On pardonnerait volontiers à un touriste étranger
visitant Sydney cette semaine de croire que le catholicisme est la religion
officielle de l'Australie. Les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) 2008
organisées par l'Eglise catholique, qui ont débuté mardi et durent jusqu'à
dimanche, ont pris la forme d'une cérémonie religieuse d'Etat.
Mardi, le premier ministre travailliste Kevin
Rudd s'est exprimé pendant la messe d'ouverture des JMJ aux côtés de 26
cardinaux, 400 évêques et 4000 prêtres. Il a déclaré aux près de 143 000
pèlerins rassemblés à Barangaroo, près de Darling Harbour, que « Le
christianisme a été une force écrasante oeuvrant pour le bien dans le monde. »
Le discours de Rudd lors de cette messe en
plein air, dirigée par le cardinal australien George Pell, était une première
pour un premier ministre australien. Sa promotion assumée en faveur de
l'obscurantisme religieux et du cléricalisme constitue une atteinte au principe
démocratique fondamental de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Il a affirmé que « L'Australie est
profondément influencée par, et fière de son héritage et de son avenir
chrétiens. […] Nous avons aussi une profonde estime pour l'important
héritage catholique de l'Australie, qui est profondément ancré dans ses
traditions et vital pour son avenir. »
En fait, l'Australie est l’un des pays
les plus laïcs du monde. Moins de 27 pour cent de la population se
déclarent catholiques et seulement 14 pour cent d'entre eux sont pratiquants.
Applaudis comme un progressiste par l'establishment
de « gauche » pendant l'élection fédérale de novembre dernier, Rudd a
utilisé ses remarques d'« avant messe » pour lancer une attaque
contre la laïcité, la science et la raison : « Certains disent qu'il
n'y a pas de place pour la foi au 21ème siècle », a-t-il
proclamé d’une voix pompeuse, psalmodiant de façon agaçante à la manière
de Tony Blair, « je dis qu'ils ont tort. Certains disent que la foi est
l'ennemi de la raison, je dis aussi qu'ils ont tort. Ce sont de grands
partenaires, riches d'une histoire commune et du progrès scientifique. »
La description de l'Eglise catholique par le premier
ministre comme un « grand partenaire » du progrès scientifique est une
outrageuse falsification de l'histoire. Le Vatican a constitué un bastion
opposé à la raison est à la science depuis la Renaissance. C'est, après
tout, la même institution qui a brûlé Giordano Bruno et remis Galilée entre les
mains de l'Inquisition pour avoir commis l'hérésie d'enseigner que la Terre
tourne autour du soleil.
Désorientation
Lundi, il était impossible d'échapper à la
couverture médiatique de l'arrivée du pape Benoît XVI à Sydney. Aucun aspect n’a
été négligé, pas même les plus triviaux. Les journalistes des agences Fairfax
et Murdoch qui s'étaient joints aux régiments de la presse du Vatican à bord du
Sheperd One (Berger un – le jet privé du pontife) ont régalé leurs
lecteurs des informations sur le menu. Selon Paola Totaro du Sydney
Morning Herald, « les plats comprenaient des raviolis de ricotta avec
des radicchio, des couteaux (les coquillages) grillés dans une sauce à la
grappa servies avec des asperges et des carottes, une sélection de fromages, du
filet de bœuf farci aux champignons et des douceurs assorties de la
boutique du glacier Rinaldini ».
On a cherché en vain dans la première page du Herald
des informations sur la crise financière américaine et mondiale la plus
sérieuse depuis les années 1930 – avec l'intervention du conseil
d'administration de la réserve fédérale américaine venue au secours des géants
du crédit hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac. Les indications d'un
effondrement financier global, les débâcles militaires en train de se produire
en Afghanistan et en Irak, les bruits de bottes renouvelés contre l'Iran, le
changement climatique, l'inflation qui augmente et la menace d'une importante
famine à cause des prix plus élevés du carburant et des marchandises –
tout cela a été balayé par des pages et des pages de ragots dédiés au pape et à
l’Eglise catholique.
Une atmosphère irréelle semble s'être emparée
de l'establishment politique. « La mission des Journées mondiales
de la jeunesse de Benoît va apporter l'espoir à une nation : le pape va
rallumer la flamme de la foi » proclamait la première page de l'Australian.
« Le pape atterrit avec un message : Sydney, aide à sauver le monde »
déclarait l'Herald. On est tenté d'y voir toute la sagesse des équipes
éditoriales de Fairfax et News Limited : quelque chose va se passer, un miracle
peut-être !
