Fin août, les Hongrois ont pu voir la
fondation d’une « garde hongroise » paramilitaire
d’extrême droite. La fondation de cette armée, qui bénéficie du soutien
de forces politiques et sociales hongroises de premier plan, s’est
officialisée lors d’une cérémonie publique. Il faut voir dans la création
d’une force paramilitaire néofasciste de cette ampleur un avertissement
sérieux à la classe ouvrière hongroise et européenne.
Un millier de sympathisants et de militants
se sont rassemblés devant le Château de Budapest, juste devant les bureaux du président
hongrois, Laszlo Solyom, pour assister à la prestation de serment des 56 premiers
membres de la garde (ce chiffre a été choisi en commémoration de la révolte de
1956 contre le stalinisme).
On pouvait voir dans l’assistance non
seulement des représentants des différents groupes d’extrême droite et
fascistes, mais également des représentants du parti d’opposition
conservateur en vue, le FIDESZ (Alliance des jeunes démocrates), tout comme des
pasteurs des églises évangéliques et calvinistes qui agitaient des drapeaux.
Lajos Für, Secrétaire d’Etat à la Défense du premier gouvernement
conservateur, arrivé en 1990 au pouvoir sous le gouvernement du premier ministre
Jozsef Antall, après la chute du pouvoir stalinien, a fait prêter serment aux
nouvelles recrues et leur a distribué leurs documents officiels.
Les participants ont hissé un drapeau rouge
et blanc du type de celui utilisé par les fascistes hongrois au cours de la
Deuxième Guerre mondiale, époque où le régime dictatorial de Horthy était
l’allié de l’Allemagne nazie, et ceux qui prêtaient serment
portaient l’uniforme noir porté par les fascistes de cette époque. La
date de cette prestation de serment n’avait pas été choisie par hasard.
Le 25 août, il y a 1100 ans, l’armée hongroise avait vaincu les troupes
de Bavière lors de la bataille de Bratislava.
La garde a expliqué ses intentions dans son
acte de fondation. Elle désire défendre une Hongrie « physiquement,
intellectuellement et spirituellement sans défense. » Il est expressément
demandé à ses membres d’apprendre à utiliser des armes, une menace sans
équivoque de l’utilisation de la force. Son but inclut « l’élimination »
de l’actuel gouvernement soi-disant « social-libéral » dirigé
par le premier ministre Ferenc Gyurcsany.
Le chef de la garde est Gabor Vona, 29 ans
et président du parti d’extrême droite Jobbik (Mouvement pour une meilleure
Hongrie). Jobbik a été créé en 1999, à partir d’un groupe
d’étudiants, dirigé par David Kovacs, membre pendant de nombreuses années
d’une organisation d’extrême droite, le MIEP (Parti de la vie et de
la vérité). Vona, ex étudiant en histoire, avait auparavant travaillé en
étroite collaboration avec l’ancien premier ministre et dirigeant de
l’opposition, Victor Orban, qui avait tenté d’obtenir pour le
Fidesz, le soutien des cercles d’extrême droite par la création de
prétendus « secteurs de défense des citoyens. »
FIDESZ joue un rôle tout à fait douteux
depuis plusieurs années. En apparence, le parti se présente comme libéral et
démocratique tout en collaborant étroitement en même temps avec les forces
néo-fascistes. Entre 1998 et 2002, quand le FIDESZ était aux commandes du pays,
il était soutenu par le MIEP, et nombre de politiciens du FIDESZ gardent le
contact avec le MIEP, comme avec Jobbik et avec d’autres groupes
d’extrême droite. C’est également des rangs du FIDESZ qu’est
venue la proposition de développer une « garde patriotique » au sein
de l’armée.
Encouragée par le soutien de sections de
l’élite dirigeante, l’extrême droite hongroise a pris un cours
beaucoup plus agressif. Après les violents combats devant les bâtiments du
gouvernement il y a un an, environ 10 000 personnes avaient manifesté
contre le gouvernement Guyrcsany. Trente groupes au total, dont la plupart
appartenaient aux cercles d’extrême droite avaient appelé à manifester.
De nouvelles manifestations de la droite sont prévues en septembre.
