D’après
Elman Human Rights (une ONG locale), les troupes somaliennes et éthiopiennes
ont ordonné l'évacuation de milliers d’habitants de la capitale
somalienne pour pouvoir mener des fouilles à la recherche d’armes et
d’insurgés. Ces expulsions sont les premières à être signalées depuis
avril, où des centaines de gens étaient morts durant de lourds combats à
Mogadiscio.
Le
gouvernement fédéral de transition (GFT) a déclenché la semaine dernière une
opération de grande envergure pour écraser l’insurrection de type irakien
contre le GFT et ses soutiens éthiopiens, qui a tué des milliers de personnes
cette année.
Le
GFT, une création du Conseil de sécurité des Nations unies, fut établi à
Mogadiscio en décembre, suite à l’invasion de la Somalie par
l’Éthiopie, sous la direction des États-Unis. Une large portion du pays,
dont la capitale, était alors aux mains de l’Union des tribunaux islamiques.
Une insurrection violente s’est développée et s'amplifie depuis
l’installation du GFT, qui est à présent confiné dans une poignée
d’immeubles lourdement fortifiés à Mogadiscio. La ville est devenue,
comme Bagdad, un imbroglio d’attaques suicides, de routes minées et
d’assassinats.
Selon
Jennifer Pagonis, du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), « Mogadiscio
est maintenant divisée en deux parties ; le nord est progressivement
abandonné par les résidents, qui fuient les combats entre les insurgés et les
forces du GFT soutenues par les Éthiopiens, tandis que le sud de la ville est
calme. »
Le
marché de Bakara, autrefois l’un des plus grands d’Afrique orientale,
fonctionne à peine. Selon Pagonis, « Les gens ont peur de
s’approcher du marché, et seuls les plus désespérés y risquent encore
leur vie pour vendre quelques légumes, car ils n’ont pas d'autre moyen de
nourrir leurs enfants. » Des marchés plus petits ont ouvert à
Mogadiscio Sud, mais les résidents craignent que les combats n'y viennent un
jour ou l'autre.
Dans
une tentative de maintenir la sécurité et la stabilité, les autorités ont pour
projet d'établir plus de 50 bases sous la direction des forces du GFT à
Mogadiscio, et de diviser la ville en quatre zones de sécurité, avec des
soldats stationnés à chaque point de passage.
Les
forces du GFT ont aussi tenté de faire taire les médias : l'immeuble de
Radio Shabelle a été visé par des tirs d'artillerie la semaine dernière, les
forçant à cesser d'émettre. Les journalistes et les défenseurs des droits de
l'homme vivent dans un climat de peur et d'indignation, avec sept journalistes
tués depuis janvier et des dizaines d'autres menacés ou séquestrés.
Les
violences à Mogadiscio ont poussé des centaines de milliers de civils à quitter
la ville cette année, les forçant à vivre dans des camps sordides à la
périphérie de la capitale, où ils n'ont qu'un accès limité à l'eau et à la
nourriture, et manquent d'abris, d'équipements médicaux et d'assainissement.
Il
y a plus de 700 000 personnes déplacées à travers la Somalie. Les 22 camps
chargés de les accueillir se débrouillent tant bien que mal avec les nouveaux
arrivants. Le programme alimentaire mondial (PAM) nourrit actuellement 1,2
million de personnes dans le pays, soit plus de 15 pour cent de la population.
Le
gouvernement a affirmé en mai que les insurgés avaient été débusqués après
trois mois de combats qui avaient déplacé près de 400 000 civils. Cependant,
les violences continuelles ont provoqué une seconde vague de combats et
d'émigrations en juin et une troisième le mois dernier.
Près
de 65 000 personnes ont fui Mogadiscio depuis le début du mois de juin,
dont 11 000 en septembre. Le HCR signale qu'à Afgooye, à 30 kilomètres à
l'ouest de Mogadiscio, il a commencé à distribuer des secours à 24 000
personnes, dont beaucoup fuyaient la récente montée de violences.
