Alors que s’accentue l’indignation des travailleurs de
l’automobile et de la population d’Oshawa en Ontario face à l’annonce récente
de General Motors de la fermeture de l’usine de camions d’Oshawa, le leadership
du syndicat Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) travaille avec la
compagnie pour tenter de dissiper la colère des travailleurs.
La semaine dernière, le président des TCA Buzz Hargrove, le
président du Local 222 Chris Buckley et le président du syndicat de l’usine
d’Oshawa Keith Osborne furent pris de court par l’annonce de GM que 2600
travailleurs de l’automobile perdraient leur emploi à partir de mi-2009,
lorsque la compagnie cessera toute production de camions aux installations
d’Oshawa.
À peine deux semaines plus tôt, la bureaucratie des TCA
avait fait voter en vitesse un nouveau contrat de trois ans qui faisait
d’importantes concessions et acceptait la fermeture prochaine de l’usine de
transmissions GM à Windsor en échange de soi-disant garanties d’emplois à
d’autres usines GM. Ces garanties, selon Hargrove, devaient permettre la
production de camions à Oshawa jusqu’en 2011 et même plus. Mais GM, reprenant
les termes du contrat nouvellement signé, soutint que les conditions du marché
avaient changé et que les ententes de maintien de la production n’étaient ainsi
plus valides.
Hargrove, qui avait soutenu avoir sauvé des milliers
d’emplois en offrant des concessions sans précédent, apparaît maintenant comme
le vendeur d’un remède de charlatan. Tout ce qu’il a pu dire est que la
fermeture de l’usine d’Oshawa constitue une violation du contrat, alors que GM
réplique que le nouveau contrat n’entre pas en vigueur avant la mi-septembre
et, de toute façon, permet à GM de sabrer dans les emplois en toute liberté
advenant la détérioration des conditions du marché.
Afin de conserver ce qui lui reste de crédibilité parmi les
travailleurs ordinaires, la direction des TCA a mis en place mercredi un
soi-disant « blocus » au siège social national de GM, qui est aussi
situé à Oshawa. Mais ce blocus n’a rien de vraiment très menaçant. Le syndicat
n’empêche pas les cols blancs de pénétrer à l’intérieur du building. Lundi, le
président local Buckley, annonçait qu’il « avait offert à GM de laisser
entrer les travailleurs s’occupant de la paye et tous ceux qui sont essentiels
à leurs opérations canadiennes ».
Pour sa part, GM a indiqué dès le tout début à ses cols
blancs de mobiliser autant que possible les travailleurs de réserve et ceux
travaillant de la maison, pendant que la compagnie et le syndicat tentaient de
résoudre la situation. Même lorsque GM se préparait à faire appel à une
injonction des tribunaux contre les manifestations de lundi, un porte-parole de
la compagnie cherchait tout de même régler la situation par une approche
« de collaboration » avec le syndicat.
Alors que plusieurs travailleurs demeuraient sceptiques à
propos de l’efficacité du « blocus », Buckley organisa dimanche un
défilé de véhicules qui a roulé à basse vitesse autour du complexe pendant
trois heures et qui, selon le président de l’usine Keith Osborne, a ralenti la
production d’environ 45 minutes en retardant l’arrivée des pièces.
Hargrove, Buckley et la compagnie travaillent clairement
ensemble pour empêcher que la situation ne devienne incontrôlable. La
bureaucratie, tout comme GM, sait très bien qu’il y a eu des discussions parmi
les travailleurs de la base pour une grève spontanée. Mardi, au congrès des TCA
sur la négociation collective et l’action politique tenu à Toronto, des
délégués s’adressant du plancher, ont souligné la colère au sein des travailleurs
et poliment demandé que la direction considère à tout le moins organiser une
grève d’une journée. Du podium, un Hargrove stoïque refusa de commenter.
