Le gouvernement albanais a décidé d’un
taux de taxe forfaitaire de 10 % dans le but de contrecarrer ses concurrents
est – européens et d’attirer des investisseurs internationaux. Le
gouvernement de Tirana souhaite faire de cet état appauvri des Balkans un
paradis pour les compagnies multinationales et pour les spéculateurs
occidentaux.
Dès le début de l’année prochaine, les
impôts sur les sociétés vont passer de 20 à 10 %. Le taux de base des impôts
sur le revenu, qui s’élevait à 5% pour les revenus moyens et à un maximum
de 25% pour les gros revenus, ont déjà été modifiés le 1er août
2007 pour un taux unique de 10% pour tous les revenus.
Mais même cela ne suffit pas. En août, le chef
du gouvernement, Sali Berisha, a annoncé que l’état mettrait à la
disposition des investisseurs étrangers des terrains industriels au prix
symbolique de 1 euro. Des concessions pour les services publics indispensables
comme les services de santé, d’éducation, d’évacuation de
l’eau et des déchets, comme les infrastructures, l’énergie et la
production de matériaux de base – vont aussi être liquidées pour un euro
symbolique.
Si un investisseur potentiel était cependant
dissuadé par quelque tarif encore existant, le gouvernement albanais est prêt à
faire encore plus de concession. Une loi concernant les zones de commerce
étrangères est en préparation et devrait être votée par le parlement albanais
en octobre 2007.
Les représentants du gouvernement répètent
sans cesse que la réforme du système des impôts bénéficie au pays. La venue des
investisseurs étrangers en Albanie devrait augmenter les apports des taxes, tout
en augmentant la transparence en apportant une alternative aux entreprises qui
fonctionnent en dehors du cadre légal et en dehors de la structure d’imposition
du pays.
En fait, rien de tout cela n’est vrai.
La division par deux des impôts sur les sociétés conduira de façon inéluctable
à d’importants déficits dans le budget du pays, qui manque déjà
chroniquement de financement du fait d’un taux de chômage élevé et de
fraude fiscale largement répandue. L’état a déjà retiré sa participation
financière de presque tous les services publics tels la santé, l’éducation,
et l’infrastructures). Tout nouveau déclin du budget national ne peut que
détériorer cette situation.
Les principales victimes de cette réforme vont
être ceux qui vivent de revenus modestes. L’augmentation de 5% à 10% pour
les contribuables à bas revenus veut dire que ce sont ces contribuables qui vont
financer les réductions fiscales pour les sociétés et pour les contribuables
aux revenus élevés. En même temps, ce sont les bas salaires qui vont souffrir
le plus des conséquences sociales de la baisse des recettes fiscales.
Seize ans après l’introduction des
réformes de l’économie de marché, l’Albanie ressemble déjà à une
friche économique et sociale. Les quelques rares compagnies industrielles
albanaises ont été vendues à bas prix au plus offrant et toute espèce
d’aide sociale n’existe qu’en théorie.
Les statistiques officielles du chômage
affichent un taux de 10 à 15%. Ces chiffres sont largement inférieurs à la
réalité parce qu’ils comprennent seulement une minuscule partie de ceux
qui reçoivent le peu d’aide donné aux plus nécessiteux. Si l’on
appliquait les critères prévalant en Europe occidentale, le total réel du
chômage se chiffrerait entre 45 et 50 %.
Pour survivre, de nombreux Albanais se voient
contraints de travailler dans ce qu’on appelle le secteur parallèle, où
ils travaillent au noir dans le domaine de la construction, des transports, du
ménage, comme marchands ambulants ou dans d’autres emplois. On estime que
30% de la population active est concernée par ces emplois. En même temps, le
nombre d’Albanais qui tentent leur chance à l’étranger est en augmentation.
L’argent envoyé à leur famille par des Albanais travaillant à
l’étranger dépasse actuellement le total des recettes apportées par les
exportations albanaises.
