Réunis le 21 juillet en congrèsà
Versailles, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté la réforme
proposée par le président Nicolas Sarkozy qui modifie la Constitution de la Cinquième
République. Malgré une augmentation dans la forme des pouvoirs du parlement, obtenue
en grande partie aux dépens de ceux du premier ministre, le résultat net est un
renforcement des pouvoirs déjà vastes de la présidence.
Lors de sa campagne électorale de 2007, Sarkozy
avait appelé à une réforme de la constitution dans une tentative de capter les
sentiments de gauche et d’obtenir un accord avec le Parti socialiste (PS)
qui, d’un point de vue historique est associé à des appels en faveur
d’une réforme de la constitution. Sarkozy avait été élu sur un projet
d’unité nationale et sur la base d’un discours sécuritaire et avait
nommé plusieurs responsables du PS à des postes ministériels, notamment le
ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. Il avait mobilisé
l’ancien ministre socialiste, Jack Lang, en vue d’élaborer le
projet de réforme constitutionnelle.
Le principal objectif de la présidence de
Sarkozy est de démanteler ce qui reste de l’Etat social
d’après-guerre et d’opérer une réduction considérable, des
retraites, des dépenses de santé, des allocations chômage etc. et en général du
niveau de vie de la classe ouvrière, tout en se préparant à affirmer de façon
plus agressive les intérêts impérialistes français à l’étranger.
C’est aussi ce qui fut, pour
l’essentiel, la politique menée par tous les gouvernements français depuis
les années 1990. Mais ces gouvernements ont été mis en échec par des mouvements
de grève de masse de la classe ouvrière française qui ont ébranlé leur légitimité
et les ont forcé à retirer en partie leurs projets de « réformes »
sociales. Des tentatives de réduire les retraites en 1995, en 2003 et en 2007
ont abouti à des grèves qui ont ébranlé l’autorité des gouvernements
Juppé, Raffarin et Fillon. Les réformes du code du travail et d’autres
coupes sociales ont entraîné des mouvements de grève en 2006 contre le
gouvernement De Villepin, puis encore en 2007. L’actuel gouvernement est
extrêmement impopulaire et la cote de popularité de Sarkozy a été inférieure à
40 pour cent dans tous les sondages réalisés récemment.
Les changements constitutionnels qui renforcent
la position du président visent à faciliter ces attaques contre les acquis
sociaux et à accroître la capacité de l’Etat à supprimer toute opposition
populaire. Le but n’est pas de rééquilibrer le pouvoir politique entre
les différents pouvoirs du gouvernement mais de donner une nouvelle assise à
l’appareil d’Etat dans le but d’affirmer ces intérêts de
classe plus fondamentaux.
Sur le plan constitutionnel et par tradition,
la présidence est responsable de la politique étrangère, alors que le premier
ministre, qui est responsable devant le président, applique la politique intérieure.
Depuis son arrivée au pouvoir, Sarkozy a cherché à limiter l’influence du
premier ministre, François Fillon, en supervisant directement à la foi la
politique étrangère et la politique intérieure. Ceci lui a permis de draper du
manteau de la souveraineté française à la fois ses coupes sociales et son
statut de chef d’Etat conformément à l’atmosphère nationaliste et
sécuritaire qu’il n’a cessé d’encourager depuis son élection.
Dans le système constitutionnel actuel, le
président dispose de pouvoirs substantiels sur les autres secteurs gouvernementaux.
Après des élections parlementaires, il désigne le premier ministre et approuve
les ministres nommés par le premier ministre. Le président peut dissoudre le
parlement à tout moment.
L’attribution de pouvoirs considérables au
président de la Cinquième République remonte à ses origines, c’est-à-dire
au coup d’Etat, aussi appelé « coup d’Etat de velours »
ou « coup d’Etat démocratique », organisé en 1958 contre la
Quatrième République par les partisans du général de Gaulle dans l’armée française
d’occupation en Algérie.
Devant l’opposition populaire
grandissante contre la guerre en Algérie, des forces armées présentes à Alger
et qui étaient en contact avec un représentant de De Gaulle à Alger, Léon Delbecque,
organisèrent une rébellion armée contre l’autorité gouvernementale en
Algérie et en Corse. Il existait des plans qui prévoyaient de lâcher des
parachutistes sur Paris. De Gaulle avait déclaré à l’Assemblée nationale
que le seul moyen d’éviter une confrontation directe avec l’armée était
de lui accorder le pouvoir d’élaborer une nouvelle constitution et
d’instaurer une Cinquième République.
De Gaulle était d’avis que la
représentation proportionnelle au parlement et la faiblesse du pouvoir exécutif
de la Quatrième République, issues de la libération de la France des nazis,
empêchaient une protection efficace des intérêts impérialistes français. En
rédigeant la constitution, de Gaulle a créé une fonction présidentielle dotée
de pouvoirs énormes, et qu’il se destinait, dans le but de stabiliser la situation
politique et d’imposer le régime français en Algérie.
