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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique

Les élections au Maroc révèlent le gouffre existant entre le régime et la population

Par Francis Dubois
11 octobre 2007

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A la suite de l’élection parlementaire du 7 septembre dernier un nouveau gouvernement devrait être nommé dans les prochains jours au Maroc. Malgré une abstention massive et une mince victoire aux voix du parti islamiste modéré, on a apparemment décidé de reconduire, avec des changements mineurs, la coalition de centre droit qui gouvernait le pays depuis 2002.   

L’élection législative du 7 septembre avait vu les électeurs se détourner massivement des urnes. Malgré une campagne soutenue de la part des autorités et des partis de l’establishment politique et économique afin d’obtenir un taux de participation supérieur à 50 pour cent, le scrutin s’était soldé par une abstention massive de 63 pour cent, le taux de participation étant, selon le ministère de l’Intérieur marocain de 30 pour cent dans les villes et de 40 pour cent dans les campagnes. A Casablanca, la plus grande ville du pays, le taux de participation fut de 27 pour cent et à Tanger de 22 pour cent. De plus, on enregistra 19 pour cent de bulletins blancs ou nuls.  

Ces élections avaient été présentées par la monarchie marocaine, l’establishment politique et la presse nationale et internationale comme une étape importante vers une « démocratisation » et une « modernisation » du pays, un gage de plus de transparence et de fiabilité de l’administration, des conditions exigées surtout par les pays voulant intensifier leur présence au Maroc. On avait fait grand cas de la présence d’« observateurs marocains et internationaux » chargés de surveiller le déroulement du scrutin et de leur « satisfecit » à la suite de l’élection. Les élections devaient être vues comme une rupture avec un système politique et une économie rendus, aux yeux des investisseurs, trop imprévisibles par une « corruption » endémique. Il y eut des appels de la part du roi du Maroc, d’innombrables spots publicitaires, tracts, réunions et panneaux électoraux appelant au vote, mais tout cela en vain.  

L’élite marocaine avait aussi l’espoir qu’une forte participation, quel que soit le score des différents partis officiels, l’aiderait à stabiliser un régime de plus en plus instable et à lui fournir une légitimité politique pour ses plans futurs. Cela n’a pas réussi.   

Dans des conditions où toute opposition réelle au régime est muselée, l’abstention massive exprime un profond mécontentement social de la part de la population marocaine, mais aussi politique vis-à-vis du régime et des partis politiques qui le soutiennent. Certains articles de presse parlent d’un « désaveu politique » de tout le système en place. Le quotidien français Le Monde écrivait au lendemain de l’élection : « Le taux de participation a atteint un niveau historiquement bas », ce journal estimant que « la désaffection est un revers pour les autorités marocaines et les partis politiques en lice ».  

Un nombre total de trente-trois partis politiques s’étaient présentés à cette élection basée sur un mode de scrutin à la proportionnelle. Aucun parti politique n’étant sûr d’obtenir la majorité, les partis arrivant en tête devant former des coalitions pour gouverner. Aucun des partis en lice n’a obtenu plus de 11 pour cent des voix.  

D’autres partis, comme le parti islamiste Justice et bienfaisance (non autorisé, mais toléré) et le parti « d’extrême gauche » Voie démocratique, avaient appelé à un boycott des élections.  

Bien que les islamistes modérés du PJD (Parti de la Justice et du Développement) aient obtenu le plus grand nombre de voix (10,9 pour cent), ce parti obtient, du fait du découpage électoral, moins de sièges que le parti conservateur Istiqlal (Indépendance) qui obtient le plus grand nombre de sièges (52) avec 10,7 pour cent des voix, le PJD obtenant 46 sièges. Le Mouvement populaire (MP, berbériste) obtient 41 sièges, le Rassemblement national des indépendants (RNI, un parti de centre droit) 39 sièges, l’Union socialiste des forces populaires (USFP, sociaux-démocrates) 38 sièges, lUnion constitutionnelle 27 sièges, et le Parti du progrès et du socialisme (PPS, staliniens reconvertis)  17 sièges. Le parlement marocain comporte 325 sièges. 

Tous les partis qui avaient participé à la coalition gouvernementale en place depuis le scrutin de 2002, ont perdu des voix et des sièges. Le Bloc démocratique, composé de l’Istiqlal, de l’USFP et du PPS et qui constituait le noyau dur de la coalition gouvernementale sortante, est passé de 134 à 105 sièges. L’USFP et le PPS furent les grands perdants de ces élections. L’USFP qui avait fait naître des espoirs quand elle se trouvait dans l’opposition supervisa une fois au gouvernement un programme agressif de privatisations et d’attaques contre les prestations sociales. Ce parti a en outre soutenu la répression de journalistes par le régime. De premier parti en 2002 (50 sièges), l'USFP est devenu le 5e (38 sièges) le 7 septembre.  

