wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France : faible mobilisation pour la journée de défense des droits à la retraite

Par Antoine Lerougetel
26 juin 2008

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

Moins de la moitié du nombre attendu de manifestants a participé aux protestations du 17 juin pour la défense des droits de retraite et contre la déréglementation du temps de travail. La faible mobilisation pour la journée d’action, moins de la moitié de l’objectif attendu d’un million de manifestants, est une condamnation des syndicats et de leurs apologistes de l’« extrême-gauche ».

Un mouvement qui a connu plusieurs journées de grève de plus de 2 millions de travailleurs et des manifestations dans tout le pays contre la politique de sévère régression sociale du gouvernement de Nicolas Sarkozy a été délibérément étouffé.

Manifestants à Paris le 17 juin

Les deux plus grandes confédérations syndicales, la CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste) et la CFDT (Confédération française démocratique du travail, proche du Parti socialiste) ont organisé le 17 juin des protestations cherchant de façon frauduleuse à dissimuler la trahison qu’elles avaient perpétrée en signant le 9 avril dernier la « position commune » avec les employeurs. Ce document propose la possibilité, à titre « expérimental », de déréglementer le temps de travail dans entreprise par entreprise, ce qui permet aux employeurs de se libérer des contraintes légales au niveau national et par branche d’industrie. Les signataires espéraient que ceci passerait de façon inaperçue dans la loi.

Néanmoins, cela a ouvert la voie à un projet de loi sur la représentativité syndicale et le temps de travail, publié le 27 mai, et qui démantèle de façon manifeste et permanente des sections essentielles du code du travail garantissant les conditions de travail, avec en contrepartie un renforcement des privilèges syndicaux. Le caractère manifeste de cette attaque sur les travailleurs a obligé les syndicats, soucieux de conserver une certaine crédibilité, à appeler à la journée d’action du 17 juin. Après les mobilisations du 22 mai, ils espéraient mettre fin, jusqu’après les vacances d’été, à la longue série de protestations dispersées de cette année contre le programme de régression sociale du président Sarkozy.

La rengaine de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) d’Olivier Besancenot et de Lutte ouvrière (LO) d’Arlette Laguiller, à savoir que les syndicats peuvent être contraints par la pression des masses à agir dans l’intérêt de la classe ouvrière, s’est révélée au grand jour comme une complète imposture. L’éditorial d’Arlette Laguiller dans le journal Lutte ouvrière de cette semaine exprimait la perspective creuse de ces deux organisations : « La colère qui finira par exploser forcera la main des directions syndicales et pourra alors se déployer pleinement contre le patronat et le gouvernement. »

C’est exactement le contraire qui s’est produit. Les syndicats ont fait tout leur possible pour  désamorcer le mécontentement grandissant contre la politique régressive du gouvernement.

L’acte de sabotage peut-être le plus flagrant de cette journée d’action a été la décision prise par la CGT de ne pas appeler les cheminots et les agents des transports en commun parisiens à se joindre à la grève du 17 juin, bien qu’ils aient été au centre de la lutte pour la défense des droits à la retraite et qu’ils aient fait grève pendant une quinzaine de jours en octobre et novembre derniers pour défendre leurs régimes spéciaux de retraite. La CGT n’a émis un préavis de grève pour cette journée que pour garantir une protection légale pour les travailleurs qui souhaitaient individuellement agir, c'est-à-dire afin de « permettre aux cheminots de participer aux manifestations. »

Alors que les grèves et manifestations contre le programme social de Sarkozy depuis son élection en mai de l’année dernière ont impliqué des millions de personnes, cette journée d’action, selon les chiffres gonflés de la CGT, a fait descendre dans la rue 500 000 manifestants dans toute la France. Le chiffre réel pourrait être la moitié ou le tiers de celui annoncé. Les équipes de reporters du WSWS ont observé un nombre bien réduit de manifestants à Paris et Amiens.