Depuis cette date la constitution s’est
avérée être très impopulaire et le Conseil constitutionnel a enregistré pas
moins de 19 tentatives réussies de modification depuis 1960.
Le pouvoir du président à l’égard du
parlement a augmenté après la réforme constitutionnelle de 2000 qui a abaissé
la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Depuis, les élections
législatives ont lieu tous les cinq ans, immédiatement après l’élection
présidentielle; le président a littéralement la garantie de débuter son mandat
avec une majorité de son propre camp et ce d’autant plus que le parti du vainqueur
bénéficie d’un surplus de sièges parlementaires.
La nouvelle constitution limite maintenant à
deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs. Elle prévoit quelques
mesures de moindre importance augmentant les pouvoirs du parlement et donne à
la commission parlementaire le droit de voter contre les nominations présidentielles
à certaines hautes fonctions juridiques. Elle donne aussi le droit à l’Assemblée
nationale d’arrêter son propre ordre du jour sur 50 pour cent des jours
ouvrables. Préalablement, l’ordre du jour avait été entièrement déterminé
par le premier ministre et le gouvernement.
La réforme limite légèrement le pouvoir du
premier ministre de recourir à l’article 49-3 de la Constitution pour imposer
par la force un texte à l’Assemblée nationale. Jusque-là, le premier
ministre avait été en mesure de recourir à cette procédure pour engager le
parlement à voter une loi ou à voter une motion de censure contre son
gouvernement, ce qui pouvait entraîner sa chute. En pratique, le recours à
l’article 49-3 a presque toujours fait que l’Assemblée nationale
adopte la loi en question. L’actuelle réforme stipule que le premier
ministre peut librement faire usage de l’article 49-3 pour les lois concernant
le budget de l’Etat et les prestations sociales, mais pour les autres
questions il ne peut le faire qu’à raison d’un texte par session
parlementaire.
La réforme constitutionnelle limite le pouvoir
du président de prendre des mesures d’urgence telles que celles qui avaient
été instaurées par l’ancien président Jacques Chirac après les émeutes de
2005 contre les violences policières. Elle prévoit qu’au terme d’un
délai de 30 jours de gouvernement d’urgence, le Conseil constitutionnel, l’organe
qui contrôle la constitutionnalité des lois, peut être saisi conjointement par
les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pour décider si les
conditions existantes justifient la poursuite de cette mesure par le président.
Ensuite, ils peuvent saisir le Conseil constitutionnel tous les 60 jours.
La réforme oblige également le gouvernement à
obtenir l’autorisation du parlement pour des opérations militaires
extérieures. Le texte dit : « Si l’intervention se prolonge
au-delà de quatre mois, l’autorisation du parlement sera
nécessaire. » De telles limitations n’existaient pas auparavant.
Cette mesure qui vise à conférer un vernis de légitimité démocratique aux
opérations militaires à l’étranger de l’impérialisme français
laisse supposer que des projets d’opérations militaires encore plus
agressifs sont d’ores et déjà bien avancés.
Ces modifications font que le président continue
de disposer d’énormes pouvoirs tout en les augmentant même à certains
égards. Le président pourra s’adresser au parlement réuni en congrès et son
allocution pourra faire l’objet d’un débat, un droit dont les chefs
d’Etat français n’ont pas joui depuis le 19ème siècle.
Jusque-là, la constitution essayait de présenter
le président comme se trouvant au-dessus de toute politique partisane et cela avait
été un facteur important dans la décision d’empêcher le président de s’exprimer
directement devant le parlement. Le fait de s’adresser au parlement avait
été jusque-là une prérogative réservée au premier ministre.
Par une disposition qui vise directement la
Turquie, la nouvelle constitution prévoit une approbation par référendum pour
ratifier toute nouvelle proposition d’adhésion de nouveaux Etats à
l’Union européenne. Cependant, le président peut proposer une dérogation à
cette disposition.
Sarkozy a travaillé sans relâche pour obtenir la
majorité des deux tiers requise au parlement pour la réforme de la constitution.
Le résultat du scrutin fut incertain jusqu’au dernier moment et le vote refléta
en général les clivages des partis. Il est significatif que Sarkozy ait décidé
de ne pas soumettre sa modification de la constitution à un référendum
populaire.
La majorité requise, obtenue à deux voix près,
fut acclamée comme une victoire par les partisans de Sarkozy. Les dirigeants du
PS reprochèrent à Jack Lang, le seul député du PS à avoir voté pour le
gouvernement, d’avoir offert la victoire Sarkozy.
Sarkozy avait convaincu les députés du PRG (Parti
radical de Gauche) qui d’ordinaire s’associent au PS, de soutenir
la réforme en leur promettant d’abaisser à 15 le nombre de députés requis
pour constituer un groupe parlementaire à l’Assemblée.