Les travailleurs qui ont un emploi et paient
l’impôt doivent vivre grâce de salaires de misère. Un enseignant gagne en
moyenne 150 euros par mois tandis qu’un ouvrier d’usine gagne entre
80 et 120 euros par mois. Un retraité doit « vivre » de 50 euros par
mois, alors que les prix pour les biens et les services augmentent sans cesse
et sont souvent comparables à ceux pratiqués en Europe occidentale. Au début de
ce mois, le Premier Ministre, Sali Berisha a annoncé une augmentation de 57% du
prix de l’électricité.
Les institutions publiques sont désespérément dépassés
et sont peu financées .Une partie importante de la population n’a
pas accès à un service d’éducation et de santé adéquat. Dans la plupart
des cas, les soins hospitaliers ne sont possibles que contre paiement de pots
de vin, et il y a deux ans, l’Albanie tenait l’avant dernière place
sur la liste des pays d’Europe les plus corrompus.
Lesecteur agricole albanais estégalement
dans une situation catastrophique et les réformes agricoles passées au début
des années 90 ont eu des conséquences désastreuses. Dans les années 80, la part
de l’agriculture dans le produit intérieur brut se chiffrait autour de
40%. Actuellement, ce taux se chiffre à moins de 4%. Aujourd’hui, les personnes
qui vivent dans les zones rurales doivent se suffire à elles-mêmes.
La politique fiscale du gouvernement a attiré
des multinationales qui attendent des profits importants de
l’exploitation des matériaux bruts et d’une main d’œuvre
bon marché. La société britannique MedOil, ainsi que la société Steamoil Gas Limited
veulent établir de nouveaux sites extensifs pour de nouveaux forages
pétroliers. D’après les chiffres officiels, en Albanie, les réserves non
sondées équivalent à 1.8 milliards de barils.
MedOil a acquis les droits sur les champs
pétrolifères pour les 30 prochaines années. Le contrat passé avec le
gouvernement albanais stipule que seulement 10% de la totalité des bénéfices
réalisés restent dans le pays. D’autres sociétés comme la Canadian Bankers
Petroleum ou l’Occidental Petroleum sont présentes depuis plusieurs
années en Albanie. Des compagnies d’Europe de l’ouest, surtout des
compagniesallemandes ouautrichiennes voient de grands
potentiels dans lesecteur albanais de la construction et des banques et
augmentent sans cesse leurs investissements.
Des
cliques rivales
Comme c’est le cas dans un certain
nombre de pays d’Europe de l’Est, l’Albanie est dirigée par
une petite clique corrompue qui est directement issue de l’ancienne
bureaucratie stalinienne et qui s’est partagée les biens publics du pays.
En même temps, cette clique se caractérise par des querelles et des conflits internes
pour s’attribuer la plus grande part possible du gâteau. Ceci concerne
aussi bien le PSA (Parti socialiste albanais), issu en 1991 du parti
d’état stalinien, le Parti Communiste (PPSH), que le Parti démocratique dirigé
par l’actuel Premier Ministre, Sali Berisha.
Berisha personnalise tout à fait la classe
dirigeante albanaise corrompue et pervertie et la population albanaise a
souffert à plusieurs reprises de sa brutalité et des conséquences de sa
politique libérale droitière.
Berisha était un haut fonctionnaire du parti
qui dirigeait le pays et il était en même temps le médecin personnel du
dictateur stalinien, Enver Hoxha qui a dirigé le pays jusqu’à sa mort en
1985. En 1990, lors des émeutes estudiantines qui ont amené la chute du pouvoir
stalinien, Berisha avait essayé de calmer les étudiants révoltés en discutant
avec eux. C’est à ce moment là que Berisha, comme tant d’autres
bureaucrates d’Europe de l’Est, était rapidement devenu un
anti-communiste acharné et un défenseur de l’économie de marché.
Par la suite, Berisha avait alors fondé le
Parti démocratique (PD) pour concurrencer le PSA. En dépit de leur rivalité
féroce, il y a peu de différence entre les deux partis qui, en s’alliant
successivement avec d’autres partis moins importants ont dominé la scène
politique albanaise. Ces partis ont tous deux ont promu le processus de
« réformes » politiques et économiques après 1991.