De
même, Jowhar, à 80 kilomètres au nord, qui était le grenier à blé de la région
jusqu'à ce qu'il soit frappé par la sécheresse puis des inondations, a des
difficultés à faire face aux milliers des réfugiés fuyant la capitale.
« Des
milliers de gens vont droit à la crise, a dit Peter Goossens,
le directeur du PAM en Somalie. N'importe quelle petite difficulté
supplémentaire, n'importe quelle petite inondation ou sécheresse les y fera
basculer. »
Le
HCR révèle qu'en septembre, près de deux bateaux par jour sont arrivés sur les
côtes yéménites en provenance de Somalie, amenant quelque 4741 personnes,
surtout des Somaliens et des Éthiopiens fuyant les conflits et la sécheresse.
Cela représente un accroissement de 70 pour cent par rapport à la même période
de l'année précédente. Pratiquement 14 000 personnes ont fait la traversée
périlleuse du golfe jusqu'au Yémen cette année. L'exode s'est modéré pendant l'été
à cause de la mer agitée, mais a repris au début de septembre.
Les
signes d'une famine à venir en Somalie sont clairs : les récoltes de céréales
sont les plus mauvaises depuis 13 ans ; l'inflation galope, les prix des
produits de base ont doublé ou même triplé ces derniers mois ; les taux de
malnutrition augmentent nettement. Un reportage de la chaîne anglaise
Channel 4 News a montré des enfants au ventre enflé et aux jambes décharnées
dans des camps à la périphérie de la ville.
Des
centaines de délégués, représentant un mélange de milices claniques et
islamistes, d'anciens parlementaires, et d'autres membres de la diaspora
somalienne, se sont rencontrés à Asmara, en Érythrée, le mois dernier pour
former l'Alliance pour la re-libération de la Somalie. Leur ressentiment contre
l'Éthiopie est la force qui les anime. Le porte-parole de l'Alliance,
Zaccaria Mahmud Abdi, a expliqué que leurs forces visent les troupes
éthiopiennes, qui sont une armée d'occupation protégeant un gouvernement
illégitime : « Nous attaquons l'occupation éthiopienne à Mogadiscio, a
dit Abdi. Tant qu'il y aura un soldat éthiopien quelque part sur le sol de
la Somalie, nous les attaquerons jusqu'à ce que nous ayons libéré notre pays de
leur occupation. »
Une
conférence de plusieurs millions de dollars, soutenue par le GFT, a été également
organisée le mois dernier pour réconcilier les clans. Elle a été suivie du
déplacement de plusieurs patriarches en Arabie Saoudite pour signer un accord
solennel. Pourtant, la myriade de clans somaliens ne sont toujours pas
réconciliés, et même le GFT est déchiré par des divisions.
Le
premier ministre Ali Mohammed Gedi et le président Abdullahi Youssouf Ahmed ont
un contentieux ancien et sont actuellement en désaccord sur le point de savoir
si certains alliés de Gedi devraient répondre d'accusations de corruption. Le procureur
général Abdullahi Dahir Barre, un allié de Youssouf, a ordonné l'arrestation du
ministre de la Justice Youssouf Ali Haroun, un allié de Gedi, en l'accusant
d'avoir volé plusieurs centaines de milliers de dollars. La réaction de Gedi a été
de renvoyer Barre.
Les
deux chefs appartiennent à des clans rivaux et se sont déjà opposés à propos du
contrôle de l'aide étrangère et des accords commerciaux, et de contrats
potentiellement lucratifs portant sur la prospection pétrolière.
Youssouf
était auparavant le chef du territoire à moitié autonome du Pountland dans le
nord. Il l'a quitté pour devenir Président de la Somalie en emmenant ses
troupes, ses véhicules, ses armes et ses munitions. Les droits de prospection
pétrolière au Pountland ont été vendus plusieurs fois, mais Gedi a refusé de
les approuver. Il aurait également été furieux que Youssouf ait signé des accords
pétroliers, dont un avec une compagnie chinoise.