Selon les chiffres officiels, seuls 7 pour cent ont fait grève à la Poste, 11 pour cent à France Télécom, 7 pour cent chez les cheminots et 2,6 pour cent dans l’Education nationale. La participation avait été beaucoup plus importante lors des mobilisations du 22 mai sur les retraites où un quart des cheminots de la SNCF était en grève, un train sur deux ne circulait pas et où la grève était aussi bien plus suivie dans les autres secteurs. Le 15 mai, quand ces mêmes syndicats avaient limité les actions aux travailleurs de la fonction publique et à la question des suppressions de postes dans l’Education et la fonction publique, entre un tiers et la moitié de tous les enseignants ainsi que plus d’un million de travailleurs de la fonction publique et des collectivités territoriales s’étaient mis en grève.

La faible mobilisation du 17 juin est la conséquence d’une tactique délibérée de la part des syndicats de séparer les questions d’emplois et de retraites afin de garder le contrôle du mouvement et d’empêcher que celui-ci ne remette politiquement en question le gouvernement. Cette faible mobilisation représente un désaveu massif des syndicats par la classe ouvrière française, dont l’hostilité à la politique sociale du gouvernement Sarkozy s’est amplifiée à tel point que la cote de popularité du président a chuté de plus de 65 pour cent à 33 pour cent.

Des manifestants interviewés par le WSWS ont unanimement condamné la dispersion du mouvement opérée par les syndicats et exprimé la nécessité urgente d’une action unifiée de la classe ouvrière et des jeunes contre la politique du gouvernement. Nombreux étaient ceux qui n’étaient pas au courant que la CGT et la CFDT avaient signé une « position commune » avec les organisations patronales. Ils ont marqué un vif intérêt pour la déclaration distribuée par les sympathisants du WSWS durant la manifestation. (Lire Il faut rompre avec les syndicats qui collaborent avec Sarkozy Il faut construire un mouvement de la classe ouvrière qui soit indépendant )

Le Monde du 17 juin a interviewé Dominique Labbé, enseignant-chercheur à l’Institut d’études politiques de Grenoble. Lorsqu’on lui a demandé si la CGT et la CFDT avaient été discréditées aux yeux de la base en signant cet accord, il a répondu : « Oui, mais je crois qu'il y a aussi une déception sur l'attitude que ces organisations syndicales ont eue depuis 2003 et la réforme des retraites. La CFDT dit un jour qu'elle est d'accord pour l'allongement de la durée de cotisation puis, le lendemain, elle affirme le contraire. C'est une position illisible. La CGT, quant à elle, a finalement consenti assez facilement à la réforme des régimes spéciaux de retraite à l'automne dernier. Ces deux organisations en paient le prix aujourd'hui. L'attitude plus qu'ambiguë de la CFDT depuis 2003 et celle de la CGT sur les régimes spéciaux ont certainement beaucoup démobilisé les salariés ; elles ne peuvent mobiliser des gens qui ont l'impression qu'on ne les a pas soutenus. »

La faible participation à l’appel des syndicats le 17 juin a été caractérisée avec bienveillance de « demi-échec » par la plupart des médias et de mobilisation « significative » par le Parti socialiste (PS.) Bien que le PS ait finalement déclaré son soutien à la journée d’action, ses membres en vue « ont brillé par leur absence » dans la manifestation parisienne.

Le camp Sarkozy encouragé

Le camp du président Sarkozy s’est immédiatement saisi de la faible mobilisation comme d’un signal indiquant que la voie était ouverte pour poursuivre rapidement la législation visant à démanteler la semaine de 35 heures.

Le quotidien de droite Le Figaro a pavoisé : « C'est surtout le signe que Nicolas Sarkozy a remporté une victoire psychologique majeure : montrer que la France n'est plus le pays irréformable qu'on nous décrit depuis trente ans. [...] Il a joué le dialogue autant qu'il était possible, mais sans oublier l'essentiel : la nécessité impérieuse de "sortir du statu quo des 35 heures". »

Le Figaro s’est demandé : « Le ménage à trois entre l'Élysée, la CFDT et la CGT est-il brisé ? » après avoir « Accouché de plusieurs réformes ». Le journal fait remarquer que, selon un membre de l’UMP (Union pour un mouvement populaire, qui est au pouvoir) ce risque avait été pris pour permettre au ministre du Travail Xavier Bertrand de « durcir son image, et à se rapprocher de la base électorale de l'UMP ».