Mais aucun miracle n'est intervenu.
Les étranges remarques faites par Benoît XVI à
l'occasion d'une brève conférence de presse lors d'une étape témoignent de la
crise qui frappe l’Eglise catholique. Rien ne pouvait cacher la
banqueroute intellectuelle du pape. Le pontife n'a répondu qu'à cinq questions
sur les dizaines qui avaient été soumises à l'appréciation des responsables de
la communication du Vatican 24 heures plus tôt.
« Il y a une crise [de l'Eglise] en Europe,
moins en Amérique », a déclaré le pape aux journalistes. « L'Australie
dans sa configuration historique fait partie du monde occidental… L'Occident
a accompli de grands succès, des succès économiques et technologiques, au cours
des cinquante dernières années. Mais la religion est passée à l'arrière-plan. »
« Les pédophiles ne peuvent pas être
prêtres », a-t-il déclaré, une simple admission de la crise des sévices
sexuels qui a submergé l’Eglise.
Lundi, un tabloïde, le Daily Telegraph,
avait affirmé que l'arrivée du pape à Sydney avait « apporté une vague
d'optimisme... mettant les pèlerins dans une ferveur enthousiaste ». La réalité
est quelque peu différente. Lorsque la candidature de Sydney pour les JMJ avait
été retenue en 2005, l'Eglise catholique avait annoncé que plus de 200 000
pèlerins étrangers y participeraient. Mais les représentants de l'Eglise ont
revu leurs prévisions à la baisse à plusieurs reprises. Il n'y a qu'un peu plus
de 100 000 pèlerins qui ont fait le voyage.
En traversant les rues commerçantes de Sydney
on est frappé par le caractère dérisoirede l'événement.Des groupes de
jeunes pèlerins semblent quasiment dériver, sans but apparent, et l'on se
demande s'ils ne sont pas perdus, non seulement métaphoriquement mais aussi
littéralement. Dans les quartiers résidentiels à l'extérieur de Sydney la nuit
dernière, il y avait des groupes de pèlerins d'Afrique et des îles du Pacifique
avançant dans le froid air nocturne le long d'un axe d'autoroute majeur, une
zone sans magasins, ni cafés ou restaurants.Des milliers d'entre eux dorment
dans les amphithéâtres des écoles et autres campements improvisés. Des
dizaines, surpris par les températures nocturnes hivernales de Sydney n'ayant
ni vêtements chauds ni lieu où dormir, ont fini au service des urgences de
l'hôpital en état d’hypothermie et/ou sévèrement grippés.
Mais l'aspect le plus surprenant des JMJ tient
à la mise en avant insistante de l'identité nationale. Pour la plupart, les
pèlerins se déplacent en groupes nationaux, enroulés dans leurs drapeaux et
emblèmes nationaux respectifs. Au milieu des mélodies des Ave Maria surgissent
les horribles « Aussie, Aussie, Aussie, Oi, Oi, Oi ! » [Aussie
est un terme d'argot pour désigner les Australiens, surtout utilisé par les
skinheads pour exclure les non-blancs, ndt].
Les symboles nationalistes ne sont pas une
expression spontanée. Ils sont promus et vendus par l’Eglise catholique
aux jeunes pèlerins. Le « Catalogue officiel des produits dérivés des JMJ
08 » comprend 23 pages de vêtements et de couvre-chefs, d'icônes religieuses,
d'accessoires et de gadgets, disponibles à la vente à Hyde Park. « Montrez
votre fierté nationale », exhorte le catalogue. Alors que l'Eglise
catholique prétend être la « foi universelle », elle fonctionne comme
un impitoyable défenseur du système des Etats-nations capitalistes, tout comme
elle défendait à une époque les petits Etats princiers de l'ordre féodal.
Les JMJ ont été instaurées en 1984 par le pape
Jean-Paul II, comme participant à l’effort pour inverser le déclin de l'Eglise.
