La conférence des ministres des Affaires
étrangères des pays de l'OTAN qui s'est tenue mardi et mercredi à Bruxelles a
opposé une nouvelle fin de non-recevoir aux États-Unis sur la question de
l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'organisation. Ce sommet de l'OTAN
réunissant 26 ministres des Affaires étrangères a refusé de se plier à la
pression exercée par la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice en faveur
d'une acceptation rapide des deux pays de l'Europe de l'Est.
Au lieu de cela et à l'initiative d'un certain
nombre de pays européens importants, parmi lesquels l'Allemagne, la France et
l'Italie, la conférence a accepté de reprendre le dialogue avec la Russie. La
décision finale de l'alliance atlantique d'engager « une reprise
conditionnée et progressive des relations » avec Moscou a été le résultat
d'un débat long et intense en coulisse entre, d'un côté, Rice – soutenue par le
ministre des Affaires étrangères britannique et un certain nombre de pays
d'Europe centrale et de l'Est – et, de l'autre, une alliance de pays d'Europe
de l'Ouest emmenée par l'Allemagne et la France.
Ce sommet a également décidé que la Géorgie et
l'Ukraine deviendraient membres de l'OTAN « plus tard » et confirmé
que les commissions déjà existantes au sein de l'OTAN aideraient les deux pays
sur le « long » chemin de l'adhésion à l'OTAN.
Révélant à quel point ce processus de
préparation à l'adhésion pourrait être « long », le journal Allemand Süddeutsche
Zeitung faisait remarquer mercredi dans un article favorable à la décision
de l'OTAN : « Il était tout à fait raisonnable de s'y opposer [à
toute adhésion rapide]. En réalité, il n'y a aucun fondement à une accélération
mais il en existe à un ralentissement. L'Ukraine est très loin, à des
générations, de l'OTAN. Et tant que la Géorgie sera en conflit avec les
provinces rebelles d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, elle ne sera pas acceptée
par l'alliance, parce que personne ne veut être attiré dans une nouvelle guerre
au Caucase. Il faudra des dizaines d'années pour désamorcer la situation. »
En avril dernier déjà, les plans américains
pour une admission rapide de ces deux pays d'Europe de l'Est avaient été
rejetés par une majorité d'Etats européens emmenés par l'Allemagne lors du
sommet de Bucarest. Durant les débats ardents de ce sommet, les États-Unis et
leurs alliés avaient accusé l'Allemagne en particulier d'être « naïve »
et « trop confiante » envers la Russie.
En août de cette année, les États-Unis et
leurs alliés européens avaient rapidement entrepris de vilipender la Russie
comme étant l'agresseur dans le conflit avec la Géorgie. La campagne médiatique
et politique concertée pour soutenir les mensonges de la propagande du président
géorgien Mikheil Saakachvili était dirigée par George Bush et avait reçu le
soutien du candidat démocrate à la présidence, Barack Obama.
Depuis l'éclatement de ce conflit, les preuves
s'accumulent qui tendent à montrer que l'invasion de l'Ossétie du Sud par la Géorgie
était l'aboutissement d'un plan longuement mûri pour l'occupation de la
république rebelle. Encore récemment, l'ex-émissaire géorgien en Russie, Erosi
Kitsmarishvili, déclarait lors d'une audition devant le Parlement géorgien :
« Les autorités américaines ont donné le feu vert à une opération
militaire en Ossétie du Sud. »
Durant les préparations du dernier sommet de
l'OTAN à Bruxelles, le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter
Steinmeier, affirma très clairement qu'il n'y aurait aucun changement dans la
politique d'opposition allemande à une adhésion rapide de la Géorgie et de
l'Ukraine. À Bucarest en avril, Steinmeier avait remarqué qu'il y avait
quelques « rudes objections » visant l'Allemagne, mais qu'il serait
absurde d'insinuer que lui-même ou le gouvernement allemand seraient « naïf
ou ignorant » en ce qui concerne la Russie. « Je suis et resterai
fermement convaincu qu'il serait mauvais d'isoler la Russie », a-t-il
conclu.
