Le 22 août dernier, le docteur Brian Day,
qui défend ouvertement la privatisation des soins de santé au Canada, entrait
officiellement en fonction pour un mandat d’un an en tant que président
de l’Association médicale canadienne (AMC) qui regroupe plus de
60 000 médecins à travers le pays. L’arrivée sur scène de ce médecin
que l’on surnomme « Dr Profit » a reçu l’appui soutenu de
l’ensemble de l’élite dirigeante canadienne qui voit là l’occasion
d’intensifier l’assaut sur le système de santé public et de développer
le marché des soins de santé.
Le Dr Day, directeur médical d’une
importante clinique privée à Vancouver, le Cambie Surgery Centre, et directeur
pour l’Association des cliniques médicales indépendantes canadiennes
(ACMIC), joint sa voix à ceux qui soutiennent que le régime de santé public au
Canada et la Loi canadienne sur la santé ne peuvent être maintenus sous leur
forme actuelle et qu’une participation beaucoup plus importante du privé
est nécessaire.
« Soyons clairs — les Canadiens
doivent avoir le droit d'acheter de l'assurance médicale privée lorsqu'ils
n'ont pas d'accès opportun dans le système public. Ce n'est pas l'AMC qui a
pris cette décision. Ce n'est pas moi non plus. C'est le plus haut tribunal du
pays qui l'a prise », a-t-il affirmé, faisant référence au jugement
Chaoulli de la Cour suprême qui avait invalidé en 2005 deux dispositions de la
loi au Québec qui interdisaient aux compagnies d'assurances privées de couvrir
les soins médicaux essentiels offerts par le système public de santé financé
par l'Etat.
Ce jugement a marqué une étape décisive
dans l’assaut que mène depuis longtemps la bourgeoisie pour démanteler le
régime public. Faisant face à une opposition populaire considérable, cette
dernière n’a vraisemblablement pas pu procéder aussi brutalement et
rapidement qu’elle ne l’aurait souhaité, malgré les coupes sauvages
dirigées contre les programmes et services sociaux au cours des années 1990 et
2000 par les différents paliers gouvernementaux, tant au fédéral qu’au
provincial.
Sous Jean Chrétien et Paul Martin, le Parti
libéral du Canada avait, entre autres, amputé du tiers les paiements de
transferts vers les provinces servant à financer l’éducation postsecondaire
et la santé. Au Québec, le Parti québécois de Lucien Bouchard avait, sous le
mot d’ordre du déficit zéro et avec le soutien de la bureaucratie
syndicale, coupé massivement dans les dépenses de soins de santé et forcé la
retraite anticipée de plus de 30 000 travailleurs du secteur public, de la
santé et de l’éducation, ce qui avait réduit de façon drastique et définitive
les services offerts à la population.
L’état actuel du réseau de la santé
– dont on ne peut ignorer les listes d’attente et le manque
chronique de personnel infirmier – qui est exploité par l’ensemble
de l’élite dirigeante canadienne et les futurs marchands de soins pour
justifier un rôle prédominant pour le privé, est la conséquence directe et
souhaitée des politiques de redistribution massive de la richesse, du bas vers
le haut, des gouvernements au cours des dernières années.
Dans ce contexte, la décision de la Cour
suprême du Canada dans l’affaire Chaoulli est venue renforcer et
intensifier l’attaque en donnant à cette dernière la couverture légale de
la plus haute instance judiciaire du pays.
Day
accueilli par l’élite dirigeante
Représentant les sections de l’élite
dirigeante qui osent afficher le plus explicitement leur appui en faveur
d’une marchandisation des soins de santé, le National Post,
quotidien près du Parti conservateur, a exprimé emphatiquement son appui à
l’arrivée du Dr Day à la tête de l’AMC. Dans un éditorial du 21
août, le Post soutenait que Brian Day était la personne qui possédait « l’énergie
et l’intelligence pour expliquer les bienfaits du privé aux
Canadiens ».
Tout autant en faveur de la privatisation,
mais préférant une approche plus prudente que celle défendue par le Dr Day qui
est centrée sur le développement rapide et direct d’un réseau privé
indépendant du public, le Globe & Mail, qui parle au nom de sections
de la bourgeoisie qui sont plus sensibles aux conséquences potentiellement
explosives de cet assaut sans précédent sur le système public de santé, a plutôt
préféré insister sur le rôle que pourrait jouer le privé, mais dans le cadre du
réseau public.
Dans un éditorial qui critiquait
l’approche de Day, le Globe a attiré l’attention sur le
travail fait par le gouvernement du Québec et ses cliniques spécialisées
affiliées afin de suggérer un modèle à suivre, déclarant : « le
régime d’assurance maladie peut supporter beaucoup plus de cliniques
privées financées par le public que ne puissent généralement l’admettre
les timides dirigeants politiques ».
Le
modèle québécois
Les mesures entreprises par le gouvernement
québécois de Jean Charest pour instaurer le cadre légal d’un marché privé
sont très avancées.
D’abord, la mise en place de
cliniques spécialisées affiliées correspond en pratique à un véritable
partenariat public privé. Ces cliniques qui font affaire avec des
établissements du réseau public peuvent profiter, pour un certain coût, de leur
équipement, infrastructures et personnel infirmier afin d’offrir une
partie des services qui seraient en temps normal offerts par
l’établissement public, choisissant essentiellement de prodiguer les
soins les plus profitables. De plus, les coûts des soins sont remboursés par le
régime d’assurance maladie, de la même façon que ceux offerts dans le
réseau public.
Selon ce modèle, une entente sans précédent
pourrait se concrétiser entre l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal et la
clinique privée Rockland MD qui verrait celle-ci réaliser jusqu’à 1300
opérations de chirurgie générale, d’orthopédie et de gynécologie. Cette
nouvelle représentait, selon le ministre de la Santé, Philippe Couillard, une
évolution du système de santé québécois. Notons que cette clinique avait été
prise en défaut en juin dernier par la Régie de l’assurance maladie pour
avoir imposé des frais accessoires à ses patients.
Cette mesure, introduite lors d’un
plan gouvernemental sur la santé en février 2006, était l’un des éléments
de réponse de gouvernement Charest à l’arrêt Chaoulli de 2005. Ce plan,
qui était présenté par l’élite dirigeante et les médias comme une simple
ouverture au privé dans le but de soutenir et d’améliorer le régime
public, comportait en fait tous les ingrédients pour le développement
d’un système de santé privé parallèle. Il fut officiellement adopté sous
la loi 33 en décembre 2006.
La « garantie d’accès »
avait été présentée de la même façon, minimisant les possibilités bien réelles
d’un développement dramatique des ouvertures vers le privé. Selon cette
garantie, un patient qui ne peut se faire soigner dans un délai raisonnable
dans le réseau de santé public pourra se rendre dans une clinique spécialisée
affiliée, et si cela n’est toujours pas possible, dans une clinique
privée hors du système public. Cette « garantie d’accès » se
limite pour l’instant à trois types de chirurgies dites électives :
remplacement de la hanche, du genou et cataracte. Mais lors d’une annonce
en juin dernier, le ministre Couillard a démontré ce à quoi était véritablement
destinée la garantie d’accès. La liste des chirurgies électives s’allongera
bientôt fort probablement d’une trentaine d’autres types de
chirurgies, dont le traitement des hernies, des varices, des hémorroïdes, et
des chirurgies en dermatologie ainsi que celles pour traiter l’obésité
morbide. Cette liste sera modifiée par règlement.
En vertu de la loi 33, il est aussi
maintenant possible pour un patient qui aurait les moyens de se le payer de
contracter une assurance privée pour couvrir les divers types de chirurgies
électives.
Et pour développer davantage ces avenues,
le gouvernement Charest avait mis sur pied en mai dernier une commission en ce
sens. Il y a placé à sa tête l’ancien ministre libéral Claude Castonguay,
un ardent défenseur de la privatisation. Les deux autres partis officiels, le
Parti québécois et l’Action démocratique du Québec, ont chacun accepté d’envoyer
un membre en vue siéger à cette commission, faisant ainsi clairement savoir
qu’ils accueillaient favorablement cette démarche.
Le président de la commission Claude
Castonguay a entre autres défendu l’idée d’un ticket modérateur,
l’abolition de la prohibition d’un régime d’assurance privé,
l’abolition de la cloison entre le public et le privé ainsi que la
révision de la Loi canadienne sur la santé.