En 1992, Berisha avait pris la place de Ramiz Alia
(PSA) à la présidence. Avec le Premier Ministre Alexander Meksi (PD), il avait
entrepris de saigner à blanc un pays qui était déjà en retard sur le plan
économique et social. Ce processus avait atteint son point culminant au milieu
des années 90, époque où Berisha apporta son soutien à des sociétés financières
douteuses qui avaient détourné le plus gros des économies des Albanais vers
leurs propres coffres par l’intermédiaire de prétendues « placements
pyramides ». Ces placements à haut risque qui, au début de 1997, avaient
perdu toute valeur en pratiquement une nuit et qui avaient anéanti une somme
estimée à unmilliard et demi d’euros avaient été louées par le
gouvernement quelques années auparavant comme un moyen rapide et sûr de
s’enrichir et de prospérer.
Après l’éclatement de la bulle
financière les Albanais étaient descendus dans la rue dans tout le pays. Des
mairies avaient été incendiées et des casernes attaquées et pillées. En mars 1997,
Berisha avait imposé l’état d’urgence et il avait accepté la
démission du gouvernement Meksi. Puis, au cours de la même année il avait perdu
la présidence au profit de Rexhep Meidani (PSA). La classe dirigeante n’avait
finalement réussi à réprimer la révolte qu’avec l’aide de
l’armée italienne.
Huit ans plus tard, Berisha et le PD sont
revenus aux affaires après que le Parti socialiste albanais ait perdu toute
crédibilité. Le PSA avait scrupuleusement suivi la politique dictée par le FMI
et par la Banque Mondiale, politique qui imposait la privatisation des rares
entreprises albanaises rentables, la diminution des aides sociales et des
salaires. Les Sociaux démocrates – tout comme les Démocrates – étaient
déterminés à entrer dans l’OTAN et dans l’Union européenne et en
même temps à ouvrir le pays à la finance internationale.
La dernière grande dispute entre les deux
grands partis a eu lieu il y a tout juste quelques semaines. Fin juillet, le
bras droit de Berisha au sein du PD, Bamir Topi, a été élu Président par le parlement,
au cinquième tour de scrutin. Parmi les votes pour Topi, on trouvait ceux de six
députés dissidents du PSA qui ont été très vite accusés par le président du PSA,
Edi Rama, de se laisser compromettre.
Berisha a salué la victoire électorale de son
candidat en déclarant : « C’est une grande victoire pour tous
les Albanais qui voient leur avenir en l’intégration dans l’OTAN et
dans l’Union européenne. » Des messages de félicitations ont
également été envoyés du Kosovo voisin dont le président Ratmit Sedjiu a vu en
la victoire de Topi un signal clair en faveur de l’indépendance du Kosovo
– démarche soutenue par l’Union Européenne.
La
compétition fiscale
L’Albanie est loin d’être le seul
pays à prendre des mesures de baisse de la fiscalité à l’attention des
sociétés et des contribuables les plus aisés. Ces mesures sont la conséquence
d’une compétition féroce entre les états aussi bien en Europe de
l’est qu’en Europe de l’ouest et visent à créer les conditions
les plus favorables possibles pour les spéculateurs étrangers et pour les riches.
Dans les années 90, lors de ce qu’on
appelle « la première tournée », les Pays Baltes avaient entrepris de
baisser radicalement l’imposition des sociétés et des revenus, en
introduisant un taux d’imposition de 20 à 29%. Ces états – mise à
part certaines « zones économiques spéciales » avaient souffert
d’un manque d’intérêt de la part des sociétés étrangères qui
trouvaient que les taux d’imposition restaient encore trop élevés.
La « deuxième tournée » de
réductions avait été initiée par la Russie en 2001. La Serbie avait suivi en
2003 avec l’introduction d’une taxe forfaitaire de 14%. En 2005,
l’Ukraine, la Slovaquie, la Géorgie et la Roumanie avaient pris les mêmes
mesures.
La « nouvelle tournée » a maintenant
commencé avec des réductions fiscales en République Tchèque et en Albanie.
Actuellement, d’autres réductions fiscales sont en pourparlers en
Bulgarie, en Croatie et dans d’autres pays.