Dans des commentaires pour le quotidien
allemand Der Spiegel, Steinmeier a décrit les tensions entre l'Europe et
la Russie à la suite de la guerre Russo-géorgienne comme un « conflit
intra-européen inutile » et évoqué les mots du secrétaire à la Défense
américain Donald Rumsfeld, qui au moment de la guerre en Irak avait fait la
distinction entre la « vieille » Europe (les nations d'Europe de
l'Ouest prédominantes) et la « nouvelle » (la Grande-Bretagne et les
pays d'Europe de l'Est). Cette fois-ci, remarquait Stainmeier, « C'est la
Vieille Europe qui a ramené la procédure à la raison. »
Pendant que le ministre des Affaires
étrangères allemand déclarait qu'il n'y aurait aucune concession de la part de
son gouvernement en ce qui concerne la Géorgie et l'Ukraine, l'ambassadeur
russe à l'OTAN, Dmitry Rogozin, réagissait avec jubilation à la décision du sommet :
« Il y a une fracture ouverte dans l'OTAN et elle va s'élargir si l'OTAN
essaye de s'étendre encore plus », a-t-il déclaré à la télévision
nationale Vesti-24. Puis il a ajouté : « Les plans de ceux qui avaient
adopté une attitude froide envers la Russie ont été déjoués. »
Si l'Allemagne, alliée à la France et à
l'Italie, a été capable de résister à la pression des États-Unis sur la
question de l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'OTAN, Washington a pu
obtenir un accord sur ses plans pour installer un bouclier de défense
anti-missiles en Europe malgré l'opposition virulente de la Russie. Le
communiqué du sommet concernant le bouclier de défense a été signé par
l'ensemble des 26 Etats de l'OTAN mais, autre indication de l'existence de
tensions en coulisse, il a été révélé que le communiqué final avait été réécrit
22 fois.
En dépit des concessions faites aux États-Unis
sur son bouclier anti-missiles, il est clair que le sommet de l'OTAN à
Bruxelles représentait une nouvelle étape dans la montée des tensions entre les
grandes puissances des deux côtés de l'Atlantique.
Depuis l'effondrement de l'Union soviétique en
1991, les États-Unis ont poursuivi une politique d'encerclement militaire et
politique systématique de la Russie. Durant la Guerre froide, et avant la
désintégration de l'Union soviétique, l'influence militaire directe des
États-Unis s'arrêtait à la frontière est-allemande. Depuis lors, les États-Unis
ont étendu leur présence militaire de quelque 1200 kilomètres vers l'Est, ils disposent
maintenant de troupes de l'OTAN en Estonie, directement sur la frontière russe.
Depuis quelque temps, les nations d'Europe
occidentale, largement dépendantes des livraisons de pétrole et de gaz russes,
assistent à ce processus d'encerclement progressif par Washington avec une
inquiétude croissante. L'Allemagne est le principal partenaire commercial de la
Russie. Il y a tout juste deux mois, la chancelière allemande Angela Merkel est
allée en Russie signer un contrat de première importance entre la firme
allemande E.ON et l'entreprise énergétique d'Etat russe Gazprom pour
l'exploitation des immenses réserves du champ gazifère de Yuzhno-Russkoye en
Sibérie. Les répercussions de la crise financière internationale ont également
eu pour conséquence de dégrader les relations entre les États-Unis et l'Europe
avec la montée des lobbies protectionnistes des deux côtés de l'Atlantique.
