Le 15 juillet, lors de la plus importante grève
de l’histoire de l’industrie de la pêche, les pêcheurs japonais ont
paralysé les 200 000 bateaux de la flotte de pêche pour protester contre les
prix élevés du pétrole qui amputent fortement leurs moyens d’existence.
L’on estime que près de 400 000 pêcheurs ont refusé de prendre la mer. A
Tokyo, 3 600 marcheurs ont rejoint une manifestation qui avait lieu devant le
ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche pour réclamer des
réductions d’impôts et une aide financière.
« Les pêcheurs ont dépassé les limites de
ce qu’ils peuvent faire seuls et ils sont confrontés dans la présente situation
à des pertes croissantes lorsqu’ils partent en mer pour pêcher » a
précisé un communiqué de presse publié par la Fédération nationale des
Associations coopératives de Pêche. L’on estime que le pétrole représente
actuellement entre 25 et 40 pour cent des dépenses globales des pêcheurs.
En juin, une grève plus limitée avait eu lieu contre
les coûts du carburant durant laquelle les pêcheurs de calmars étaient restés
au port pendant une journée. La protestation était censée n’inclure que
900 bateaux de faible tonnage (entre 10 et 30 tonnes) mais de nombreux
propriétaires de bateaux plus petits ont demandé à participer à la grève,
portant ainsi le nombre de bateaux à 3 000. Ce qui représente plus de 60 pour
cent des 4 700 chalutiers enregistrés pour la pêche au calmar.
L’industrie japonaise de la pêche a été
durement touchée au cours de ces dix dernières années par des facteurs
convergents. Alors que le poisson a traditionnellement joué un rôle important
dans la cuisine japonaise, des changements alimentaires en faveur de la consommation
de viande ont fait baisser la demande de poisson. Les stocks de poissons
n’on cessé de s’appauvrir en raison de la surexploitation et du
fait que la concurrence internationale a tiré les prix vers le bas.
Une vague de grèves identiques ces derniers
mois a touché l’Asie, l’Europe et les Amériques. La hausse des prix
affecte aussi sérieusement les travailleurs d’autres secteurs fortement
dépendants du pétrole, notamment celui du transport.
La hausse des prix du carburant a exacerbé l’inflation.
Au Japon, l’indice des prix à la consommation hors denrées périssables a
augmenté de 1,9 pour cent sur un an en juin, la plus forte augmentation en dix
ans. La ministre d’Etat chargée de la Politique économique et fiscale, Hiroko
Ota, a dit qu’elle était d’avis que les chiffres de
l’inflation montraient que les entreprises rejetaient la hausse des prix
énergétiques sur les consommateurs.
Les pêcheurs, toutefois, ne peuvent pas
simplement augmenter les prix. Ils vendent leur poisson aux enchères ce qui ne
leur permet pas de rejeter les coûts supplémentaires de carburant sur les
consommateurs. Le prix moyen du poisson a chuté de 240 yen (2,30 dollars US) le
kilo en 1990 à 178 yen (1,70 dollar US) en 2007.
Le gouvernement rechigne à aider les pêcheurs.
Le ministre de l’Agriculture, de la Forêt et de la Pêche, Masatoshi
Wakabayashi, a dit à la presse qu’il « compren[ait] la frustration
des pêcheurs » mais qu’il serait « difficile de les compenser
pour la hausse du prix du pétrole ».
Selon le premier ministre Yasuo Fukuda, le
gouvernement envisagerait l’application de mesures supplémentaires. En
décembre dernier, le gouvernement avait annoncé une enveloppe budgétaire de
10,2 milliards de yen dans le but d’assister l’industrie de la pêche
et de lui permettre de faire face à la hausse des prix du carburant. Le mois
dernier un autre projet avait été dévoilé qui incluait des technologies pour
l’économie d’énergie.