Le
conflit permanent entre les deux chefs, et la descente du pays dans
l'anarchie causée par l'invasion américano-éthiopienne, sont des facteurs expliquant
la division du pays, en particulier les récents combats entre le Pountland et
son voisin du Somaliland qui est virtuellement indépendant du reste du pays depuis
16 ans.
Le
point de mire des combats régionaux est la région contestée du Sool,
essentiellement divisée entre des sous-clans qui soutiennent soit le Pountland,
soit le Somaliland, bien que certains d'entre eux veuillent l'autonomie pour le
Sool lui-même. Selon Hadji Mohamed Jamal, un résident de Las Anod,
capitale du Sool, « Il y a une concentration croissante d'armes et de
troupes dans la région, avec des livraisons quotidiennes par voie de terre. »
Le
conflit a été aggravé par la sécession de la plus grande partie de la région du
Sanaag d'avec le Pountland, pour former une nouvelle entité souveraine au nord,
qui s'est renommée le Makhir. Les tensions entre le Makhir et le Pountland sont
élevées.
Insensible
aux forces centrifuges en jeu et à la misère humaine qu'elle a causée,
l'administration américaine a l'intention de continuer à soutenir le GFT
jusqu'aux élections prévues en 2009.
L'ONG
Human Rights Watch (HRW) basée à Washington a récemment présenté à la commission
des Affaires étrangères du Congrès américain un rapport intitulé « The
human rights and humanitarian situation in the Horn of Africa » (Les
droits de l'homme et la situation humanitaire dans la Corne de l'Afrique). Ce
rapport condamne les États-Unis en raison de leur soutien envers l'Éthiopie et
particulièrement dans son invasion de la Somalie, et plus largement pour toute
leur politique dans la région.
Tout
en notant qu'« il n'y a aucun protagoniste qui ait les mains
propres » en Somalie et dans l'Ogaden (la région de l'Éthiopie peuplée
de Somalis), le HRW explique qu'il s'est concentré sur « la conduite de
l'armée éthiopienne », essentiellement « parce que l'Éthiopie
est un allié et un partenaire primordial des États-Unis dans la Corne de
l'Afrique. »
Les
troupes éthiopiennes qui soutiennent le GFT ont « violé les lois de la
guerre en bombardant abondamment et sans discrimination les zones fortement
peuplées de Mogadiscio à la roquette, au mortier et avec de
l'artillerie. » Elles sont accusées d'avoir volontairement visé les
hôpitaux.
La
conduite de l'armée éthiopienne dans l'Ogaden est aussi condamnée. Ses crimes
incluent « des civils visés intentionnellement ; des villages
réduits en cendre dans le cadre d'une campagne de châtiments collectifs ;
des exécutions publiques pour terrifier les villageois ; l'utilisation généralisée de sévices sexuels comme moyens de guerre ;
des milliers d'arrestations arbitraires ainsi que la torture, répandue et
parfois mortelle, et des passages à tabac dans les centres de détention militaires ;
un blocus du commerce et de l'aide humanitaire de toute la zone de conflit ; et
des centaines de milliers de personnes arrachées à leurs foyers et réduites à
la faim et la malnutrition. »
Le HRW indique que les États-Unis « sont considérés dans
la région comme les principaux soutiens du gouvernement éthiopien et
implicitement – sinon directement – comme responsables de la
conduite du gouvernement éthiopien. Donc, le soutien américain aux outrageuses
actions de maintien de l'ordre éthiopiennes dans la Corne de l'Afrique risque
de rendre les États-Unis complices des crimes de guerre ininterrompus du
gouvernement éthiopien. »
Le HRW avertit également l'administration américaine que sa
politique « va entraîner une montagne de morts civils et une litanie
d'abus. Cette politique risque de précipiter en Somalie le même genre de violation
désastreuse des droits humains que celui décrié à juste titre au Darfour. »
Cela pourrait aussi "participer à la radicalisation de la population
musulmane de la région, dense et jeune." Le HRW rappelle que,
contrairement au gouvernement soudanais au Darfour, l'Éthiopie est « un
allié clé des États‑Unis et le bénéficiaire du soutien militaire,
politique et financier apparemment inconditionnel des États-Unis. »