L’Agence des services frontaliers du Canada a, la
semaine dernière, ordonné que Jeremy Hinzman, le premier soldat américain à
refuser de combattre en Irak et à faire la demande de statut de réfugié
politique au Canada, soit renvoyé aux Etats-Unis. Le jugement fut rendu un mois
après que Robin Long devienne le premier objecteur de conscience américain à
être déporté du Canada. Long est présentement détenu à la prison centrale de
Fort Carson au Colorado et sera jugé en cour martiale au début septembre.
Hinzman, 29 ans, a une femme et deux enfants, dont le plus
jeune est âgé seulement de 3 mois. On a ordonné qu’ils quittent tous le
Canada d’ici le 23 septembre.
On donna à Hinzman un ordre de déportation après que la
Commission de l’immigration et du statut de réfugié eut décidé que sa
demande, présentée dans le cadre du programme d’examen des risques avant
renvoi, ne respectait pas les conditions. Le programme évalue le risque encouru
par un demandeur si il ou elle est renvoyé dans son pays d’origine.
L’appel final de Hinzman concernant le rejet de sa demande de statut de
réfugié lui avait été précédemment refusé.
On jugea que les Etats-Unis avaient un système de justice
équitable et que la liberté d’expression de Hinzman était protégée. La
Commission a aussi jugé que le programme « No child left behind »
(Aucun enfant laissé pour compte) du président Bush allait assurer que son fils
bénéficie d’une bonne éducation.
A son retour aux Etats-Unis, Hinzman sera probablement
détenu et devra passer en cour martiale et subir le même sort que Robin Long,
soit cinq ans de prison pour désertion. Même si ses avocats prévoient en
appeler de l’ordonnance de déportation, Hinzman est peu optimiste. Dans
un entrevue à l’émission « Democracy Now », Hinzman a
déclaré : « Cela bouleverse complètement nos vies. »
Hinzman a joint l’armée des Etats-Unis au début de
2001, en partie par patriotisme et pour l’aventure. Cependant, il a été
avant tout attiré par la promesse d’aide financière pour ses études
universitaires.
Il affirme qu’un peu plus d’un an après
s’être enrôlé, il a réalisé qu’il ne pouvait devenir un tueur. Il
pensait ne pas pouvoir déshumaniser les gens qu’il devait tuer. Il fit
une demande pour le statut d’objecteur de conscience en août 2002 mais
son commandant ignora cette dernière. Hinzman refit une demande alors
qu’il était en Afghanistan, et elle aussi fut rejetée.
En Afghanistan, alors que sa demande pour le statut
d’objecteur de conscience était évaluée, on ordonna à Hinzman de
reprendre le service actif. Lorsque son unité revint aux Etats-Unis et sachant
qu’ils seraient bientôt envoyés en Irak, Hinzman déserta, traversant la
frontière canadienne en janvier 2004 avec sa femme et son jeune enfant et
tentant d’obtenir le statut de réfugié.
En décembre 2004, la Commission de l’immigration et
du statut de réfugié du Canada (CISR) a rejeté sa demande pour un statut de
réfugié, affirmant qu’il ne remplissait pas les conditions. À cette
époque, le gouvernement libéral du premier ministre Paul Martin était intervenu
dans le processus pour bloquer toute discussion sur la légalité de
l’invasion et de l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis.
Le solliciteur général du Canada avait argumenté que la
question de la légalité de la guerre était hors du domaine de la CISR. On jugea
que le Tribunal pénal international de La Haye était la seule institution avec
l’autorité et la compétence nécessaires pour entendre des arguments concernant
la légalité de la guerre.
Hinzman soutint que l’on devait lui accorder le
statut de réfugié car la guerre en Irak avait été condamnée par la communauté
internationale et que l’administration Bush avait menti au sujet des
armes de destruction massive et des liens avec Al-Qaïda du régime de Saddam
Hussein. Toutefois, la CISR a maintenu que cela n’avait pas de rapport
avec la demande. D’importants quotidiens canadiens tels que le Globe
and Mail et le National Post ont commenté en éditorial que Hinzman était
un « déserteur », pas un « réfugié ».
En novembre 2007, la Cour suprême du Canada a refusé
d’entendre une cause impliquant Hinzman et un autre résistant, Brandon Hughey.
La Cour n’a pas motivé son refus. Précédemment, à la suite de la première
demande de Hinzman pour un statut de réfugié, la Cour fédérale et la Cour
d’appel fédérale avait aussi refusé d’entendre la cause.
Bien que le gouvernement canadien avait choisi de ne pas
s’impliquer directement dans la guerre en Irak, ces actions sont un symbole
de complicité par soutien politique pour l’occupation américaine. Le
Canada est impliqué activement dans la guerre en Afghanistan, où 90 soldats
canadiens ont été tués au combat depuis le déploiement en 2002. Les appuis pour
la déportation de soldats américains qui cherchent refuge contrastent avec la
politique canadienne durant la guerre du Viêt-Nam, lorsque plus de 50 000
Américains qui avaient fui la conscription ou le service militaire trouvèrent
refuge au Canada.
Comme le gouvernement libéral de Martin avant lui,
l’actuel gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper ne
souhaite pas se mettre à dos les Etats-Unis en recréant un possible refuge pour
les soldats américains. Cette position va de pair avec le refus de l’élite
dirigeante canadienne de mettre en doute la légalité de la guerre en Irak, et
son attaque plus générale sur les droits des demandeurs d’asile.
Cette position contredit le quatrième principe de Nuremberg
qui maintient que quiconque est obligé, dans la mesure du possible, de défier
les ordres du gouvernement et de l’armée qui violeraient le droit
international. Elle contredit de plus la position du Haut Commissariat des
Nations unies pour les réfugiés, qui soutient que qu’un déserteur peut
être considéré réfugié si les actes militaires sont condamnés par la communauté
internationale comme violant les principes humains fondamentaux.
Les actions du gouvernement canadien contrastent fortement
avec les sentiments de la majorité des Canadiens, comme l’a révélé un
sondage publié en juillet selon lequel deux tiers des répondants appuyaient le
fait que l’on accorde le statut de résident permanent aux soldats
américains ayant fait défection.
En juin, les partis d’opposition canadiens ont tenté
de calmer les sentiments populaires contre la guerre en Irak et
l’implication du Canada en Afghanistan en votant une résolution non
contraignante pour arrêter la déportation des objecteurs de conscience. Comme
elle est non contraignante, le gouvernement minoritaire Harper ne s’est
pas engagé à mettre en oeuvre cette résolution, la maintenant comme un geste
« symbolique » qui ne fait rien pour empêcher la déportation de Hinzman
et de sa famille.
Michelle Robidoux, porte-parole de la Campagne
d’appui aux résistants à la guerre basée à Toronto, a affirmé :
« Cela envoie un sinistre message à tous ceux qui passent présentement à
travers le même processus », ajoutant que « Cela crée une vague de
stress pour tout le monde. Si Jeremy Hinzman, qui a une femme et des enfants,
peut être renvoyé, qu’en est-il des célibataires qui sont ici depuis
moins longtemps encore ? »