L’ancien ministre UMP du Travail, Gérard Larcher a dit espérer que l’on reprendrait bientôt les bonnes habitudes avec la CFDT normalement docile : « Tout s'est tellement bien passé depuis 18 mois ! Il appartient au gouvernement de montrer que la relation de confiance qui le lie notamment à François Chérèque n'est pas distendue. »

La Tribune a commenté : « Les syndicats aboient, la caravane des réformes passe… le nouvel échec, hier, des syndicats permet à l'exécutif d'avancer. »

Ouest-France a affirmé que « Nicolas Sarkozy avait assez remarquablement relancé le dialogue social à son arrivée à l'Élysée. Remise en marche, la démocratie sociale avait même permis et produit des avancées un peu inespérées. » Dans les récentes manœuvres avec la CGT et la CFDT « à court terme, le gouvernement joue gagnant. Il a affaibli et fait éclater en partie le front syndical. Il a un boulevard tout tracé pour contourner à sa guise les 35 heures. »

Les dirigeants syndicaux accusent les travailleurs

Les dirigeants de la CGT et de la CFDT ont tous deux accusé les travailleurs de la fonction publique pour cette faible mobilisation. Le Figaro rapporte que le dirigeant de la CGT, Bernard Thibault, « Pour expliquer cette mobilisation moins importante qu'il ne l'espérait (il avait lancé le chiffre d'un million de manifestants), et pour justifier que ses troupes étaient moins nombreuses que celles de la CFDT, il a rappelé que les fonctionnaires avaient déjà manifesté la semaine dernière. »

Un dirigeant de la CFDT présent à la manifestation a dit de même, « c’est parce que le public ne se sent pas concerné par les 35 heures. » Gérard Aschieri de la confédération syndicale de l’Education, la FSU, a laissé entendre que son secteur ne s’était pas mobilisé, car il avait fait grève la semaine précédente.

Des dirigeants de la CGT ont cherché à se justifier en impliquant que les leaders du syndicat FO (Force ouvrière) étaient aussi voyous qu’eux-mêmes. Le Figaro du 17 juin rapporte : « D'autres cadres de la CGT, remontés contre FO, dénonçaient les "intérêts de boutiquiers" de la centrale de Jean-Claude Mailly. "Si l'on devait compter les accords dérogatoires aux heures supplémentaires signés par FO dans les entreprises, les dix doigts ne suffiraient pas." »

Après la journée d’action du 17 juin, la CGT et la CFDT ont toutes deux mis fin à toute action de la classe ouvrière jusqu’après la période estivale. Le dirigeant de la CFDT François Chérèque a dit : « Nous voulons reprendre le dialogue. » Thibault a promis une « rentrée en fanfare » après les vacances et a fixé au 7 octobre la prochaine mobilisation. Cela permet au gouvernement de faire passer la loi au parlement sans être gênée par des actions de masse : la loi sera débattue à l’Assemblée nationale le 24 juin, soumise au vote le 26 juin et utilisant la procédure d’urgence elle passera devant le Sénat à la mi-juillet.

Thibault a fait observer dans Le Nouvel Observateur du 17 juin que le gouvernement « veut manifestement nous prendre de vitesse » et a émis la menace creuse, ayant démobilisé les troupes, que « s’il utilise la procédure d'urgence, nous prendrons des dispositions notamment auprès des députés. »

Les reporters du WSWS se sont entretenus avec des travailleurs durant la manifestation parisienne.

Xavier qui travaille dans le Val de Marne voit les conditions de travail se dégrader. « C’est pour cela que je suis dans la rue,a-t-il dit. Je ne pense pas qu’il soit possible de gagner si les différents secteurs de la classe ouvrière et les jeunes réagissent séparément. Il faudrait faire une grève unitaire. Je ne suis ni à la CFDT, ni à la CGT. Je manifeste contre ce projet-là et je ne manifeste pas avec ces syndicats-là. Mais c’est eux qui pour le moment donnent la possibilité de descendre dans la rue. C’est dommage qu’il n’y ait pas d’unité entre les syndicats ni entre les salariés du privé et du public et avec les étudiants.

