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Nouvelles preuves sur la torture et les mauvais traitements infligés à un enfant

Le Canada réitère son appui à la détention de Khadr à Guantanamo Bay

Par Graham Beverley et Keith Jones
22 juillet 2008

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Des documents et une vidéo du gouvernement canadien récemment rendus publics ont fourni de nouvelles preuves que le citoyen canadien Omar Khadr a été maltraité et torturé par l’armée américaine durant sa détention dans le camp de concentration du gouvernement des Etats-Unis à Guantanamo Bay.

Ces nouvelles révélations montrent à quel point le gouvernement canadien est complice dans la persécution de Khadr, qui est détenu par l’armée américaine depuis 2002, ayant été appréhendé alors qu’il avait 15 ans.

La vidéo, qui date de février 2003, montre un interrogateur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ignorant et ridiculisant les plaintes de Khadr qui soutient être maltraité. A un certain moment, on peut entendre un agent du SCRS menaçant Khadr de représailles contre sa famille, qui vit en majorité au Canada.

Le gouvernement canadien a toujours insisté qu’il n’avait aucune raison de penser que Khadr était torturé. Mais les documents, comme la vidéo, rendus publics malgré les objections du gouvernement et sous ordonnance de la cour, montrent que les autorités canadiennes étaient savaient en 2004 que Khadr avait été soumis à un programme de privation de sommeil.

La vidéo et les documents ont alimenté le tollé dans la population face à la complicité du gouvernement canadien dans les mauvais traitements infligés à Khadr, le seul citoyen occidental encore détenu dans le camp manifestement illégal de Guantanamo Bay et accusé sous le tribunal irrégulier des commissions militaires de l’administration Bush.

Malgré tout, le gouvernement conservateur de Stephen Harper demeure intransigeant en réitérant son appui pour la détention de Khadr et son procès par l’armée américaine.

De nouvelles preuves de la complicité du Canada

En tout, sept heures d’extraits vidéo ont été rendues publiques mardi dernier. Elles documentent l’interrogatoire que les agents du SCRS ont mené durant quatre jours en février 2003 avec Khadr, alors âgé de 16 ans.

La vidéo a été fortement éditée pour empêcher que ne soient identifiés les trois agents du SCRS et pour se conformer aux clauses de « sécurité nationale » de la Loi sur la preuve au Canada.

Au début de la première séance, Khadr est soulagé de constater que ses interrogateurs, qui lui ont apporté du fast-food et des boissons gazeuses pour gagner sa collaboration, sont canadiens. Manifestement soulagé, il dit : « Ça fait longtemps que je demande l’aide du gouvernement canadien. »

Mais l’humeur de Khadr changera complètement au fur et à mesure qu’il se rendra compte que les agents du SCRS sont totalement indifférents à ses plaintes et qu’ils ne veulent que lui soutirer de l’information.

Khadr affirme aux agents du SCRS que les révélations qu’il avait faites aux responsables américains ont été extraites en raison d’une longue période de torture et de mauvais traitements. Mais l’interrogateur du SCRS rejette les assertions de Khadr.

A un certain moment, Khadr retire sa chemise pour montrer aux agents du SCRS que ses blessures par balle survenues l’été précédent, lorsque les forces spéciales américaines prirent d’assaut des bâtiments afghans dans lesquels il vivait, n’étaient pas encore complètement guéries. On peut voir du sang suinter d’une de ses blessures. Khadr affirme de plus que les autorités de Guantanamo Bay lui refusent depuis longtemps des soins médicaux adéquats.

Mais l’interrogateur du SCRS demeure insensible. Il affirme que, « Tes blessures me semblent bien guérir... Je crois que tu reçois de bons soins. »

Lorsque Khadr se plaint qu’il a perdu l’usage normal de ses yeux et de ses pieds en raison des blessures et des mauvais traitements infligés aux mains des militaires américains, l’agent du SCRS se moque de lui : « Tu as encore tes yeux et tes pieds sont toujours au bout de tes jambes. »

Les agents du SCRS deviennent ensuite plus agressifs et accusent Khadr de mentir et d’utiliser ses blessures et son état d’esprit pour éviter de répondre à leurs questions.

Khadr, traumatisé, lance : « Vous ne vous souciez pas de moi », et s’effondre en larmes. Les agents du SCRS quitte la salle d’interrogation. Khadr continue de pleurer. A un certain moment, on peut l’entendre gémir en appelant sa mère en arabe.

