programmes sociaux et des services publics décents.

Presque immédiatement après avoir pris le pouvoir, les conservateurs ont sabré l’aide sociale de 22 pour cent et l’ont gelée pour la durée des huit années où ils étaient au pouvoir. Malgré tout, le gouvernement libéral de Dalton McGuinty n’a haussé l’aide sociale que de 5 pour cent au cours des quatre dernières années, condamnant ainsi à la pauvreté 760.000 personnes, pour la plupart des femmes monoparentales et des enfants. Au même moment, les frais de scolarité au niveau postsecondaire ont augmenté beaucoup plus rapidement que le taux d’inflation et les lois antisyndicales des conservateurs demeurent en vigueur.

Avec l’aide de la bureaucratie syndicale – qui profite du fait que McGuinty est prêt, contrairement à Harris, à concéder aux syndicats un rôle dans la restructuration des services publics afin de mieux servir les intérêts de la grande entreprise – les libéraux se présentent dans cette élection comme les défenseurs des services publics. Mais l’argent qu’ont réinjecté les libéraux en santé, en éducation, au niveau municipal et dans d’autres services est bien loin de combler les besoins des infrastructures et de personnel causés par les coupures des gouvernements conservateur et du Nouveau parti démocratique dans les années 1990 et par l’augmentation rapide de la population.

Deux questions ont jusqu’à présent dominé la campagne : les promesses non tenues des libéraux sortants et la proposition largement impopulaire du chef conservateur John Tory d’étendre le financement public aux écoles confessionnelles.

La liste des promesses non tenues des libéraux est en effet très longue, qu’il s’agisse de l’échec de McGuinty à résoudre le problème de financement des écoles publiques, son engagement à supprimer graduellement les centrales énergétiques au charbon, ou sa promesse de ramener des hôpitaux privés dans le secteur public afin de contrer la privatisation du système de santé.

Mais le cadre du débat sur les promesses trahies de McGuinty a essentiellement été décidé par les médias et ses opposants politiques de la grande entreprise et, conséquemment, s’est concentré sur le fait qu’il n’ait pas honoré son engagement de ne pas hausser les impôts, et non sur sa poursuite du programme de droite des conservateurs.

Cette promesse sur les impôts avait été faite à la Fédération canadienne des contribuables, organisme de droite, durant la campagne de 2003 dans le but de rassurer la grande entreprise, dans le cas où certains doutes pouvaient encore persister, que les libéraux ne toucheraient pas aux principaux piliers de la Révolution du bon sens.

Et c’est exactement ce qu’ils ont fait. En fait, l’impôt santé de McGuinty est fidèle à la Révolution du bon sens dans la mesure où ce fardeau pèse beaucoup plus lourd sur les épaules des sections les moins bien nanties de la société. Pour une personne qui gagne $30.000, la hausse annuelle de 900$ représente un énorme 24 pour cent d’augmentation, tandis que pour quelqu’un gagnant 200.000$ l’augmentation n’est qu’un maigre 3 pour cent.

En réalité, cette taxe est davantage une cotisation – des frais obligatoires pour être inscrit au régime d’assurance maladie de l’Ontario – qu’un impôt traditionnel.

Si la grande entreprise et les médias ont dirigé leur attention sur l’impôt santé ce n’est pas parce qu’ils sont préoccupés par le réel fardeau que cela impose aux travailleurs, mais bien parce qu’ils veulent faire pression sur le prochain gouvernement ontarien afin qu’il adopte comme priorité de diminuer les impôts de la grande entreprise et des mieux nantis.

Ce qu’offrent les conservateurs

Bien qu’il y a une véritable colère populaire à l’égard du gouvernement McGuinty pour ses promesses non tenues, le dossier du précédent gouvernement conservateur de Harris/Eves reste douloureux dans la mémoire des travailleurs ontariens. L’érosion criminelle de l’infrastructure sociale qui a mené ou contribué aux désastres tels que l’empoisonnement fatal du système d’aqueduc à Walkerton en 2000, l’épidémie de SRAS, la panne majeure d’électricité de 2003, ont été le résultat direct de la politique de privatisation, baisse d’impôts et réduction budgétaire des conservateurs.  

