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Une opposition sans précédent à l’accord de concessions intervenue entre les TCA et Ford Canada

Par Carl Bronski
16 mai 2008

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Seulement 67 pour cent des travailleurs du syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) et employés de Ford Canada ont accepté une entente de concessions négociée secrètement par la direction syndicale.

Il s’agit, dans toute l’histoire du syndicat, du pourcentage le plus bas pour une ratification de contrat avec l’un des trois grands constructeurs automobiles américains. De plus, à Oakville, une usine modèle d’assemblage de Ford tout juste à l’ouest de Toronto, les membres des TCA du local 707 ont rejeté l’entente à 56 pour cent. Le rejet à Oakville constitue un événement historique. Jamais auparavant un local des TCA n’avait voté contre un contrat principal négocié par la direction syndicale avec l’un des Trois Grands.

Des comptes-rendus de la réunion de ratification à Oakville l’ont décrite comme étant « très animée ». Par la suite, les chefs syndicaux ont à peine pu contenir leur mépris pour la volonté démocratique des membres.

Le président du local 707 Gary Beck a mentionné que les travailleurs « n’ont pas vu plus loin que ce qui se passait à notre usine ». Les commentaires de Beck ne sont qu’une vulgaire tentative de Beck d’insinuer que les membres du local 707 sont « égoïstes », car ils ont rejeté l’argument de la bureaucratie syndicale selon lequel des concessions massives sont nécessaires afin de maintenir la « compétitivité » de Ford et ainsi « protéger les emplois ».

En réalité, les concessions sans précédent offertes à Ford, qui consistaient à rouvrir l’actuelle convention collective et procéder à des coupes d’une ampleur jamais vue dans les salaires et avantages sociaux, ont pour but de défendre les intérêts des actionnaires de Ford et de la bureaucratie des TCA aux dépens des travailleurs de Ford et de la classe ouvrière en entier. L’entente avec Ford sera en effet utilisée par la grande entreprise et les syndicats pour forcer davantage de concessions des travailleurs dans l’industrie de base.

Le président des TCA, Buzz Hargrove, s’est joint à Beck pour discréditer le rejet de l’entente par les membres du local 707. Selon Hargorve, « c’était simplement une de ces situations où une poignée de personnes prennent le contrôle des micros dès le début et changent le climat ». Le fait que personne hormis les bureaucrates syndicaux n’ait parlé en faveur de l’entente a soulevé l’ire de Hargrove. « Des demi-vérités et des distorsions » furent propagées, a-t-il maintenu.

En fait, Hargrove et le leadership des TCA ont pratiquement forcé la main des membres pour qu’ils acceptent l’entente de principe.

Après des semaines de négociations secrètes, Hargrove a stupéfait autant l’industrie que ses propres membres avec l’annonce qu’une nouvelle convention collective avait été négociée avec Ford cinq mois avant que la convention collective en vigueur ne se termine. Traditionnellement, le mois de juillet annonce l’ouverture d’une saison de négociation qui dure normalement jusqu’à septembre. Mais, avec la convention qui n’expirera que le 15 septembre et avant que le syndicat n’ait tenu sa traditionnelle convention sur les négociations (où les priorités des membres sur la convention collective sont supposément décidées), Hargrove a annoncé qu’un accord sur une nouvelle convention collective avait été conclu avec Ford et que cet accord n’avait jamais été conclu aussitôt.

Le lundi le 28 avril, la direction des TCA avait dans un premier temps annoncé qu’elle était arrivée à un accord général avec Ford s’appliquant à l’ensemble des usines. Les détails particuliers à chaque usine furent ensuite négociés dans les trois ou quatre jours suivants. Les travailleurs de Ford ont été forcés de voter sur l’ensemble de l’accord la fin de semaine du 3 et du 4 mai.

Au final, les travailleurs de l’automobile de Windsor, Saint-Thomas et Brampton, toutes des zones de chômage élevé et composées d’usines qui font continuellement face à l’élimination d’emplois et à des fermetures, ont fait penché la balance en faveur de l’accord. Une clause dans la convention promettant une année de vie de plus à l’usine d’assemblage de Saint-Thomas (qui avait déjà perdu 200 emplois en raison de l’élimination du deuxième quart de travail) a eu comme conséquence que le vote en faveur de l’entente a été particulièrement élevé dans cette ville du sud-ouest de l’Ontario. Les travailleurs de Windsor, qui ont aussi appuyé l’accord, ont néanmoins exprimé de l’insatisfaction aux journalistes du Windsor Star alors qu’ils quittaient la réunion concernant la ratification. « Je pense que c’est une capitulation pour nos retraités », a dit Steph Brown. « Pour moi, a dit le travailleur d’expérience Pete Despenic, je peux vivre avec. Si j’étais plus jeune, je ne le sais pas. J’aurais probablement une opinion différente. »

