Le sommet sur l’escalade des prix de la nourriture,
convoqué par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO) à Rome la semaine dernière, fut dominé par des craintes au
sujet des troubles sociaux causés par l’augmentation des prix de la nourriture
de base et la hausse importante du prix de l’essence.
Mais cette rencontre de haut niveau d’agences et représentants gouvernementaux venant des quatre coins du
globe n’a réussi qu’à offrir une aide symbolique aux millions de personnes qui
souffrent de la faim et même de la famine en raison de l’explosion des prix de
la nourriture et de l’énergie.
Le prix des céréales a presque doublé durant la dernière
année et le prix du riz a triplé au cours des cinq dernières années, d’environ
600 $ la tonne à plus de 1800 $ la tonne. Le prix du pétrole, qui a
augmenté de 75 pour cent durant la dernière année, a fait grimper le coût du
transport, de l’agriculture et des fertilisants. Pour un tiers de la population
mondiale, ces énormes augmentations de prix font la différence entre une diète
minimale et les affres de la faim.
Selon la FAO, 37 pays, soit 20 en Afrique, 9 en Asie, 6 en
Amérique latine et 2 en Europe de l’Est, font présentement face à
d’exceptionnels manques à gagner en terme de réserves et de production de
nourriture. Des manifestations ont éclaté à travers le monde. Une instabilité
politique liée aux marchés de la nourriture s’est développée au Maroc, en
Ouzbékistan, au Yémen, en Guinée, en Mauritanie et au Sénégal.
Le gouvernement d’Haïti a dû abdiquer après avoir perdu un
vote de confiance, à la suite de plusieurs jours de manifestations contre la
montée des prix de la nourriture lors desquelles au moins cinq personnes
seraient mortes et où des masses auraient tenté de prendre d’assaut le palais
présidentiel.
Des émeutes se sont déclenchées à Mexico après que le prix
des tortillas eut augmenté de 60 pour cent, et la hausse du prix des pâtes en
Italie a provoqué des manifestations à la grandeur du pays.
La Chine est l’objet d’agitation à cause de la pénurie
d’huile de cuisson.
Dans les pays développés, l’inflation des prix de la
nourriture et de l’essence devient de plus en plus un fardeau pour les familles
ouvrières qui tentent de joindre les deux bouts dans un marché de l’emploi en
détérioration et une crise du logement. Aux Etats-Unis, le nombre de personnes
ayant recours aux bons de nourriture devrait atteindre 28 millions l’an
prochain, égalisant ainsi le record atteint en 1994.
Tous les gouvernements nationaux sont tout à fait
conscients de la menace de troubles civils advenant une famine ou de graves
pénuries de nourriture, et ont été forcés de mettre en oeuvre certaines mesures
minimales pour calmer la crise à court terme, telle que la réduction des taxes
sur l’importation et la mise en place de restrictions sur l’importation. Ces
craintes expliquent en grande partie le nombre sans précédent de dirigeants
mondiaux au sommet de Rome.
Le directeur général de la FAO Jacques Diouf a appelé à
« des actions urgentes et concertées pour combattre les impacts négatifs
de la hausse des prix de la nourriture sur les pays et les populations les plus
vulnérables du monde » sous la forme d’une aide alimentaire immédiate et
d’une augmentation des investissements en agriculture. Il fit remarquer qu’en
2006, 1200 milliards de dollars furent dépensés mondialement en armement.
« Est-il possible dans ces conditions d'expliquer aux
personnes de bonne volonté et de bonne foi que l'on ne peut pas trouver 30
milliards de dollars par an pour permettre à 862 millions d'affamés de
bénéficier du droit humain le plus fondamental, celui à la nourriture, donc à
la vie ? » a-t-il demandé.
Son appel a généré une maigre réponse de moins de 3 milliards
de dollars en promesses d’aide supplémentaire.
Diouf a dit lors du sommet que la présente crise alimentaire
était une « chronique d’un désastre annoncé ». Il a dit que le Sommet
mondial de l’alimentation de 1996 avait fait un « serment solennel »
pour réduire de moitié la famine mondiale avant 2015 et que le Sommet mondial
de l’alimentation de 2002 avait déterminé qu’il fallait seulement 24 milliards
de dollars pour éradiquer la faim dans le monde.