Conscients de la méfiance publique persistante, les conservateurs ont tenté de distinguer leur nouveau dirigeant, le bien nommé John Tory, du virulent anti-syndicaliste et ennemi juré des programmes d’aide sociale qu’était Mike Harris. Cependant, Tory entretient, s’il se peut, des liens encore plus étroits avec l’élite des affaires. Il a été PDG de Roger Media, l’une des plus importantes entreprises au pays dans le secteur des médias et son père était un proche conseiller de l’un des plus riches hommes d’affaire au Canada, feu Kenneth Thomson.

Malgré la quantité de commentaires entourant la proposition des conservateurs d’étendre le financement des écoles confessionnelles, très peu d’éclairage a été jeté sur la question durant la campagne électorale.  

C’est une question complexe, mais certains points essentiels doivent être faits. Aucune des parties dans ce débat public n’a pris une position de principe en défense du système public d’éducation ni démasqué cette mesure pour ce qu’elle est : une mesure réactionnaire. C’est un accommodement idéologique à la droite religieuse qui constituerait, si mis en place, une extension majeure du financement du système privé d’éducation au nom du système public. Le plan des conservateurs propose une augmentation de $800 millions dans le financement de l’éducation, duquel la moitié serait dédiée aux écoles religieuses au cours de la prochaine année, pour atteindre la somme de $2,4 milliards en 2011-12.

Il faut dire qu’il n’y a plus que quelques provinces qui continuent encore de financer les écoles catholique en raison des arrangements constitutionnels d’avant la confédération. Mais l’Ontario est la seule province qui accorde le plein financement aux écoles catholiques tout en ne donnant aucun financement aux écoles des autres confessions, une situation que même les Nations Unis ont dénoncé. 

Compte tenu du changement de visage des écoles ontariennes, qui ont maintenant une diversité culturelle quasiment sans parallèle dans le monde, le financement d’une commission scolaire catholique séparée au côté d’une commission publique, est de plus en plus  en contradiction avec la réalité sociale et vue comme un anachronisme politique. La solution évidente serait d’avoir une seule commission scolaire, séculaire et financé par les fonds publics, mais, bien sûr, cette solution n’est proposée par aucun des principaux partis.  

John Tory a cherché à utiliser l’incongruité du financement de l’éducation pour avancer un programme politique rétrograde. Mais ça s’est retourné contre lui,  élicitant la condamnation non seulement du public en général, qui est massivement opposé à cette proposition, mais même de la part de ses propres supporteurs de Bay Street et d’un membre sortant du caucus conservateur de la législature ontarienne, Bill Murdoch.

Au début des dernières élections, les sondages d’opinions indiquaient que la santé était la préoccupation première des électeurs. A ce moment, l’Ontario faisait face à une pénurie de médecins et d’infirmières et des longs délais d’attente pour les chirurgies, en large mesure causés par les coupures du précédent gouvernement conservateur dans le financement du système public de santé et l’élimination de la réglementation imposant un standard minimum pour les soins.

L’introduction par les libéraux d’une onéreuse taxe sur la santé avait été justifiée afin de couvrir les coûts à la hausse des soins de santé. Malgré cela, en quatre ans, il n’y a eu que très peu d’améliorations dans le système public de santé et à plusieurs égards, la situation a empiré. Le problème des longues listes d’attente tant pour les urgences que les opérations de routine n’a pas été résolu et il y a toujours un manque flagrant de médecins de famille.

L’échec des libéraux à renverser la vapeur dans la crise du financement de l’éducation publique aussi bien que dans les soins de santé a été utilisé par les conservateurs comme argument pour plus de privatisation. Bien que les conservateurs aient catégoriquement refusé de retirer leur proposition de financement des écoles religieuses, ils ont tenté de détourner l’attention vers d’autres questions, la plus notable étant la proposition de donner aux médecins une plus grande « flexibilité » à donner des soins dans des cliniques privées : mesure qui correspond plus à leur programme de privatisation et qui a assuré à John Tory et à son parti l’appui d’importantes sections de la grande entreprise. 