Dans un récent article du New York Times,
Angela Stent (officier en chef en charge de la Russie au Conseil national des
services du renseignement des États-Unis de 2004 à 2006) fit référence aux
tensions exacerbées et donna un conseil au prochain président américain : « Il
y a de sérieux désaccords entre Washington et Berlin, et Moscou ne peut qu'en
profiter s'il n'y a pas de meilleure coordination… L'administration Obama
devrait travailler avec les Allemands lorsqu'elle réévaluera la politique américaine
à l'égard de la Russie. »
En fait, il y a peu d'indications que la présidence
d'Obama inversera la stratégie de confrontation politique et de provocations
militaires contre la Russie inaugurée par le président Bush. Obama avait
poursuivi son soutien à la ligne de la Maison-Blanche sur le conflit entre la
Russie et la Géorgie en rejoignant le chœur de ceux qui appelaient à une
adhésion rapide de ce pays à l'OTAN. Pour ne rien arranger, son équipe chargée
de la politique étrangère comprend plusieurs personnalités représentant une
continuité bipartisane avec les politiques adoptées par la Maison-Blanche sous
Bush.
Déjà en avril 2008, la rivale d'Obama chez les
démocrates, Hillary Clinton (maintenant nommée au poste de secrétaire d'Etat),
avait déclaré qu'elle était « profondément troublée » par l'activité
russe en Abkhazie et en Ossétie du Sud, qui selon elle sapait « l'intégrité
territoriale » de la Géorgie. Clinton alla jusqu'à demander au président
Bush de « montrer notre soutien » au gouvernement géorgien. Elle
critiqua aussi le gouvernement russe pour s'être engagé dans une « campagne
de pressions visant à empêcher l'Ukraine de chercher à établir des liens plus
profonds avec l'OTAN ».
En ce qui concerne le système de défense
anti-missiles, le quotidien conservateur tchèque Lidové, a écrit que la
décision de soutenir le système au sommet de Bruxelles est « une mauvaise
nouvelle pour les opposants au projet et ceux qui pensaient qu'après l'élection
de Barack Obama il y aurait un changement de direction dans la politique étrangère
américaine. La nomination des partisans du système de défense Hillary Clinton et
Robert Gates (respectivement secrétaires d'Etat et à la Défense) montre que, au
moins sur ce point, le changement dans la politique de Washington dont on parle
tant, ne se produira pas. »
Contrairement aux espérances de larges
sections des médias, la présidence Obama ne fera pas grand-chose pour relâcher
les tensions des deux côtés de l'Atlantique. En fait, des commentaires du
secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, après le sommet,
indiquaient quelle serait la prochaine zone de conflit entre l'Europe et les
États-Unis.
Selon de Hoop Scheffer, il y avait unanimité à
l'OTAN sur sa participation en Afghanistan, mais il n'a laissé aucun doute sur
le fait que le président Obama demandera un engagement plus important en
troupes et en argent aux alliés européens. « Il est clair comme du cristal
que nous avons besoin de plus de troupes en Afghanistan », a-t-il déclaré,
ajoutant qu'il n'avait aucun doute que M. Obama allait « faire sonner les
téléphones dans toutes les capitales européennes ».
« Les alliés doivent faire mieux, je veux
voir l'équilibre dans cette alliance. Je ne veux pas seulement voir plus de
troupes américaines. Il faut que ce soit un renforcement des moyens à la fois militaires
et civils, et ce qui m'inquiète un peu, c'est que les alliés de ce côté de
l'océan auront du mal à être à la hauteur de l'effort supplémentaire que la
nouvelle administration pourrait fournir en Afghanistan. »
Il y a déjà une opposition considérable dans
les capitales européennes à une implication plus profonde dans le bourbier
afghan sous la direction des États-Unis. L'Allemagne, la France et l'Italie
sont tout à fait prêtes à mener des campagnes militaires, y compris en
Afghanistan. Cependant, à Berlin, Paris et Rome il s'exerce une pression
politique de plus en plus forte pour que les gouvernements européens se
libèrent de l'emprise de l'impérialisme américain afin de poursuivre librement
leurs propres intérêts à travers le continent.
(Article original anglais paru le 5 décembre
2008)