À un autre moment de la vidéo, un agent du SCRS dit à Khadr que s’il aime vraiment sa famille, il parlera, c’est-à-dire qu’il avouera sa culpabilité afin que « d’autres membres de ta famille… ne finissent pas dans la même situation que toi. »

Les Etats-Unis prétendent que Khadr a tué un sergent des Forces spéciales américaines pendant un combat de quatre heures dans lequel il fut arrêté. Lorsqu’il fut questionné là-dessus, Khadr a nié toute implication, disant qu’il était trop jeune pour se sauver de l’abri à Ayoub Kheyl, en Afghanistan, où son père, un sympathisant et un prétendu membre d’al-Qaïda, l’avait laissé.

L’interrogateur du SCRS lui a ensuite mis de la pression, disant : « Ton père t’a laissé là pour une raison… tu penses que c’est bien ce que tu as fait. »

« Je n’ai rien fait, a répliqué Khadr. Qu’est-ce que j’ai fait ? J’étais dans une maison. »

La vidéo de la séance finale montre les interrogateurs du SCRS de plus en plus frustrés. L’interrogateur en chef se lève de sa chaise et dit : « Merci beaucoup pour ton temps… mais nous avons autre chose à faire. » Khadr réplique : « Vous voulez juste entendre ce que vous voulez bien entendre… Je ne sais pas ce que vous pensez que je suis. Vous me posez des questions comme si j’étais quelqu’un d’al-Qaïda ou je ne sais quoi d’autre. »

La scène finale montre les interrogateurs canadiens quittant la pièce et Khadr s’enfouissant la tête dans ses mains en pleurant.

Le 9 juillet, six jours avant la sortie de la vidéo, des documents du gouvernement canadien furent rendus publics, sous ordre de la Cour, qui montrent qu’un haut responsable des Affaires étrangères canadiennes fut informé en 2004, avant l’interrogatoire de Khadr, que lors des trois semaines précédentes, le jeune captif avait été déplacé toutes les trois heures vers une cellule différente, afin de l’empêcher de dormir de façon ininterrompue. Le gouvernement canadien fut aussi informé que, après son départ, Khadr « sera bientôt placé en isolement pour une période allant jusqu’à trois semaines et il sera ensuite interrogé à nouveau. »

Les séances de 21 jours de privation de sommeil, une pratique spécifiquement prohibée par le droit internationale et les Conventions de Genève, étaient réalisées selon le document afin de rendre Khadr « … plus maniable et plus enclin à parler ».

Le document canadien critique la pratique, mais seulement du point de vue qu’elle était inefficace.

Le rôle soutenu de l’État canadien dans la persécution de Khadr

La sortie de la vidéo de l’interrogatoire par le SCRS du jeune Khadr de 16 ans a, avec raison, provoqué un vent de protestation au Canada et internationalement. Mais, l’agence principale de renseignements du Canada a vigoureusement défendu les gestes de ses agents.

Le porte-parole du SCRS, Manon Bérubé, a dit que les agents qui avaient interrogé Khadr avaient agi « de manière appropriée » et « de bonne foi » et que l’agence n’avait « pas d’information avant sa rencontre initiale avec Omar Khadr qu’il avait reçu des mauvais traitements ».

Bérubé a gaiement ignoré ce que tout le monde peut voir dans la vidéo : les agents du SCRS réagissent avec hostilité aux accusations de mauvais traitements provenant de Khadr. De plus, elle a affirmé que le SCRS n’a pas d’obligation légale à défendre les droits des Canadiens à l’étranger.

Encore plus importante et révélatrice que le soutien continu de l’État canadien pour l’administration Bush et la persécution de Khadr par l’armée américaine a été la réponse du gouvernement conservateur de Harper.

« Le point essentiel est que le gouvernement n’a pas changé sa position » a dit Kory Teneycke, le porte-parole du premier ministre Stephen Harper. « Ce fut très conséquent, pas seulement lors de la durée de ce gouvernement, mais aussi du gouvernement précédent,… Il y a un processus judiciaire pour s’occuper des accusations sérieuses qui ont été portées contre M. Khadr et ce processus, qui n’est pas politique, doit déterminer son sort. »

Harper a dit à peu près la même chose lors de la conférence de presse qu’il a tenue le 10 juillet lors de la conclusion du sommet du G8 à Tokyo. Lorsqu’on lui demanda directement s’il chercherait maintenant l’extradition de Khadr, Harper a répondu : « Ma réponse est non. M. Khadr est accusé de crimes très sérieux… Il y a un processus légal en cours aux Etats-Unis et il pourra présenter les arguments de sa défense pendant ce processus. »

Harper a aussi mis l’accent sur la continuité entre la position des gouvernements libéraux précédents et celle du présent gouvernement conservateur concernant Khadr en disant : « … nous agissons toujours en tant que gouvernement en fonction de nos avis juridiques et de nos obligations légales. Le gouvernement [libéral] précédent a pris toute l’information en compte lorsqu’ils ont pris leurs décisions sur la manière de procéder avec le cas Khadr. »

Affirmer que Khadr est dans « un processus légal », comme le fait Harper, est une supercherie. Les détenus de Guantanamo ont été désignés de façon arbitraire comme étant des « combattants ennemis », détenus indéfiniment sans accusation et sans procès et soumis à la torture, y compris la privation du sommeil et le supplice de la noyade. Même la Cour suprême américaine a été forcée de reconnaître que le gouvernement et l’armée des Etats-Unis ont systématiquement violé la loi américaine et internationale avec leur camp de concentration de Guantanamo.