La classe politique marocaine avait aussi envisagé et peut-être espéré, comme alternative possible au discrédit des anciennes formations et à la radicalisation à forme islamiste d’une fraction de la population, une victoire électorale des islamistes modérés. Les médias avaient pronostiqué une victoire importante de leur part, ce qui ne s’est pas réalisé. Bien que le PJD ait devancé l’Istiqlal dans les grandes villes, il n’a obtenu qu’un peu plus de la moitié des sièges qu’il avait escomptés (80). Le PJD n’est pas perçu comme une menace par le régime marocain. 

Durant la dernière décennie, les partis islamistes avaient connu une hausse importante de leur audience. Ils avaient triplé le nombre de leurs sièges au parlement en 2002. En 2003, le régime avait reporté les élections municipales prévues pour juin 2003 de crainte d’une forte avancée de leur part. A la suite d’attentats suicides meurtriers en mai 2003 (Casablanca), on avait parlé d’une « menace » islamiste. Des attentats suicides avaient encore eu lieu plus récemment, en mars et avril de cette année (encore à Casablanca). Les islamistes modérés du PJD étaient vus comme un moyen d’endiguer une radicalisation islamiste de sections de la population, et de la jeunesse en particulier.

Le mensuel Monde diplomatique notait à ce propos en août 2007 : « Comme l’explique M. Moustapha Khalfi, membre du conseil national du PJD : "Les Américains doivent montrer qu’ils ne sont pas hostiles à l’islam. Ils encouragent donc le modèle PJD, un modèle modéré qui pourrait s’appliquer à d’autres pays arabes et musulmans." Chef du département politique d’al-Adl wal-Ihsane, [Justice et bienfaisance] M. Abdelwahed Motawakil le reconnaît : "Les Américains viennent régulièrement nous voir. Ils sont plus intelligents que les Français, qui subissent des pressions et annulent parfois leurs rencontres avec nous. Ils savent ce que nous pouvons faire pour contrecarrer l’influence du terrorisme." »

Le régime marocain s’est ostensiblement placé toutes ces dernières années aux côtés de l’impérialisme américain et a soutenu l’invasion de l’Irak alors que la grande majorité de la population marocaine est opposée à la guerre. Le roi du Maroc Mohammed VI a fait entrer le Maroc dans la « coalition des volontaires » soutenant la guerre.  

Le Maroc a souvent été cité ces dernières années comme exemple de la vision de l’administration Bush d’une « zone économique libre » en Afrique du Nord. Lorsque Colin Powell, le ministre des Affaires étrangères américain fit la tournée du Maghreb et du Moyen-Orient pour y mobiliser du soutien pour l’invasion de l’Irak il visita le Maroc et y annonça en remerciement de son aide dans la « guerre contre le terrorisme », une augmentation massive de l’aide financière, un doublement de l’aide militaire et un quadruplement de l’aide économique.  

Le Maroc entretient des prisons pour la CIA et fournit des tortionnaires pour son programme de « rendition » de prisonniers des Etats-Unis suspectés de terrorisme. Le régime marocain a aussi ouvertement, fidèle à sa politique pro-sioniste, soutenu Israël dans ses attaques contre les Palestiniens. La population marocaine au contraire a été l’une des plus visiblement opposée à la guerre, organisant des manifestations parmi les plus importantes contre l’invasion de l’Irak dans tout le monde arabe. Un des slogans favoris de ces manifestations était « nous sommes tous des Irakiens ».  

La crise sociale s’est fortement aggravée ces dernières années. Cela est marqué avant tout par un fort accroissement des inégalités sociales et une fracture sociale de plus en plus grande. Pauvreté et chômage ( taux officiel 30 pour cent) s’accroissent, alors que de l’autre côté on assiste à la réalisation de grands projets d’infrastructure financés par les investisseurs étrangers (USA, UE et Moyen Orient) et à une augmentation du PIB de 5 pour cent par an (8 pour cent en 2006). L’exode rural et l’exode des jeunes hors du Maroc sont constants. Il y a dans le pourtour des villes des bidonvilles qui abritent des milliers de gens dans des conditions misérables.

Les problèmes endémiques du Maroc persistent. L’analphabétisme se trouve encore au-delà de 50 pour cent. Le Maroc est toujours le pays le plus pauvre d’Afrique du Nord. Plus de 5 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, parmi une population totale de plus de trente millions d’habitants. Dans les campagnes, c’est une personne sur quatre qui est touchée.

La population a été sévèrement affectée récemment par la hausse des prix, en particulier ceux de denrées alimentaires comme le pain. De violents heurts se sont produits la semaine dernière encore dans la ville de Séfrou, au centre du Maroc, entre la police et des manifestants qui protestaient contre la hausse des prix des aliments faisant une cinquantaine de blessés.

Le 19 septembre, après une série de réunions entre les dirigeants des partis qui ont obtenu plus de 20 sièges au parlement et le roi, celui-ci nomma le dirigeant du parti Istiqlal, Abbas El- Fassi premier ministre et le chargea de mener des pourparlers en vue de constituer le prochain gouvernement.  Selon la constitution marocaine c’est le roi qui nomme le premier ministre, puis les ministres, sur suggestion du premier ministre. El-Fassi a occupé de nombreux postes de ministre et d’ambassadeur sous l’actuel régime et celui d’Hassan II.