Corporatisme et protectionnisme

En accueillant la ratification de l’entente de concession, Mike Vince, le dirigeant du local Ford de Windsor (local 200) et le président du principal comité de négociation des TCA de Ford, exprima la perspective et corporatiste de la bureaucratie des TCA. Ce faisant, il rendit très clair le fait que les TCA ont l’intention de mobiliser encore plus brutalement les travailleurs de Ford Canada contre leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis dans une lutte fratricide pour savoir qui produira le plus de profits pour les patrons de l’automobile.

Vince dit : « Le fait de finaliser cette entente cinq mois avant son échéance et ensuite sa ratification envoie un message extrêmement puissant au gouvernement fédéral et aux provinces, mais plus important à la compagnie Ford Canada, le message que nous comprenons que les temps ont changé… Nous voulons regarder les choses d’un nouveau point de vue. Cela nous place dans une bien meilleure position pour les investissements futurs qui iront bien au-delà de ce de que nous avons à l’usine d’Essex. »

Et pour souligner le fait que le syndicat est dans une guerre pour les emplois, Vince ajouta : « Nous voulons que la compagnie Ford Canada soit bien disposée à notre égard. »

Hargrove, comme il fallait s’y attendre, a qualifié l’entente avec Ford de « victoire » et affirmé que les compressions des salaires et des avantages sociaux n’étaient pas des concessions, mais simplement des « compensations ».  Cependant, dans un moment d’inattention, le président des TCA a dit aux journalistes : « je suis plus soulagé que jamais ».

Dans leurs commentaires après la ratification, Hargrove et Vince indiquèrent que la direction des TCA avait l’intention de canaliser la colère et les appréhensions des travailleurs de l’automobile à propos du sort de leurs emplois et de leurs salaires dans une campagne réactionnaire de coopération tripartie encore plus étroite entre les syndicats, le gouvernement et les trois grands et pour l’adoption de mesures protectionnistes visant à renforcer les trois grands contre les compagnies concurrentes possédées par les Européens et les Asiatiques. Les TCA sont déjà pleinement partenaires dans le Conseil du Partenariat pour le secteur canadien de l'automobile, un conseil tripartite.

« Nous avons fait ce que nous avions à faire en arrivant à un accord négocié et pragmatique, a déclaré Hargrove. Nous continuerons à faire pression sur le gouvernement fédéral pour résoudre les problèmes qui entraînent l’érosion actuelle de l’industrie automobile. »

Quant aux dirigeants de Ford, ils ont exprimé leur enthousiasme pour le nouveau contrat, notant qu’avec les nouvelles concessions du syndicat, Ford réaliserait des économies pour longtemps en ne donnant presque rien en échange.

Des concessions sans précédent

En vertu du nouvel accord, les salaires des ouvriers de Ford sont gelés pour trois ans, les vacances sont raccourcies de 40 heures par année, la couverture du régime d’assurance-maladie est limitée. Les employés devront payer une plus grande part de leurs médicaments, verront leurs prestations de retraite réduites et les ajustements pour l’inflation annulés pour la dernière année du contrat actuel et la première année de la nouvelle entente.

Le contrat met aussi la table pour d’autres mises à pied avec des clauses « de bénéfices de restructuration améliorés » et promet sinistrement « l’engagement d’explorer et d’établir un fonds prépayé pour les soins des retraités qui ne sera plus dans le bilan de la compagnie ». Ceci est un euphémisme pour enlever à la compagnie la responsabilité de gérer les avantages des retraités (qui seront coupés) pour les donner aux organisations syndicales. Pour avoir abandonné des gains réalisés par des dizaines d’années de lutte, les ouvriers recevront en échange deux « bonus » annuels dont la somme atteindra 5700 $.

L’entente conclue avec Ford ressemble sur plusieurs points aux contrats négociés par le syndicat américain des travailleurs de l’auto (UAW) avec les trois grands de l’automobile à Detroit l’automne dernier. Dans cette ronde de négociations, l’UAW a complètement capitulé face aux demandes des fabricants automobiles. Elle a accepté un système de salaires à deux vitesses et des coupes importantes dans les avantages sociaux. De plus, cette entente a fait passer la responsabilité pour gérer et couper les « coûts futurs » des programmes d’avantages sociaux des épaules de la compagnie à celles des syndicats. Ainsi, l’ UAW deviendra rapidement un des plus grands fournisseurs d’assurance-maladie aux Etats-Unis, avec un intérêt à couper dans les avantages de ses propres membres.