Le président local Chris Buckley a rapidement rassuré la
direction de GM que la direction des TCA n’avait pas l’intention d’interférer
dans la production des usines de camions ou de l’usine adjacente d’assemblage
automobile. « J’encourage mes membres à rester à l’emploi », a-t-il
dit au début de la discussion. « Je veux que mes membres demeurent à
l’emploi et continuent à construire les meilleurs camions et autos de
l’industrie. » Signalant clairement ses intentions à la compagnie – soit
d’offrir une façon de faire baisser la pression parmi les travailleurs de l’automobile
– Buckley poursuivit, « les membres veulent que la direction prenne des
actions. C’est clairement ce que nous avons fait. »
Lundi, Hargrove a déclaré qu’il n’était pas surpris par la
décision des fabricants automobiles de chercher à obtenir une injonction et
leva son chapeau à leur patience : « C’est très intéressant de noter
qu’ils reconnaissent que la colère et la frustration étaient très élevées et
qu’il était mieux de laisser la pression descendre quelques jours avant de
tenter d’obtenir [l’injonction]. Je suis content qu’ils aient attendu quelques
jours. »
De plus en plus conscient de son rôle premier de garant de
la productivité et des objectifs de la compagnie et conséquemment des profits
pour les actionnaires, la « contre-offensive » de la bureaucratie des
TCA est en partie de la poudre aux yeux et en partie publicité, et pour le
reste une virulente campagne chauvine antiaméricaine et antimexicaine.
Dès le départ, Hargrove s’était démené pour assurer à GM et
ses investisseurs de Wall Street et Bay Street qu’indépendamment des moyens qui
devront être utilisé par le syndicat pour contrôler la colère des travailleurs,
une grève contre les manœuvres flagrantes et cyniques de GM pour fermer l’usine
de camion n’était pas envisagée. « Quelle est la meilleure approche ?
demanda Hargrove. Est-ce la procédure de grief ? Est-ce le conseil
des relations de travail de l’Ontario, ou les tribunaux ? Nous déciderons
selon là où nous serons le plus efficace et prendrons une décision le plus
rapidement possible avant que les choses ne dégénèrent. »
Bien sûr, Hargrove, en tant que bureaucrate syndical
d’expérience, sait très bien qu’il n’y a absolument aucune possibilité que de
tels appels offrent un sursis à l’usine de camions. De plus, afin d’assurer sa
servilité, GM n’a pas encore annoncé le produit additionnel anticipé pour
l’usine d’automobiles voisine de l’usine de camion qui sera vraisemblablement
bientôt fermée.
Pour limiter les dégâts, Hargrove a donné le ton dès le début
du conflit en se lançant dans une campagne nationaliste. Il dit :
« C’est une compagnie américaine, contrôlée par des Américains, et ils
prennent des décisions dans des temps difficiles pour protéger leurs emplois »,
ignorant les milliers de travailleurs américains qui sont jetés à la rue. Il a
aussi dénoncé les travailleurs mexicains parce que GM a décidé de construire
des camions hybrides là-bas, plutôt qu’au Canada. Il n’a jamais mentionné une
seule fois le fait que deux des quatre usines de camions et de véhicules utilitaires
sport fermées par GM sont aux Etats-Unis et au Mexique. Les responsables des
TCA ont, sur un ton moqueur, fait référence à opération destinée à fermer une
usine mexicaine comme étant une petite opération de « largage ».
La « contre-attaque » des TCA donne une place de
choix aux prétentions que l’usine d’Oshawa est l’une des plus rentables de la
compagnie. Les TCA font ceci dans le but de convaincre GM que de couper dans
les emplois américains ou mexicains, au lieu des emplois canadiens, serait
mieux pour ses actionnaires.
Ken Lewenza, le président du Local 444 de l’exploitation de
Chrysler à Windsor, qui est vendu comme un successeur possible de Hargrove, a
marché à grands pas vers le micro mardi lors du congrès sur les négociations et
il a offert à tous les délégués un t-shirt « Made in Canada Matters »
(« Fabriqué au Canada, ça compte ») porté par les membres de la
bureaucratie locale présents au « blocus ». L’offre a été faite au
moment où Hargrove proposait une résolution d’urgence qui a été acceptée par
les délégués et qui demandait au gouvernement fédéral d’exiger des fabricants
d’automobiles de produire au Canada un montant total de véhicules et de camions
légers équivalant au nombre de véhicules qu’ils vendent au Canada. Une deuxième
résolution demandait aux conseils municipaux d’adopter une politique
« Acheter canadien ».
Étant donné la perspective droitière et nationaliste qui a
animé le blocus des TCA, ce n’est pas surprenant que le chef du Parti libéral
Stéphane Dion ainsi que le chef du social-démocrate Nouveau Parti démocrate soient
allés lui rendre visite pour montrer leur appui.
Hargrove a fait une tournée électorale pour la réélection du
gouvernement minoritaire libéral lors des élections fédérales de 2006, faisant
des apparitions, lors de la campagne, au côté de Paul Martin, l’ancien premier
ministre, et de la députée libérale Belinda Stronach, la fille de Frank Stronach,
l’actionnaire majoritaire du géant de pièces d’autos Magna International.