Les alliances changeantes du NPD

Les sociaux-démocrates du NPD entrent dans cette élection avec une popularité en baisse selon les sondages et avec seulement onze des 103 sièges du parlement ontarien. Lors des élections précédentes en 2003, le NPD n’avait obtenu que sept sièges, leur pire résultat électoral depuis 1963, perdant pour un temps le statut de parti officiel. Mais ils ont réussi à gagner plusieurs élections partielles en faisant appel au désenchantement populaire envers les libéraux de McGuinty.

Néanmoins, selon les sondages, la part du vote allant au NPD atteint à peine cinquante pour cent de ce qu’elle était dans les deux décennies qui ont précédé le gouvernement des sociaux-démocrates de 1990 à 1995. Les travailleurs n’ont pas oublié comment le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae, qui avait pris le pouvoir en promettant de protéger les travailleurs contre l’approfondissement de la récession, a viré carrément vers la droite : il a augmenté les impôts, imposé un « contrat social » coupant dans les salaires et les emplois d’un million de travailleurs du secteur public et lancé un programme de travail obligatoire pour les assistés sociaux.

Ce sont ces mesures de droite qui ont ouvert la voie à la prise du pouvoir du Parti conservateur en 1995.

Le NPD s’est adapté au faible soutien dont il jouit en s’offrant pour faire pression sur tout gouvernement élu pour qu’il adopte de modestes changements décrits dans un programme électoral en six points. Ces points comprennent une diminution de cinquante pour cent de l’impôt spécial sur la santé, une augmentation du salaire minimum à dix dollars l’heure et une diminution des frais de scolarité.

Les sondages indiquant une forte probabilité que les élections résultent en un gouvernement minoritaire, le NPD espère obtenir le vote « stratégique » des travailleurs qui continuent à le voir comme un véhicule pour faire pression pour des concessions sur les partis de la grande entreprise traditionnellement au pouvoir, les conservateurs et les libéraux. Dans de récentes déclarations sur la possibilité qu’il puisse soutenir un gouvernement libéral minoritaire, le leader du NPD ontarien, Howard Hampton, pouvait difficilement contenir son enthousiasme : « La réalité d’un gouvernement minoritaire en Ontario aujourd’hui est qu’il faudra faire affaire avec le Nouveau Parti démocrate et nous allons insister pour un programme progressiste. »

Hampton a tenté de distinguer son parti de celui de Bob Rae en insistant sur le fait que Rae est aujourd’hui dans les rangs du Parti libéral. Pourtant, Hampton était un membre en vue du gouvernement de Rae et il a joué un rôle clé dans l’attaque du NPD sur la classe ouvrière. Il faut aussi rappeler que le NDP au niveau fédéral, dirigé par Jack Layton, n’a pas hésité à soutenir les libéraux de Paul Martin au pouvoir, même si le gouvernement libéral de Chrétien/Martin formait le gouvernement le plus à droite depuis la Crise de 1929.

Alors qu’Hampton espère être en mesure d’offrir le soutien des sociaux-démocrates aux libéraux après le 10 octobre, une section importante de la direction des syndicats fait ouvertement campagne pour un gouvernement libéral de façon encore plus décidée que lors des élections ontariennes de 1999 et 2003.

Les syndicats, avec les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) dirigés par Buzz Hargrove en tête, avaient défendu le vote « stratégique » lors des élections de 1999, après qu’ils aient mis un frein à un mouvement de masse contre les conservateurs de Harris. Ce mouvement avait atteint son point culminant en automne 1997 lorsque les enseignants avaient mené une grève politique.

Dans cette élection, les syndicats des travailleurs de l’acier, des machinistes, des travailleurs du secteur public ainsi que le syndicat des communications, de l’énergie et du papier soutiennent toujours le NPD alors que les TCA, deux syndicats d’enseignants et plusieurs syndicats de la construction ont formé une coalition nommée « les familles travaillantes » appelant à un vote « stratégique » contre les conservateurs, ce qui signifie dans une majorité de circonscriptions électorales un appel à voter libéral.

A ce point dans la campagne électorale, on ne peut prédire quelle en sera l’issue. Toutefois, très clairement, peu importe le parti ou la coalition qui forme le gouvernement, les travailleurs et leurs familles verront un durcissement de l’assaut sur leur position sociale.

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