Mais les enseignements médiévaux et les valeurs morales conservatrices de cette
institution sont complètement à l'opposé de la vie économique et sociale
actuelle. Son opposition à la modernité et à la science s'exprime dans le dada
théorique favori du pape Benoît, qui suppose l'existence d'un conflit entre la « force
morale » et le progrès technologique. Dans l'édition de mardi du Sydney
Morning Herald, figurait un entretien avec un pèlerin de 16 ans originaire
d'Alaska, Bobby Desrochers, qui expliquait que : « Nous [avons dû]
faire beaucoup de sacrifices pour venir ici… Le plus important pour nous,
c'est que nous n'étions pas autorisés à apporter nos téléphones portables ou
nos iPods ou quoi de ce soit du genre. C'est pour que notre attention ne soit
pas attirée vers les nouvelles technologies et nous concentrer vraiment sur les
raisons pour lesquelles nous sommes tous ici. »
Une organisation qui traite les iPods et les
moyens de communication numériques avec suspicion est incapable de prendre
racine parmi la jeunesse du vingt-et-unième siècle.
Iemma
: « Dieu inspire mon mandat »
Le gouvernement de Nouvelles-Galles du Sud de
Morris Iemma, travailliste, a mis toute la ville de Sydney à la disposition de l’Eglise
catholique pour les JMJ, suscitant un large mécontentement populaire. Le
quartier commerçant a été fermé, des centaines de rues bloquées et quelque 600 « zones
d'exclusion » ont été établies par décret, avec des règles draconiennes
pour contrôler la liberté de parole et de mouvement. Les établissements qui ont
dû fermer pour ces raisons n'ont pas pu obtenir de compensation financière.
Le gouvernement de Nouvelles-Galles du Sud
[NSW] finance les JMJ de l'Eglise catholique à hauteur de 129 millions de
dollars, et 20 millions supplémentaires sont versés par le gouvernement fédéral
travailliste. Cela inclut 10 millions de dollars prévus pour remplacer la
pelouse de l'hippodrome de Randwick au cas où elle serait détériorée par les
pèlerins lors de la messe finale du pape. Et ceci n’inclut pas les dizaines
de millions de dollars accordées par le gouvernement sous forme d'aide « en
nature ». Des milliers d'enseignants, des écoles catholiques comme
publiques, ont été forcés à travailler pour rien pour servir de surveillants
aux pèlerins, ils ont été obligés à rester toute la nuit dans les
amphithéâtres, souvent sans pouvoir dormir.
Alors qu'environ 100 000 pèlerins sont
arrivés à Sydney, le système de transports en commun de la ville est dans un
état tellement lamentable que ce nombre suffit à menacer le système de
surcharge. Depuis des mois, les quatre millions d'habitants ont été priés par
les affiches du gouvernement de « faire [des JMJ] une expérience
émouvante… laissez votre voiture à la maison. » Les faits suggèrent
que de nombreux travailleurs ont décidé que le choix le plus sûr consistait à
prendre ce qu'ils pouvaient de jours de congé et de maladie et de quitter la
ville tout simplement.
Mardi, figurait dans le tabloïd de Murdoch, le
Daily Telegraph, un texte du premier ministre de Nouvelles-Galles du Sud,
Morris Iemma intitulé « Comment Dieu inspire mon mandat en NSW ». Ce
n'était ni une bonne publicité pour Dieu, ni pour le gouvernement de NSW.
« Le pape vient comme un serviteur et un
berger qui veut renforcer notre foi et notre dévotion par sa sagesse, son amour
et l'exemple, a écrit Iemma. C'est pourquoi les catholiques tendent à appeler
le pape, Saint-Père, ou, en italien, "Papa". Ce terme, qui veut
plutôt dire quelque chose comme "Daddy" ["Papa",
ndt] est particulièrement approprié à l'humble, bienveillant et jovial Benoît
XVI. »
En fait, l'« humble » Benoît fait
depuis longtemps partie de l'extrême-droite de l'Eglise catholique. À la tête
de la Congrégation de la doctrine de la foi, les continuateurs actuels de l'Inquisition,
il a fait passer une suite de positions réactionnaires auxquelles de nombreux
catholiques sont opposés. Il a signé des décrets papaux contre la
contraception, l'avortement, les mariages homosexuels, dénonçant les recherches
sur les cellules souches et réaffirmant l'interdiction du mariage des prêtres.
Le soutien apporté par l'Etat aux JMJ et les
génuflexions officielles devant le pape en disent long sur l'effondrement de la
pensée démocratique parmi les cercles dirigeants. Comme d'autres événements
récents, dont le sommet de l'APEC (Coopération économique de la zone
Asie-Pacifique), ils montrent aussi le fossé toujours plus grand qui sépare l'establishment
politique et les sentiments des gens ordinaires.
(Article original anglais paru le 17 juillet
2008)