Cependant, Akira Takahama, un porte-parole de
la Fédération nationale des Associations coopératives de Pêche, a décrit les
projets comme étant flous. « Nous ne pouvons pas gérer la hausse des prix
juste au moyen de technologies pour l’économie d’énergie »,
a-t-il dit.
La fédération a mis en garde que si les prix
du carburant continuaient à augmenter, jusqu’à 20 pour cent des
entreprises de pêche fermeraient et 85.000 pêcheurs pourraient quitter
l’industrie. Elle a prédit que la pêche pourrait diminuer de moitié ce
qui ébranlerait la politique japonaise d’après-guerre d’autosuffisance
alimentaire.
Tout comme dans les autres pays, les coûts des
aliments de base ont augmenté entre 10 et 30 pour cent au cours de
l’année passée. Les prix des spaghettis ont augmenté de 33,2 pour cent,
les spaghettis de 21,4 pour cent, le pain de 18,5 pour cent et le chocolat de
22,8 pour cent.
Etant donné que le Japon importe 99 pour cent
de ses besoins pétroliers et 79 pour cent de ses besoins énergétiques, il est
tout particulièrement vulnérable à la hausse internationale des prix du
pétrole. Le prix du carburant utilisé par la flotte de pêche a triplé au cours
de ces cinq dernières années. Le prix de certains produits pétroliers a
augmenté de 23,9 pour cent au cours de cette dernière année. Le prix de
l’électricité a grimpé de 3,5 pour cent.
La hausse des prix des carburants a également
modifié la donne dans les transports. Selon la société d’autoroutes
Metropolitan Expressway Company, qui gère les sections à péage des autoroutes
japonaises, le trafic quotidien a baissé de 3 pour cent au cours de
l’année passée. L’on a enregistré une diminution de 3,9 pour cent
les samedis, de 5, 1 pour cent les dimanches et de 2,4 pour cent en semaine,
montrant que les conducteurs japonais ont réduit les trajets en automobile pour
leurs loisirs en réaction à la hausse des prix du carburant. La tendance fut
d’abord remarquée en décembre 2007 quand le prix du carburant atteignit
150 yen (1,40 dollars US) le litre.
Le Metropolitain Expressway Co. a rapporté que
la longueur totale moyenne des « bouchons » sur les routes de Tokyo
avait atteint en hiver, aux heures de pointe du matin, 44 km, une baisse
significative par rapport aux 56 km enregistrés l’année précédente. L’ouverture
d’un nouveau tunnel est en partie responsable de la diminution des
« bouchons » mais un responsable des transports a déclaré au
quotidien Asahi Shimbun qu’il serait inévitable que les prix
élevés des carburants affectent le trafic sur les autoroutes.
Au Japon, le réseau autoroutier est géré par
des organismes quasi-gouvernementaux selon un système de péage. Le
remboursement de leurs dettes pour la construction des autoroutes au
gouvernement a été rendu plus difficile par la diminution des recettes. Il est
probable que, dans le but de soutenir les bénéfices, ces entreprises appliquent
des réductions de salaire, notamment des primes que reçoivent les travailleurs
en été et en hiver. Pour la plupart des salariés japonais, ces primes
représentent deux ou trois mois de salaire.
La hausse des prix pèse sur les salaires et
réduit le pouvoir d’achat. La confiance des consommateurs a chuté à son
niveau le plus bas en juin depuis au moins 26 ans. On s’attend à ce
qu’un rapport devant être publié cette semaine montre une baisse des
dépenses des ménages d’environ 2,8 pour cent pour le mois de juin. En
mai, les salaires avaient tout juste progressé de 0,8 pour cent.
La grève des pêcheurs n’est qu’un
indice de plus des tensions sociales croissantes qui existent au Japon alors
qu’à l’inflation s’ajoute une croissance faible et un taux de
chômage qui reste élevé en permanence et qui touche de vastes couches de la
population laborieuse.
(Article original en anglais paru le 29
juillet 2008)