Depuis trois semaines El-Fassi a bien annoncé la composition de sa future coalition, qui ressemblerait à s’y méprendre à l’ancienne, mais n’a toujours pas réussi à former un gouvernement. La raison principale avancée est celle de « tractations difficiles » à propos du nombre et de la nature des postes revendiqués par chaque parti. On a écarté une coalition avec les islamistes, malgré le fait qu’ils soient disposés à entrer au gouvernement. Leur présence dans une même coalition avec des partis « laïcs » comme l’Istiqlal avait été jugée incompatible. La presse marocaine donnait ces derniers jours de nets signes d’inquiétude devant le fait que le gouvernement n’avait, à quelques jours de l’ouverture du nouveau parlement, toujours pas été nommé.

Si elle se constitue, la nouvelle coalition serait composée des mêmes partis que ceux qui avaient constitué la coalition sortante sous la direction de l’ancien premier ministre Driss Jettou (Istiqlal, USFP, PPS, RNI et MP). Le RNI est un parti bourgeois situé au centre droit et le MP est un parti libéral conservateur.

Tous ces partis soutiennent le régime monarchique. Bien qu’ayant dans le passé parlé de réforme constitutionnelle, ils ont tous accepté la constitution en vigueur qui donne au roi l’essentiel du pouvoir politique, le parlement n’ayant qu’un rôle accessoire. La constitution marocaine ne reconnaît pas la séparation des pouvoirs. Le roi désigne en outre directement les ministres en charge des ministères dits de « souveraineté », c'est-à-dire les Affaires étrangères, l'Intérieur, la Justice et les Affaires islamiques.

Le fait que les mêmes partis constituent la même coalition dans des conditions ou une grande majorité de la population a exprimé son désaveu et où aucun des partis formant la coalition n’a obtenu plus de 11 pour cent des voix donne la mesure du gouffre qui existe entre la bourgeoisie marocaine et la population laborieuse du pays et de son mépris à l’égard de celle-ci.

Le dernier gouvernement avait poursuivi une politique agressive de privatisation des entreprises publiques, mais aussi de la formation et de l’éducation et de la santé, de déréglementation et d’enrichissement d’une mince couche de profiteurs.

Le programme d’un nouveau gouvernement verra un renforcement de ces mesures et une intensification de l’exploitation de la population laborieuse. Parmi ses priorités il y aura « l’amélioration de l’environnement économique », c'est-à-dire la création de conditions encore plus favorables à l’argent en provenance de l’UE, des Etats-Unis et d’Asie, pour concurrencer les autres pays africains et du Moyen-Orient, comme l’Egypte et la Turquie en tant que plate-forme de production à très bon marché.

Déjà en décembre dernier l’ancien premier ministre Jettou avait, selon le magazine Jeune Afrique, « ..proposé aux patrons français que le Maroc serve de plate-forme à ceux d’entre eux qui souhaitent se lancer à l’assaut du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne » lors d’une visite à l’organisation patronale française Medef. Le magazine donnait aussi cette information : « Quatre cent quatre-vingt-cinq entreprises françaises sont actuellement implantées au Maroc. La France est le premier fournisseur, le premier client et le premier donateur du royaume. Convaincu qu’un "potentiel reste à explorer", Jettou souhaite néanmoins aller plus loin. »

Les partis de la coalition prévoient une « réforme de la fiscalité », c'est-à-dire la création d’encouragements fiscaux pour les investisseurs, en particulier une réduction de l’IS (impôt sur les sociétés), une réduction de l’impôt sur le revenu a déjà eu lieu en 2007. Les cinq partis de la coalition se sont mis d’accord sur une nouvelle réduction de l’IR (impôt sur le revenu), c'est-à-dire selon toute probabilité une détaxation des hauts revenus. 

Ils ont également annoncé que le nouveau gouvernement aurait aussi comme priorité les « questions sociales », en particulier la « réduction du chômage ». Un des buts politiques avoués du régime est de contrecarrer l’influence des islamistes. La « lutte contre le chômage » doit en partie être vue dans ce contexte.

L’inspiration patronale directe du programme est évidente. Dans une interview accordée au journal La Gazette du Maroc, le vice-président de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) revendiquait un taux d’imposition de 25 pour cent au lieu de 35 pour cent et réclamait en général des facilités fiscales pour tous les domaines de l’économie. Il réclamait aussi une réforme du code du travail qui doit être plus fortement déréglementé, une poursuite de l’« amélioration de la justice ». « La justice s’est améliorée, je n’en disconviens pas, mais on est loin du système efficient et efficace qui sécurise les investissements et crée un climat de confiance juridique et judiciaire ». Ce journal introduisit ainsi l’interview : « La CGEM attend de pied ferme le nouveau gouvernement qui doit agir vite pour ne pas briser l’élan de croissance. Son vice-président, Mohamed Chaïbi, nous éclaire sur les attentes des entrepreneurs. » 
 
 


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