En septembre 2006, les protestations contre
le gouvernement étaient intervenues en réaction au prétendu « discours de
mensonges » du premier ministre Gyurcsany. Gyurcsany avait prononcé le
discours controversé peu de temps après les élections législatives du 23 avril
2006, dans le but de faire accepter à son parti mal nommé, le Parti socialiste,
(le MSZP), un plan d’austérité, qui devait être adopté deux semaines plus
tard. Dans son discours, Gyurcsany avait reconnu avoir sciemment trompé son
électorat et différé des mesures économiques dans le but de remporter les
élections.
A ce moment-là, l’extrême droite
avait pu être au premier plan des manifestations de protestation, parce qu’aucune
autre organisation n’avait été capable de se faire l’écho de la
colère populaire par rapport au discours de Gyurcsany et à sa politique
anti-sociale.
Un
problème européen
Un groupe paramilitaire semblable à la garde
hongroise a déjà été installé en Bulgarie quelques mois auparavant. Bojan
Rassate, l’ancien président du groupe raciste, l’Union du peuple bulgare
a fondé une « Garde nationale » dans le but de protéger « les Bulgares
sans défense contre les bandes de gitans ».
La garde a organisé un défilé aux flambeaux
en l’honneur du fasciste bulgare tristement célèbre Hristo Lukov ainsi
que plusieurs parades dans des cours d’école et dans d’autres lieux
publics. La garde bulgare porte également la responsabilité de plusieurs
attaques violentes contre la minorité rom de Bulgarie. A la mi-août, quelques
dizaines de skinheads liés à la garde ont lancé une attaque contre le quartier rom
de Krasna Poljana, à Sofia, la capitale de la Bulgarie. Quelques jours
auparavant, quelque 30 extrémistes de droite, s’étaient attaqués à trois
jeunes Roms et avaient grièvement blessé l’un d’entre eux. La
minorité rom avait ensuite répondu en protestant de manière spontanée contre
les extrémistes de droite, ce qui s’est également terminé par des heurts
violents.
La réaction des cercles politiques et de la
presse a été semblable à celle rencontrée en Bulgarie. Le Parti socialiste au
pouvoir, dirigé par Sergei Stanischev, en coalition avec le Parti conservateur
de droite du fils du tsar Simeon de Saxe Cobourg, n’a même pas condamné
les attaques. Au lieu de cela, ils ont fait porter toute la responsabilité de
ces débordements sur les Roms. Le vice-ministre de l’Intérieur, Kamen
Penkov, a déclaré à la presse qu’il n’y avait pas de skinhead dans
la banlieue de Sofia où ces débordements s’étaient produits.
« C’est pour cette raison » que ceux qui étaient derrière ces
actes de violence devaient être « des bandes de Roms ».
L’extrême droite siège également dans
la plupart des autres parlements d’Europe de l’Est et elle
participe au gouvernement de certains de ces pays. En Slovaquie, par exemple,
le parti SMER dirigé par Robert Fico, qui se présente comme le parti
social-démocrate, a formé une coalition avec le Parti national slovaque
néo-fasciste, et, jusqu’à très récemment deux partis d’extrême
droite faisaient partie de la coalition des frères Kaczynski en Pologne.
La présence de ces forces à un niveau
national est également reflétée au Parlement européen. L’entrée de la
Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union européenne a provoqué
l’entrée du Parti bulgare ATAKA et du Parti de la Grande Roumanie au
Parlement de Strasbourg et a permis aux partis d’extrême droite de former
leur propre groupe parlementaire. L’extrême droite européenne s’est
unie sous le nom d’« Identité, Tradition et Souveraineté » avec
des néo-fascistes notoires comme Jean Marie Le Pen du Front national (France),
comme Andreas Mölzer des libéraux autrichiens et comme Alessandra Mussolini, la
petite fille du dictateur italien.
Disposant du statut de groupe
parlementaire, les élus reçoivent des financements supplémentaires du budget du
parlement et peuvent voter dans le « Bureau des présidents » qui
établit l’agenda du parlement. De plus, leur pouvoir de déposer des
amendements aux lois qui sont votées est plus important qu’avant. Le
groupe dispose également d’interprètes, d’assistants et autre personnel.
