Le président Nicolas Sarkozy a provoqué un scandale avec ses
remarques faites lors du Conseil national de son parti droitier au pouvoir,
l’Union pour un mouvement populaire (UMP) le 5 juillet dernier.
Sarkozy s’est vanté que « Désormais, quand il y a
une grève en France, plus personne ne s’en aperçoit. »
Les dirigeants syndicaux se sont levés comme un seul homme et
adopté la pose de l’indignation. Maryse Dumas, secrétaire nationale de la
CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste stalinien,
PCF) a averti que « le président joue avec le feu. »
Mais quelle est donc la cause de cette indignation? Eh bien
c’est que Sarkozy a fait l’impensable. Il a dit la vérité sur la
manière dont les syndicats ont démobilisé et trahi chacune des luttes
s’opposant à son programme de contre-réformes.
Quelques jours plus tard, le Premier ministre François Fillon
a essayé de panser les plaies des syndicats blessés dans leur fierté. Mais il
n’a réussi qu’à indiquer la raison qui avait motivé les remarques
de Sarkozy. Après une année au pouvoir, Fillon a qualifié le résultat de la
politique de Sarkozy de « révolution tranquille. » Les remarques e
Sarkozy, a-t-il dit, étaient une reconnaissance du fait que « la France
accepte les réformes … que les partenaires sociaux ont accepté
l’idée qu’il faillait s’engager sur la voie des réformes. »
Il a ensuite donné un exemple concret concernant la
collaboration des syndicats dans l’abandon de la semaine de 35 heures. « Personne
ne s’y trompe, chacun aujourd’hui salue à sa façon
l’œuvre de la majorité en parlant d’un détricotage des 35
heures. » (Nouvel Observateur, 9/7/08)
La réponse des dirigeants syndicaux à Sarkozy a consisté à
critiquer ce dernier pour avoir mis en danger leur collaboration avec le
gouvernement par ses paroles fanfaronnes qui risquent de provoquer chez leurs
membres un retour de manivelle.
Dumas a averti que « si désormais pour faire entendre des
revendications collectives les usagers doivent user de moyens d’actions
qui gênent les autres, on risque d’entrer dans une spirale dangereuse
pour notre pays. »
François Chérèque, dirigeant de la CFDT (Confédération
française démocratique du travail) et partisan déclaré des réformes
gouvernementales a dit que « mesurer l’efficacité d’un
gouvernement au nombre de grèves correspond à une vision archaïque du dialogue
social. »
Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière a dit
que « ne pas tenir compte de ce mécontentement du côté des pouvoirs
publics, c’est ne pas faire preuve de réalisme. »
Jacques Voisin du syndicat de droite CFTC (Confédération française
des travailleurs chrétiens) s’est plaint de ce que « le risque est
de balayer tout ce qui a été fait en matière d’alarme sociale et
d’inciter aux conflits purs et durs, ce qui n’est pas
souhaitable...il n’ y a pas de gagnants et pas de
perdants…….on ne peut pas laisser dire ça..»
Les grèves auxquelles Sarkozy faisait référence sont majoritairement
dans le secteur public. Il identifie avec justesse l’effet produit par
le refus de la bureaucratiede mobiliser pour la défense des retraites
des cheminots, des emplois et salaires des enseignants, et d’appeler seulement
à quelques grèves symboliques ayant pour but d’user la combativité de
leurs adhérents.
Il en résulte que le nombre d’adhérents des syndicats
français est le plus bas d’Europe et se tient à 8 pour cent, alors
qu’il était de 21,7 pour cent en 1970. La plupart sont des travailleurs
du secteur public. Cinq pour cent seulement des travailleurs du secteur privé
sont syndiqués, et très peu parmi les jeunes.