 « En 2003, ils ont montré que s’ils veulent faire passer des lois, ils le font quoiqu’il arrive… Il y a de moins en moins de gens dans la rue, il y a de moins en moins de gens dans les syndicats. C’est peut-être aussi la faute des syndicats. A côté de ça, on est peut-être en train de s’endormir. Et plus ça va, plus notre démocratie n’est plus démocratique. Il faudrait réagir par rapport à cela. Les syndicats n’avancent pas pour faire tomber le gouvernement.

 « La gauche n’agit pas pour renverser le gouvernement, elle agit pour doucement mettre les gens dans son sillon. Les attaques qu’on subit en France sont internationales. Le monde va mal en règle générale. Mais plus il va mal, plus il y a une partie qui va bien. La politique de Sarkozy est internationale, donc il faut une lutte internationale. »

Xavier a quelque espoir en Olivier Besancenot et la Ligue communiste révolutionnaire : « Besancenot, il a un franc-parler. Il dit des choses qu’on n’entend pas ailleurs dans les grands médias. Il parle des luttes et des libertés qu’on est en train de casser, des choses qu’on entend, qu’on peut entendre dans les conversations, dans les entreprises, dans les familles. Mais je me demande ce que ce type-là devient une fois qu’il a le pouvoir. »

Martin Blanc, 18 ans est élève du lycée Saint Sernin à Toulouse. Il a dit : « Les syndicats ont peut-être perdu l’espoir de faire un changement radical. Mais avec tous les gens qui bougent, on voit que c’est possible. Il faut un retour aux valeurs socialistes et arrêter de suivre les syndicats. Soit on va droit dans le mur, soit il faut changer. Si on ne lutte pas, ça sera catastrophique. »

Yannick, 39 ans, travaille à Vitry sur Seine. Après avoir été mis au courant de la « position commune » il a dit : « En ce moment, il y a beaucoup de choses, on ne sait pas se positionner. Les conditions de travail vont de plus en plus mal. Mes parents et grands-parents se sont battus pour avoir des acquis. Avec les gouvernements d’aujourd’hui, on s’aperçoit qu’on est en train de tout perdre. On va vers le Moyen-âge. C’est malheureux de parler comme ça. Il faut être tous ensemble, tous. Le même lieu, le même jour, que tout soit fermé. Que le gouvernement vraiment réagisse. Pourquoi est-ce que les syndicats collaborent ? C’est à eux de répondre. En Europe, on est bloqué. Il y a la Chine qui se développe, il y a les USA. Tout le monde doit se rassembler, cheminots, marins pêcheurs, profs. Gagner, c’est récupérer nos acquis, notre pouvoir d’achat. »

François Lefèvre, 35 ans, participait à une petite manifestation d’un millier de personnes à Amiens. Il travaille à EDF depuis huit ans, service d’électricité en train d’être privatisé et il a donné les raisons principales pour lesquelles il manifeste. Il a dit : « Il n’y a plus de repère au niveau des fournisseurs. Il y a des sociétés privées comme Suez, on n’est plus un service public. Ce qui compte, c’est le rendement, les actionnaires, les chiffres. On laisse de côté le social.

 « C’est vrai qu’on a du mal à se démarquer. La Fédé ne transmet pas tout de ce qui se fait. Elle n’informe pas les syndiqués. On signe des accords sans avoir résolu les problèmes. Gagner, ce serait taxer les profits. Reprendre la main sur tous les milliards de bénef, et les redistribuer, pour les retraites etc. Je ne pense pas que Sarkozy reculera. On l’a déjà vu.

 « Tant que la classe ouvrière est tenue par ses dettes, elle n’ira pas dans la rue. Il est impossible de gagner à l’échelle nationale. Il faut un monde où il y a un commerce équitable, retrouver les valeurs sociales. Il faut mobiliser la classe ouvrière à la hauteur de l’Organisation mondiale du commerce. »

(Article original anglais paru le 24 juin 2008)

Lire aussi 

France : les syndicats collaborent avec les employeurs et le gouvernement pour déréglementer la durée du temps de travail [20 juin 2008]

France : La LCR laisse entendre qu’elle accepterait de faire alliance avec le Parti socialiste [12 juin 2008]


Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés