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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La fondation du Parti de la gauche en Hesse

De vieux syndicalistes, de vieux staliniens et des sociaux-démocrates déçus

Un reportage d’Ulrich Rippert à Francfort
13 septembre 2007

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Ce qui frappait avant tout celui qui entrait dans la salle du quartier de Bornheim, à Francfort-sur-le-Main, où se tenait le congrès de fondation du Parti de la gauche de Hesse, c’était cette atmosphère poussiéreuse de conférence syndicale ordinaire. La grande majorité des quelque trois cents délégués et invités assistant à ce congrès se connaissait de toute évidence depuis de longues années, sinon depuis des décennies. La plupart d’entre eux avaient déjà atteint l’âge de la retraite, ou l’avaient même dépassé.

On ne voyait pas de visages jeunes sur lesquels se lisaient la curiosité et l’enthousiasme qu’on se serait attendu à trouver dans une conférence où est fondé un parti politique. Les rares jeunes présents parlaient en leur qualité de permanents des jeunesses syndicales. Le ton n’avait rien de neuf, rien que la monotonie syndicale bien connue.

Le président de la Fédération allemande des syndicats (DGB) de Hesse fit une longue allocution saluant Oskar Lafontaine, principal orateur et président du parti, lorsqu’il pénétra dans la salle avec son cortège. Les délégués se levèrent alors et applaudirent en scandant son prénom : « Oskar, Oskar ! »

Que ce « nouveau » parti fêtât avec frénésie un homme qui pendant quarante ans occupa des fonctions à la tête du SPD et qui, il y a huit ans encore, en était le président, est tout à fait caractéristique. On pouvait, dans cette salle de conférence de Francfort, saisir de façon tangible la nature du « Parti de la gauche » : un club de syndicalistes âgés, de sociaux-démocrates déçus et de vieux staliniens des deux types, occidental et oriental, qui ont organisé pendant des décennies le partenariat social, et en ont bien vécu. Des gens qui s’effrayent à présent de l’éruption de nouveaux conflits de classe.

La perspective du parti de la gauche n’est pas tournée vers l’avenir, vers la construction d’une société nouvelle qui, s’appuyant sur la technologie moderne et les forces productives  internationales, permettrait un développement social et culturel de l’humanité, mais vers le passé, vers une époque où les conflits de classe pouvaient être résolus par des moyens pacifiques et où l’Etat national était encore largement intact. On essaie avec ce parti d’empêcher que de larges couches de la population ne tirent des leçons du naufrage de la social-démocratie et ne se tournent vers une perspective politique nouvelle.    

Oskar Lafontaine sait au mieux comment exprimer ce point de vue. C’est ce qui en fait le leader incontesté du Parti de la gauche. Dans des discours qui ne changent jamais, il condamne la politique antisociale de l’actuel comme du précédent gouvernement, met au pilori la « folie » de la politique économique internationale en général et de celle de l’Allemagne en particulier… et ressert les vieilles recettes à la sauce sociale-démocrate de la période passée.

A Francfort aussi il a tenu un de ses discours démagogiques bien connus. Si Kurt Beck, dit-il, l’actuel président du SPD, parlait récemment d’élever le niveau des retraites, on ne pouvait voir cela que comme le produit d’une « confusion intellectuelle ». Où était donc Kurt Beck lorsque son parti avait baissé les retraites en alliance avec les Verts? demanda-t-il. Et qui d’autre que Franz Müntefering (l’actuel vice-chancelier SPD) venait juste d’imposer une hausse de l’âge de la retraite ? Et ainsi de suite…

Tous ces délégués vieillissants étaient enthousiastes. Ils se comportaient comme des jeunes gens à un concert pop. On applaudissait et on criait bravo toutes les deux phrases. Il suffit de quelques clichés contenant un peu de critique sociale pour enthousiasmer des sociaux-démocrates déçus et des fonctionnaires syndicaux frustrés.

Mais de ce point de vue, les délégués ne parlent que pour eux-mêmes. Le Parti de la gauche obtient certes des voix en ce moment, en l’absence d’alternative politique visible à la grande coalition. Entre lui et la masse des travailleurs et des jeunes le fossé est grand.  

Ces derniers font face à des problèmes et à des questions auxquels ils veulent trouver des solutions politiques sérieuses et ce n’est pas la phraséologie sentant le renfermé d’un Lafontaine, leur promettant le retour à un âge d’or des réformes sociales, qui va les leur apporter. Ils ont à subir quotidiennement et directement les conséquences de la crise sociale. Ils n’ont pas besoin de sa rhétorique ampoulée pour savoir qui a introduit les lois Harz IV et qui en est responsable.

Dans les entreprises et les administrations, ils sont confrontés au fait que les employeurs se servent délibérément de la peur de devoir vivre de Harz IV pour imposer des baisses de salaire et la démolition sociale. Ils font sans cesse l’expérience que la mondialisation de la production a transformé de fond en comble le contexte politique et qu’elle a coupé l’herbe sous les pieds de la politique de consensus social.

Et ils voient comment la politique du partenariat social est dirigée directement contre leurs intérêts. Que ce soit chez Opel, Siemens, à Deutsche Telekom ou à Deutsche Bahn, partout les permanents syndicaux et les conseils d’entreprises jouent un rôle clé dans l’imposition des licenciements de masse et le démantèlement des acquis sociaux et dans l’étouffement de toute résistance contre ces attaques.

La bureaucratie syndicale comme alliée

Le fait que le Parti de la gauche cherche à établir une relation étroite précisément avec les permanents syndicaux qui font le sale boulot sur le terrain est significatif. Une délégation de haut niveau du DGB avait déjà assisté, en tant qu’invitée, au congrès de fondation du Parti de la gauche au niveau national, à Berlin. Cette délégation comptait, entre autres, dans ses rangs Norbert Hansen, le chef du syndicat des cheminots Transnet qui depuis trois semaines joue les briseurs de grève contre les conducteurs de train. A Francfort, Lafontaine qualifia expressément les syndicats d’« alliés de la plus haute importance » du Parti de la gauche.  

Tandis que le Parti de la gauche s’appuie à l’Est sur les vestiges de la bureaucratie stalinienne du SED, son plus solide pilier à l’Ouest est la bureaucratie syndicale. De nombreux membres dirigeants du Parti de la gauche sont permanents syndicaux ou membres de conseils d’entreprise.

Au congrès de Francfort, il était même prévu d’élire l’ancien président du DGB en Hesse, Dieter Hooge, comme candidat de pointe pour l’élection des Land qui doit avoir lieu au début de 2008. Lafontaine avait personnellement approuvé cette candidature.

Hooge incarne en sa personne le déclin et le tournant à droite des syndicats. A la fin des années 1960, il était passé par l’école de cadres de la bureaucratie syndicale, la soi-disant « Académie du travail » et pendant des décennies, il avait grimpé les échelons de la carrière bureaucratique pour aboutir finalement à la tête du DGB de Hesse. Bien qu’il ait toujours été proche du DKP (Parti communiste allemand) il fut pendant quarante ans membre du SPD. Cela ne fait que trois ans qu’il a quitté ce parti pour fonder la WASG (Initiative électorale Travail et Justice sociale), l’une des parties constituantes du Parti de la gauche.  

Dans les jours précédant le congrès régional de Francfort et avec l’aval de Lafontaine, Hooge s’était déjà fait fêter comme candidat de pointe dans les médias. Pendant le congrès il donna interview sur interview.   

Mais à la dernière minute, les délégués n’ont pas suivi Hooge et Lafontaine. Hooge échoua à deux reprises lors de l’élection des candidats, puis il retira sa candidature. C’est un stalinien de longue date du DKP, Pit Metz, de Marburg, qui fut élu à sa place. Tandis que Hooge n’avait pas exclu dans son discours de candidature une participation au gouvernement régional aux côtés du SPD, Metz déclara lui, sans ambigüité qu’à son avis le Parti de la gauche devait jouer « un net rôle d’opposition » dans le nouveau parlement du Land de Hesse. Il se considérait « toujours comme un communiste » et aspirait « à une perspective de changement du système », même si le chemin qui y menait était « long et raboteux ».  

De toute évidence, la plupart des délégués avaient commencé à comprendre que la radicalisation de la classe ouvrière pouvait vite laisser le Parti de la gauche loin derrière elle s’il s’engageait trop ouvertement à une politique de collaboration avec un SPD discrédité. Comme le magazine Der Spiegel le constatait de façon pertinente : « Certains délégués craignaient apparemment qu’on n’allait plus être perçu que comme un parti de sociaux-démocrates et de syndicalistes frustrés. »

Mais ce succès électoral du groupe DKP de Marburg ne change toutefois rien à la ligne générale du Parti de la gauche. Avant la réunification, le DKP avait fonctionné en tant que filiale ouest-allemande du parti d’Etat de la RDA et était fortement subventionné par Berlin Est. Bien qu’il menât une existence de paria dans la majorité des syndicats, il y jouait le rôle de chien de garde de la bureaucratie syndicale. Quiconque critiquait la bureaucratie syndicale sur sa gauche avait affaire au service d’ordre et même aux cogneurs du DKP. C’est surtout dans sa lutte contre les trotskystes, véritables ou non, que la bureaucratie syndicale put invariablement s’appuyer sur le DKP.

Avec la perte massive d’adhérents subie par les syndicats dans les années 1980 et 1990, de plus en plus de membres du DKP, anciens ou encore actifs parvinrent dans les instances dirigeantes des syndicats. Pit Metz est lui aussi un permanent de longue date du syndicat des services Verdi et il est depuis une décennie et demie président à plein temps d’un institut pour aveugles à Marburg. 

Un problème de crédibilité

Qui a déjà eu affaire à des bureaucrates syndicaux droitiers sait de quelle façon éhontée ils peuvent mentir. Mais en la personne de Lafontaine ils ont trouvé un maître.

A Francfort, il lança de véhémentes attaques contre « le manque de crédibilité de la politique » à laquelle la population répond en « se détournant des partis et en se tenant, de plus en plus, loin des urnes ». « On ne peut pas en même temps être pour et contre quelque chose » lança-t-il. « On ne peut pas être contre la démolition sociale, mais soutenir Hartz IV. On ne peut pas être pour des conventions salariales et des salaires décents et en même temps organiser le dumping salarial. On ne peut pas être contre la guerre et voter pour la guerre au parlement. »

Mais qu’en est-il de sa propre crédibilité et de celle du Parti de la gauche ?

En tant que président du SPD, Lafontaine fut en 1998 l’architecte de la coalition « Rouge-Verte » (SPD et Verts) qui introduisit les réductions d’impôts pour les riches les plus importantes de l’histoire de la République fédérale. En tant que ministre des Finances et vice-chancelier, il n’aurait tenu qu’à lui de mettre en place quelques-unes des mesures sociales en faveur desquelles il fait à présent un tapage. Au lieu de cela, il a abandonné ses fonctions sans aucune explication et a laissé le champ libre à Gerhard Schröder.

Mais il n’est pas besoin d’aller chercher dans le passé pour constater le double langage et l’hypocrisie qui caractérise le Parti de la gauche à tous les niveaux. A Berlin, il constitue depuis six ans le gouvernent du Land avec le SPD et fait exactement le contraire de ce qu’il revendique dans ses déclarations programmatiques.

Le Parti de la gauche a, en alliance avec le SPD, supprimé 15.000 emplois dans les services publics de la capitale et imposé des baisses de salaires de dix pour cent. Le gouvernement du Land a imposé des réductions draconiennes d’effectifs et de salaire dans les transports publics, les universités et les écoles ainsi qu’une forte augmentation des frais de jardin d’enfants et de maternelle. Il a encore vendu la société publique de H.L.M avec un parc de 65.000 logements au groupe Cerberus, un investisseur et spéculateur américain. Berlin est,  parmi tous les Lands de la République fédérale, en première place pour ce qui est des réductions opérées dans les services publics.

Voilà ce qu’il en est de la déclaration de Lafontaine selon laquelle on ne doit « pas être à la fois pour et contre quelque chose. »

Le Parti de la gauche ne constitue pas une réponse aux mensonges de la politique officielle, il ajoute plutôt une nouvelle dimension à ses mensonges. Il ne représente pas une alternative à la social-démocratie, il est un instrument par lequel on veut récupérer le plus de sociaux-démocrates déçus possible et les maintenir dans l’orbite de la politique sociale-démocrate.  

Depuis que le SPD a approuvé les crédits de guerre pour la Première Guerre mondiale, il est un des soutiens les plus importants du pouvoir bourgeois en Allemagne. En 1918, il réprima dans le sang la révolution prolétarienne. Cinq ans plus tard, il sauva le pouvoir bourgeois face à la crise révolutionnaire et à l’hyperinflation. Au début des années 1930, il soutint le gouvernement réactionnaire de Brüning, alors même que celui-ci gouvernait à l’aide des décrets d’urgence et qu’il ouvrait la voie à la dictature nazie.  

Après le fascisme et la guerre, le SPD joua un rôle important dans la stabilisation de la République fédérale, le régime bourgeois d’après-guerre. A la fin des années 1960, il conduisit le mouvement des étudiants radicalisés dans une direction où il restait inoffensif, grâce à des mots d’ordre comme « Oser plus de démocratie ! » et il apaisa les ouvriers au moyen de concessions sociales. Pendant les huit ans où Schröder fut chancelier, il détruisit enfin ce qui était resté d’acquis sociaux de la période d’après-guerre.    

Lafontaine et les dirigeants syndicaux se sont alarmés de la perte massive d’adhérents et d’électeurs du SPD qui s’ensuivit. Ils s’opposent au fait d’abandonner et de casser la social-démocratie en tant qu’instrument important du pouvoir bourgeois, sans songer aux conséquences. Ils sont convaincus qu’un maintien du social-réformisme, même sous la forme nouvelle du Parti de la gauche, continue d’être important pour le maintien de l’ordre bourgeois. C’est pourquoi ils cherchent, partout où cela est possible, à former une coalition gouvernementale avec le SPD.

(Article original allemand paru le 30 août 2007)


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