Cependant, le financement des programmes agricoles dans les
pays en développement avait diminué « significativement » a déclaré
Diouf. Il continua : « Aujourd’hui, les faits parlent pour
eux-mêmes : de 1980 à 2005, l’aide pour l’agriculture est passée de 8
milliards de dollars (basés sur 2004) en 1984 pour chuter à 3,4 milliards de
dollars en 2004, représentant une réduction en termes réels de 58 pour
cent. »
Il a accusé les pays riches du monde d’interférer sur les
marchés mondiaux en dépensant 372 milliards de dollars en 2006 seulement pour
soutenir leur agriculture. Il a fait remarquer qu’il avait émis des
avertissements en septembre dernier quant aux risques de troubles sociaux et
politiques causés par la famine et il a ajouté qu’en décembre, il avait demandé
1,7 milliard de dollars pour aider les agriculteurs à acheter des semences, des
engrais et de la nourriture pour les animaux.
Les responsables ont « plutôt fait la sourde
oreille » à l’appel et « c’est seulement lorsque les déchus et ceux
exclus des tables fournies des riches sont sortis dans les rues pour exprimer
leur mécontentement et leur désespoir que les premières réactions de soutien
pour une aide alimentaire ont commencé à apparaître. »
Diouf a dit qu’il trouvait cela « incompréhensible »
que la crise alimentaire était demeurée sans solution dans des conditions où un
marché du carbone de 64 milliards de dollars a été rapidement créé dans les
pays en voie de développement et où des subventions valant 12 milliards de
dollars furent utilisées pour enlever 100 millions de tonnes de céréales à la
consommation humaine pour la production de biocarburants.
En réplique, le secrétaire de l’agriculture américain, Ed Schafer,
a vanté les mérites des biocarburants et des cultures modifiées génétiquement,
un commerce qui est dominé par les entreprises américaines. Il a prétendu que
moins de trois pour cent de l’augmentation globale des prix de la nourriture
étaient attribuables à la compétition provenant des biocarburants, même si
l’Institut international de recherche pour des politiques alimentaires, basé à
Washington, estimait plutôt son impact à près de 30 pour cent.
La déclaration du sommet a terminé avec une formulation floue
en appelant les gouvernements à « favoriser un dialogue international
cohérent, efficace et orienté vers des résultats sur les biocarburants dans un
contexte de sécurité alimentaire et de besoins en développement qui peuvent
être maintenus. »
L’incapacité du sommet à fournir une solution à la crise
alimentaire montre qu’une telle organisation n’est pas en mesure d’examiner
l’incompatibilité du système capitaliste avec les besoins de milliards de
pauvres et de travailleurs. Par exemple, il n’y a eu pratiquement aucune
mention de la spéculation et du commerce dans les intérêts et dans les dettes
qui ont un impact direct sur les bourses de marchandises agricoles et qui ont
été un facteur majeur dans les récentes augmentations des prix de la nourriture
et de l’essence.
Comme un récent article dans le magazine New Statesman
le disait : « La raison des « pénuries » de nourriture c’est
la spéculation sur les marchandises achetées à terme après l’effondrement des
marchés financiers dérivés. Désespérés d’obtenir des gains rapidement, les
investisseurs retirent des centaines de milliards de dollars des actions et des
obligations hypothécaires et les réinvestissent dans la nourriture et les
matières premières. Cela s’appelle le « super cycle des
marchandises » à Wall Street et ça causera probablement de la famine à une
échelle épique. »
L’article conclut : « Comme pour
le boum dans le prix des maisons, l’inflation du prix des biens de consommation
se nourrit de lui-même. Plus les prix montent et d’importants profits sont
réalisés, plus il y de nouveaux investisseurs. Regardez les sites Internet financiers :
tout le monde se rue sur les biens de consommation… Le problème c’est que si
vous êtes l’une des 2,8 milliards de personnes, presque la moitié de la
population mondiale, vivant avec moins de $2 par jour, ces profits pourraient
bien vous coûter votre vie. »
Après l’effondrement du marché immobilier,
provoquant les problèmes sur le marché du crédit et menaçant de provoquer une
récession, le capital a investi les fonds indexés, des options sur les
principales marchandises sur les marchés de Londres, New York et Chicago,
surchauffant l’inflation sur les biens et les matériaux de bases. Une bulle
spéculative vient d’être créée comme avant avec celle du marché des prêts
hypothécaires à risque et des technologies.