Cette combativité des syndicats français que l’on met en
avant est elle aussi infondée. Entre 2005 et 2006 le nombre de jours ouvrables
perdus du fait des grèves a chuté de 23 pour cent. Entre 1998 et 2002, le
nombre annuel de jours de grève par travailleur de la SNCF (Société des chemins
de fer) est passé de 1 à 0,2 jour. Le nombre de jours e grève par millier de
travailleurs entre 1998 et 2004 était de 37 contre une moyenne européenne de
43. (Observatoire européen des relations industrielles, 2005.)
Même dans le secteur public, les grèves symboliques sont moins
fréquentes et concernent moins de monde. La CGT et CFDT s’étaient vantées
qu’un million de travailleurs suivraient leur appel à la grève du 18 juin
dernier, mais moins de 500 000 l’ont suivi au niveau national.
Le terme de « partenaires sociaux » servant à
désigner les syndicats en dit long. Ils sont les partenaires des employeurs et
du gouvernement et non les représentants de la classe ouvrière.
Il existe de nombreux exemples de collaboration entre les
syndicats, l’Etat et les employeurs. En 1995 déjà, la CGT avait changé sa
constitution, abandonnant toute référence à une économie basée sur la propriété
sociale.En 2003, les syndicats d’enseignants de la CGT, CFDT et
FSU avaient accepté la réduction des droits de retraite pour le secteur public
après une longue grève. La CFDT a accepté les attaques sur la retraite des
cheminots tandis que la CGT et SUD (Solidarité, Unité et Démocratie) ont
démobilisé la lutte. Le dirigeant e la CGT, Bernard Thibault déclare à présent
que la CGT n’est pas « un syndicat d’opposition mais de
proposition. » Ceci a conduit au document sur la « position
commune » signé par la CGT et la CFDT avec l’organisation patronale
MEDEF (Mouvement des entreprises de France), qui soutient l’attaque de
Sarkozy sur la semaine de 35 heures et le Code du travail.
Il faut noter que la perte du nombre d’adhérents
n’a pas menacé l’existence des syndicats parce que leur intégration
dans la machine d’Etat et leur présence bureaucratique sur les lieux de
travail est devenue indélogeable. Ainsi par exemple, la CGT avait des délégués
dans 27 pour cent des entreprises en 1993. Ce chiffre a atteint 35 pour cent en
2005 malgré une perte d’adhérents.
Les syndicats dans le secteur public, qui compte trois fois
plus d’adhérents que le secteur privé, participent à la plupart des commissions
paritaires avec les employeurs et organismes publics qui gouvernent les
affaires sociales des employeurs. La nouvelle loi sur la « démocratie
sociale » au travail garantira que les subventions financières accordées
aux syndicats par les employeurs et l’Etat le sont réellement. Ceci
s’ajoute à la corruption de certains négociateurs syndicaux révélée par
l’ex patron de la Fédération des employeurs de la métallurgie, Denis
Gautier-Sauvagnac, qui a utilisé 15 millions d’euros de fonds secrets
pour « fluidifier le dialogue social » entre 2005 et 2007.
Quant à eux, les partis politiques de « gauche » ont
été tout aussi critiques vis-à-vis des remarques de Sarkozy concernant les
grèves. Ils travaillent directement avec les syndicats pour surveiller la
classe ouvrière et ils reconnaissent combien il est important de dissimuler
l’étendue de leur collaboration.
Stéphane Le Foll, porte-parole du dirigeant du Parti
socialiste François Hollande a dit, « Quand on est chef de l’Etat on
doit avoir le souci de l’union du pays...Sarkozy a humilié les syndicats,
tous les syndicats avec cette formule. »
Le Parti communiste a dénoncé les commentaires de Sarkozy
comme une « provocation » qui est « incompatible avec
l’affirmation de la nécessité de la concertation sociale et du respect
des syndicats. Cette nouvelle attaque contre les salariés ne fait que confirmer
le manque total de crédibilité du discours présidentiel sur le progrès social.»