Se vantant de l’entente de concessions avec Ford, Hargrove a insisté sur le fait que la structure de salaires à deux vitesses qu’elle comprend n’empêchera pas les nouveaux ouvriers d’avoir un jour le salaire et les avantages sociaux dont jouissent les ouvriers actuels. C’est une tentative évidente de cacher le fait qu’avec le programme prétentieusement nommé « système de croissance pour les nouveaux employés » que le syndicat a endossé, les nouveaux ouvriers vont constituer pendant des années une main-d’œuvre à bon marché. Les nouveaux ouvriers chez Ford n’auront en commençant que 70 pour cent du salaire et des avantages sociaux de base et n’arriveront au plein salaire qu’après trois ans.

Les travailleurs ne peuvent douter que ces provisions seront utilisées dans les prochaines négociations contractuelles comme un levier pour obtenir d’autres réductions de salaire, tant pour les ouvriers vétérans que ceux nouvellement embauchés. Dans l’usine d’Oakville, une usine très rentable, Ford va embaucher presque immédiatement 500 nouveaux ouvriers à taux réduit.

Hargrove a justifié le fait qu’il a négocié avec Ford dans le dos des membres de son syndicat en indiquant la dégradation de la situation économique. Mais il ne peut y avoir de doute que le militantisme croissant des travailleurs de l’automobile, particulièrement aux Etats-Unis, a aussi été un facteur clé, et ceci pour deux raisons. Hargrove a tout d’abord voulu démontrer aux patrons de l’automobile que les TCA peuvent offrir la « paix ouvrière » et plus important encore qu’ils peuvent empêcher les ouvriers canadiens de l’automobile de se joindre aux ouvriers américains dans une lutte commune contre la destruction des emplois, des salaires et des conditions de travail.

L’automne dernier, les travailleurs de l’auto de chez GM, Ford et Chrysler aux Etats-Unis se sont battus contre l’imposition de nouvelles concessions, ce qui a forcé la direction de l’UAW à déployer ses représentants dans les usines rebelles, qui ne disaient pas toute la vérité sur les plans d’investissements pour ces usines particulières ou, d’autres fois, recouraient à des méthodes de persuasion plus fermes. Lors de ces événements, des poches importantes de résistance ont forcé l’UAW à organiser ces tristement célèbres demi-journées de grève dans le but de laisser sortir un peu de frustration. Les contrats ont éventuellement été ratifiés, mais qu’avec une très faible marge.

Pourtant, la rébellion au sein des travailleurs de l’auto aux Etats-Unis n’a pas cessé. Les membres de l’UAW aux usines de la compagnie American Axle dans le Michigan et New York mènent actuellement une lutte acerbe depuis onze semaines contre la compagnie et leur syndicat, qui font les préparatifs pour couper les salaires de 11 à 14 dollars l’heure et fermer plusieurs usines.

La popularité de l’accord intervenue entre Ford Canada et les TCA parmi les dirigeants de l’industrie est montrée par le fait que tant GM que Chrysler ont maintenant accepté de s’asseoir avec les TCA dans une tentative d’arriver à un accord, bien avant la fin des contrats qui est en septembre pour ces deux compagnies.

Les TCA ont commencé leurs négociations avec GM le jeudi 8 mai. Stew Low, un porte-parole de la compagnie, a été très clair sur le fait que sa compagnie cherchera à obtenir les mêmes gains que ceux que Ford a obtenus, mais qu’à cause de différences dans l’opération de GM et de Ford, des « variations », c’est-à-dire des concessions encore plus importantes, seront considérées. « Tout ce qui se trouve dans l’accord de Ford ne se retrouvera pas nécessairement dans la nôtre », a dit Low.

Hargrove, pendant ce temps, a exprimé sa confiance que les grandes concessions acceptées par Ford seront aussi adoptées par ses deux compétiteurs. « Selon moi, il serait difficile pour GM et pour Chrysler de dire que c’est une bonne entente pour Ford, mais qu’elle nuirait à leur compagnie. »

L’entente de concessions imposée aux travailleurs de Ford Canada souligne l’urgence pour les travailleurs de l’auto d’adopter une stratégie entièrement nouvelle dans leur opposition aux TCA, une stratégie basée sur le refus d’accepter que la vie économique et les besoins sociaux soient subordonnés aux profits des grandes entreprises et sur les intérêts de classe communs des travailleurs de l’automobile en Amérique du Nord  et à travers le monde.

(Article original anglais paru le 10 mai 2008)

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