Les producteurs agricoles vendent sur la
base de « contrat à terme » leurs productions plusieurs mois avant la
récolte, garantissant ainsi un prix. Les distributeurs de grains et les
transformateurs achètent ces contrats à terme, garantissant qu’ils ne paieront
pas plus au moment de la récolte. Cependant, cet arrangement a été détruit par
une arrivée massive de capital spéculatif – de 13 milliards en 2003 à 260
milliards cette année.
La situation a été exacerbée par le
programme de déréglementation introduit en 1991 par la Commission sur le
commerce à terme des biens de consommation (CFTC), qui relâcha les règles
visant à limiter le montant des transactions que pouvait réaliser les
spéculateurs pour un bien spécifique. Plus tôt cette année, le CFTC lançait une
enquête suite à des allégations de manipulation des prix autour de la
production et la vente de pétrole brut et une autre pour le prix du coton. En
une journée en mai, le prix du coton à terme explosait de 85 cents la livre à 1,09 $,
malgré les rapports indiquant un surplus de stock de coton aux États-Unis.
Alors que l’inflation et la pénurie a
exposé des milliards de personnes à la faim à travers le monde, les compagnies géantes
qui dominent de plus en plus la production agricole profitent d’énormes
augmentations dans les profits. Le plus grand producteur de grain aux
États-Unis, Archer Daniels Midland, révélait dans son rapport trimestriel, un bond
de 42 pour cent dans les profits et leur dirigeant exécutif, Patricia Woertz,
qui clamait que « La volatilité du prix des biens de consommation offre
des opportunités sans précédent. »
En dernière analyse, la crise est le produit du marché
capitaliste lui-même. Ce n’est pas une question d’un trop grand nombre de
bouches à nourrir ou de trop peu de nourriture pour combler les besoins humains.
Selon la FAO, la nourriture est actuellement produite en quantités record, mais
le marché a fait grimper les prix au-delà de la portée de la majorité de
l’humanité dans les pays les plus opprimés, et il réduit au même moment les
conditions de vie des travailleurs dans le monde capitaliste plus avancé.
Un après l’autre, les pays ont été rendus vulnérables à la
hausse des prix mondiaux des marchandises par les politiques de
« libre-échange » implantées à la demande de Washington et des
agences financières internationales telles que le Fond monétaire international
et la Banque mondiale lors des trois dernières décennies. L’intégration des
économies des pays opprimés dans le marché mondial les a amenés à concentrer
leurs efforts dans des cultures d’exportations spécialisées, pendant que la
démolition des barrières tarifaires pavait la voie à des denrées de base
subventionnées provenant des pays plus avancés, s’accaparant ainsi les marchés
locaux.
Comme l’a expliqué au sommet de la FAO Walter Poveda Ricaurte,
le ministre de l’Agriculture de l’Équateur, lorsqu’au cours des dernières
décennies les prix de la nourriture étaient bas, l’Équateur a cessé de produire
son propre blé, son maïs et son soya, et s’est tourné vers l’importation de ces
produits qui étaient moins chers. « Les prix de ces marchandises ayant
doublé durant la dernière année, le pays ne peut plus se les permettre »,
a-t-il déclaré.
Le sommet s’est conclu en appelant à un nouvel engagement
« envers la conclusion rapide et réussie du programme de développement de
Doha » sur la libéralisation du commerce, laissant présager une domination
encore plus grande de la production mondiale de nourriture par les firmes
agricoles géantes et un appauvrissement encore plus marqué des peuples du
monde.