La
conséquence du retour du capitalisme
Le premier ministre hongrois, Gyurcsany,
son parti, le MSZP et son partenaire dans la coalition gouvernementale, le
SZDSZ, en faveur du libéralisme, ont considéré la « garde » qui vient
d’être créée comme « portant atteinte à l’honneur de la
Hongrie ». Néanmoins, il ne faut pas se méprendre quant à leur propre
responsabilité politique dans l’influence grandissante de telles
tendances d’extrême droite. Le fait que des éléments fascistes puissent
étaler au grand jour leurs idées politiques sans provoquer la moindre réaction
de la part des partis et des institutions officiels tout en terrorisant les
minorités est avant tout le résultat de dérives droitières de la part des
supposés socialistes.
Le cynisme d’anciens staliniens de la
sorte qui ont organisé le retour du capitalisme, tout en se remplissant les
poches en même temps qu’ils saccageaient les acquis sociaux et les acquis
de l’état providence (tout en gardant le nom de
« socialistes ») a favorisé le jeu des démagogues d’extrême droite.
La montée de la pauvreté et le manque de perspective, alimenté par une
agitation nationaliste délibérée de la part de la classe politique dirigeante, ont
créé un limon fertile pour la culture de tendances droitières.
A cet égard, les socialistes de Gyurcsany
sont un bon exemple. Dix sept ans après l’instauration du marché libre,
la Hongrie semble plus éloignée que jamais de toute prospérité et de toute
démocratie. Une étroite couche de la société a pu accumuler une somme indécente
de richesses, alors que de plus en plus de Hongrois sont confrontés à des
conditions de vie de plus en plus précaires.
Gyurcsany a commencé sa carrière politique
au sein du parti stalinien d’état et il a amassé une fortune lors des
privatisations « sauvages » effectuées au cours des années 90.
Actuellement, il est sur la liste des 100 Hongrois les plus riches, et, en tant
que premier ministre il accomplit fébrilement des « réformes » dans
l’intérêt de la finance internationale. Nombre des compères de Gyurcsany
occupent des postes importants dans des partis politiques ou au sein du
gouvernement.
On peut trouver dans de nombreux pays
d’Europe de l’Est des personnages tels que Gyurcsany qui mènent
pratiquement la même politique. Par exemple, aussi bien Stanischev en Bulgarie que
Fico en Slovaquie ont commencé leur carrière politique au sein de partis
staliniens pour finir par devenir d’ardents défenseurs du système
économique capitaliste.
Les socialistes hongrois ont réalisé des
réformes des systèmes de santé et de retraite. Ces réformes ont amené des
augmentations brutales des cotisations et des prix des médicaments. Il est
prévu que le niveau des retraites baisse encore par rapport à l’actuel
niveau dérisoire, tandis que les prix de l’énergie ont augmenté de 30 pour
cent au cours des deux dernières années. La TVA sur les biens et sur les
services a augmenté de 5 pour cent alors que les salaires stagnent ou baissent.
L’opposition politique, quant à elle,
consiste largement en forces conservatrices et anticommunistes et elle est
souvent dirigée par d’anciens dissidents. Le FIDESZ, le parti
d’Orban, a d’abord fait son apparition dans les années 80 et il a
pris son essor au moment de la chute du stalinisme, en attaquant le système
stalinien par sa droite. A cette époque, le FIDESZ combattait contre le
« totalitarisme communiste » en exigeant la liberté et la démocratie.
De nos jours, ce parti soutient ouvertement des formes totalitaires de
gouvernement. Orban a souligné ceci lors de la campagne électorale du printemps
de l’année dernière. Il a déclaré « La république n’est rien
d’autre qu’une façade recouvrant la nation » et il a indiqué
qu’il pourrait tout aussi bien envisager d’autres systèmes, la
dictature par exemple.
De tels éléments se combinent avec
l’entretien actif de la haine contre les minorités et contre les immigrés,
tandis que FIDESZ se fait l’écho de revendications — telles que le
retour de la Transylvanie à la Hongrie — qui avaient été jusqu’à présent
la chasse gardée traditionnelle des forces d’extrême droite.