Dans un affidavit qu’il a fait sous serment en février dernier, Khadr a décrit le traitement brutal auquel il a été soumis aux mains de ses gardiens, y compris de longues périodes dans des positions de stress en étant enchaîné sur le plancher, l’abus physique alors qu’il récupérait de ses blessures et la menace de viol.

Les commissions militaires de l’administration Bush nient les principes juridiques les plus élémentaires, y compris l’admissibilité de la preuve obtenue sous la torture.

De plus, il y a des faits indiquant fortement que le gouvernement et l’armée des Etats-Unis ont l’intention de piéger Khadr, se vengeant sur lui des activités de son père et de la mort d’un soldat américain lors de l’assaut sur le bâtiment d’Ayoub Kheyl. Les autorités américaines ont supprimé et même altéré la preuve qui établissait que Khadr n’était pas la seule personne toujours vivante dans le bâtiment lorsque la grenade qui a tué le sergent Christopher Speer a été lancée. A la fin du mois de mai, le Pentagone a remplacé le juge militaire entendant la cause de Khadr après qu’il ait critiqué le gouvernement pour ne pas avoir transmis les documents liés aux traitements qu’a subis Khadr à Guantanamo.

Pour finir, mais non le moindre, même si Khadr était directement impliqué dans un combat armé avec les forces américaines, ce qu’il nie vigoureusement, il l’a fait dans des conditions où les forces américaines menaient un assaut sur le bâtiment dans lequel il vivait comme partie de leur invasion et leur occupation de l’Afghanistan. Il a donc, selon les lois de la guerre, agi en légitime défense et, de plus, en tant qu’« enfant-soldat », il n’est pas légalement responsable de ses actes.

Le Parti libéral et Khadr

Reconnaissant que la population canadienne est de plus en plus en colère du soutien du gouvernement canadien pour la détention de Khadr à Guantanamo, les libéraux, qui étaient au pouvoir lors des premiers trois ans et demi de sa détention par l’armée américaine, n’ont que tout récemment appelé en faveur de son rapatriement au Canada. Une fois de retour dans son pays de naissance, se sont empressés d’ajouter les libéraux, il devra faire face au système judiciaire canadien.

En expliquant la position libérale, le responsable des affaires étrangères du parti, Bob Rae, a noté que les deux candidats présidentiels aux élections américaines, Barack Obama et John McCain, avaient déclaré qu’ils souhaitaient la fermeture du camp de prisonniers de Guantanamo. « Stephen Harper est aujourd’hui presque la seule personne en Occident défendant encore le processus juridique à Guantanamo. »

Les libéraux et les autres partis de l’opposition ont insinué que le gouvernement conservateur défend le système des commissions militaires et la détention d’Omar Khadr à Guantanamo parce qu’il est loyal à l’administration Bush. Il ne fait pas de doute qu’il y a du vrai là-dedans : Harper est un idéologue néo-conservateur et son gouvernement est un proche allié du président américain en diplomatie internationale et dans la « lutte mondiale contre le terrorisme ».

Toutefois, il est clair que les gestes de l’élite dirigeante canadienne en ce qui concerne Omar Khadr font partie d’un ensemble plus large, y compris la complicité du gouvernement canadien, tant sous les gouvernements libéraux que conservateur, dans la torture de citoyens canadiens tels Maher Arar, Abousfian Abdelrazik et d’autres.

Les libéraux tentent maintenant de se présenter comme des opposants du camp de détention de Guantanamo détesté internationalement et de la persécution d’un homme de 21 ans qui fut appréhendé lorsqu’il était enfant et qui y a vécu presque le tiers de sa vie. Mais pas plus les libéraux que les autres partis d’opposition ne sont prêts à mener une lutte sérieuse pour exposer la complicité du Canada dans la torture et à alerter la classe ouvrière sur la façon  dont cela est une partie d’un assaut plus large de la classe dirigeante sur les droits démocratiques fondamentaux.

(Article original anglais paru le 19 juillet 2008)

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