Julien Dray, ancien dirigeant de la section étudiante de la
Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et maintenant personnalité en vue du PS
s’est plaint de ce que Sarkozy en avait trop dit, et minait de ce fait la
crédibilité de la bureaucratie syndicale. Il a expliqué, « On ne peut pas
se comporter comme un chef de clan en disant ‘voyez, j’ai roulé les
syndicats dans la farine. »
Dray sait bien qu’il n’avait pas été nécessaire de
« rouler dans la farine » les syndicats puisque ceux-ci participaient
au « dialogue social » de Sarkozy même avant qu’il ne devienne
président.
La réaction la plus malhonnête revient à la LCR qui prétend être
en train de construire une alternative révolutionnaire aux partis officiels de
la « gauche. » Dans un communiqué de presse daté du 7 juillet, la LCR
aussi est venue à la rescousse de la bureaucratie syndicale.
La LCR écrit, « Sarkozy pratique l’arrogance de
classe alors qu’il sait très bien que les mécontentements montent
partout, dans de nombreux secteurs de la société, notamment sur la question de
la baisse dramatique du pouvoir d’achat. Les mobilisations qui se
sont succédés, sans interruption, depuis 2007 pour s’opposer aux
contre-réformes libérales à l’évidence ne sont pas terminées. Déjà, des
initiatives sont planifiées à partir de septembre-octobre 2008. Il pourrait y
avoir un retour façon boomerang à ce genre provocation. »
Il y a parmi la base une grande combativité et le désir de
résister. Un rapport du ministère du travail révèle qu’entre 2002 et
2004, 30 pour cent des entreprises employant un minimum de 20 travailleurs
avaient fait l’expérience de conflits sociaux sous une forme ou une
autre, alors que ce chiffre était de 21 pour cent entre 1996 et 1998. Il faut
préciser qu’il ne s’agit pas là de grèves nationales à
l’appel ou conduites par les syndicats.
Mais la LCR attribue, de façon trompeuse, l’opposition
des travailleurs à Sarkozy à cette couche parasitique de bureaucrates
syndicaux. Elle refuse de dire pourquoi les actions des travailleurs sur les
retraites et les emplois n’ont pas abouti, car cela nécessiterait de
révéler au grand jour le rôle de la bureaucratie syndicale, ce qui serait un
anathème pour un mouvement qui fonctionne comme apologiste de gauche de cette
bureaucratie.
Les cadres dirigeants de la LCR occupent des postes haut
placés au sein de la bureaucratie syndicale, comme par exemple à la FSU
(Fédération syndicale unitaire), le syndicat enseignant, et exercent aussi une
influence dans le syndicat SUD et à la CGT. C’est dans ce milieu
qu’ils espèrent gagner du soutien pour leur nouveau parti, parmi ces
bureaucrates qui se sentent trop compromis par les trahisons de leurs
collègues.
Un éditorial de Lutte ouvrière par Arlette Laguiller, qui elle
aussi prétend être trotskyste, cherche une fois de plus à présenter les
remarques de Sarkozy comme une provocation contre la classe ouvrière et à
protéger les syndicats de toute critique. « Si Sarkozy ne les voit pas
[grèves], c’est qu’il est myope. Mais qu’il continue donc à
proférer des ‘mots de trop’. Car le mépris des travailleurs
qu’il affiche pourrait bien finir par provoquer une explosion sociale qui
contraindrait aussi les directions syndicales à aller plus loin qu’elles
ne veulent. »
La LCR et LO veulent que les travailleurs et les jeunes
croient que la pression d’en bas suffit à obliger les syndicats à lutter
dans leur intérêt. En réalité, plus la crise économique et sociale
s’approfondit et avec elle les tensions de classes, et plus sûrement et
rapidement les syndicats virent à droite.
Ce dont les travailleurs ont besoin c’est la
construction de nouvelles organisations de lutte de classes, de la base,
indépendantes des organisations syndicales fonctionnant comme des auxiliaires
de la direction. Avant tout, il faut un nouveau parti socialiste qui soit aussi
authentiquement indépendant des « partenaires sociaux » dans les
syndicats et de leurs alliés dans les partis communiste, socialiste et groupes
d’« extrême-gauche. »