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Canada : les libéraux et les conservateurs s’entendent sur la prolongation de l’opération militaire canadienne en Afghanistan

Par Guy Charron
1er mars 2008

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En arrivant à un accord sur la prolongation de la mission canadienne en Afghanistan, le gouvernement canadien minoritaire formé par le Parti conservateur de Stephen Harper et le parti formant l’opposition officielle, le Parti libéral de Stéphane Dion, ont répondu aux demandes répétées des élites canadiennes de cesser les disputes sur cet enjeu « d’intérêt national », mais qui est massivement opposé par la population.

« Je suis d'accord avec le premier ministre, nous n'avons plus une motion conservatrice ou une motion libérale devant nous, mais une motion canadienne » a déclaré Stéphane Dion lors des discours suivant le dépôt de la motion devant la Chambre des communes, comme Stephen Harper quelques jours auparavant.

Avec cette motion, l’opération de contre-insurrection de l’armée canadienne dans la province de Kandahar sera prolongée au-delà de l’engagement précédent de février 2009 jusqu’en juillet 2011. Adoptant les recommandations du rapport Manley, le Parlement canadien pose comme condition à la prolongation du déploiement des troupes canadiennes à Kandahar l’envoi de renforts supplémentaires de 1000 soldats de l’OTAN dans cette province et le déploiement d’hélicoptères et de drones par l’armée canadienne.

La province de Kandahar au sud de l’Afghanistan est un château fort des talibans et le front de la lutte contre-insurrectionnelle. Le contingent de 2500 soldats canadiens appuyés par une quinzaine de chars d’assaut Léopard qui est basé dans cette province depuis 2005 a subi plus de 60 morts et 650 blessés. Proportionnellement au nombre de soldats engagés, ce nombre est significativement plus élevé que celui des morts et blessés de l’armée américaine en Irak et représente une part substantielle des victimes au sein de la force d’occupation de l’OTAN en Afghanistan qui compte 60 000 soldats.

En acceptant la prolongation de la mission, Dion a répudié la ligne qu’il avançait depuis le début de 2007, peu de temps après son élection à la tête du Parti libéral, demandant que le rôle que jouent les troupes canadiennes dans la guerre de contre-insurrection au sud de l’Afghanistan soit donné à une autre puissance de l’OTAN après février 2009 et que l’armée canadienne limite ses activités à la reconstruction, l’entraînement des forces de sécurité afghanes et à la diplomatie. (Une équipe d’une vingtaine de personnes, presque toutes des officiers de l’armée canadienne, conseille directement le gouvernement fantoche d’Hamid Karzaï.)

Malgré l’appui que donne la classe politique à la mission de l’armée canadienne en Afghanistan et le soutien inconditionnel que lui donnent les principaux organes de presse par et pour la grande entreprise, tous les sondages indiquent que plus de 60 pour cent de la population canadienne s’opposent aux opérations canadiennes en Afghanistan.

Avec sa demande du retrait des troupes canadiennes du front de Kandahar, le Parti libéral tentait de façon hypocrite de se distinguer du très à droite Parti conservateur sur la question de l’Afghanistan et de développer une base électorale.

Cette distinction entre les libéraux et les conservateurs sur la question de la guerre a toujours été plus verbale que fondamentale. La mission canadienne en Afghanistan avait été amorcée par le gouvernement libéral de Jean Chrétien et le transfert des troupes canadiennes vers Kandahar décidé par le gouvernement libéral de Paul Martin. Et les libéraux n’ont jamais demandé rien de plus qu’une rotation des nations sur le front de Kandahar, pas la fin de la guerre en Afghanistan qu’ils appuient inconditionnellement. Les conservateurs ont décidé de faire de la question de leur appui à l’occupation de l’Afghanistan une question politique centrale, alors que les libéraux préféraient ne pas trop attirer l’attention sur l’opération militaire canadienne.

Harper ayant fait de la question de la prolongation de la mission canadienne en Afghanistan une question de confiance du Parlement en son gouvernement minoritaire, la position des libéraux signifiait que sans compromis de leur part, le gouvernement Harper tombait. Au grand dam des représentants des élites canadiennes, cela aurait signifié une élection où la question afghane aurait été centrale, une situation que la bourgeoisie a jugé politiquement dangereuse à cause de la grande opposition des masses des travailleurs.

Les éditoriaux des quotidiens du pays ont été remplis d’appels aux libéraux pour qu’ils changent leur position, ce à quoi ils ont rapidement acquiescé. (Voir : Les libéraux se rallient à la prolongation de la mission de l’armée canadienne en Afghanistan)

Les libéraux ont présenté leur propre motion de prolongation de la mission militaire canadienne en Afghanistan en disant que l’entraînement devait être sa principale activité. Dion a expliqué que l’entraînement comprenait les combats aux côtés des forces afghanes.

Les conservateurs ont accepté de déposer devant la Chambre des communes une version de la motion qui était essentiellement celle proposée par les libéraux qui peuvent ainsi déclarer que le gouvernement conservateur s’est rendu à leurs arguments. Mais à part le fait que la motion indique que la mission canadienne prendra fin en 2011, les conservateurs n’ont fait aucune concession réelle aux libéraux. Rien n’empêchera les militaires canadiens de continuer à combattre contre les talibans et quant à la question de la fin de la mission, comme un éditorial du Globe and Mail l’a écrit, « rien n’empêche qu’un futur gouvernement demande au Parlement une autre prolongation ».

En annonçant que les conservateurs acceptaient les grandes lignes de la motion libérale, Harper a exposé les véritables objectifs impérialistes de l’intervention canadienne en Afghanistan.

« … nous avons besoin d’une armée forte, à plusieurs facettes, qui a le soutien de la volonté politique pour se déployer, a-t-il déclaré. Les pays que ne peuvent pas faire de contributions réelles à la sécurité mondiale, ou qui ne le font pas, ne seront pas considérés comme des joueurs importants. Ils seront peut-être aimés de tous. Ils peuvent être reconnus plaisamment par tous. Mais quand les décisions difficiles sont prises, ils seront ignorés de tous. »

Le Globe and Mail, le principal quotidien au Canada et porte-parole de Bay Street où se concentre à Toronto les grandes institutions financières du Canada, a salué l’accord comme un tournant de l’histoire canadienne.

« Conciliant n’est habituellement pas un terme que l’on peut accoler au nom de Stephen Harper, mais cette semaine, la description lui sied », a écrit le Globe and Mail soulagé. « C’est un moment important pour le Canada au niveau international et par sa mission vitale en Afghanistan », a-t-il continué.

« Une défaite de la motion gouvernementale aurait pu transformer une mission de sécurité vitale en une sale bataille politique, ce qui serait allé à l’encontre des troupes sur le terrain. Une motion bipartisane permettra à M. Harper de donner un ultimatum sans équivoque lors du sommet de l’OTAN en avril : le Canada retirera ses troupes de l’Afghanistan l’an prochain à moins que d’autres nations fournissent 1000 soldats supplémentaires et plus d’équipement militaire. »

Avec cet accord, comme le souligne le Globe and Mail, non seulement les libéraux et les conservateurs défendent-ils les intérêts géostratégiques des élites canadiennes face à l’opposition des larges masses des travailleurs au Canada même, mais contribuent à l’intensification de l’offensive en Afghanistan en forçant la main des puissances européennes qui confrontent elles aussi une large opposition à la guerre afghane.

Pour tenter de contrer l’augmentation de l’offensive des opposants afghans à l’occupation étrangère, les dirigeants de l’opération militaire en Afghanistan veulent mettre de l’avant la même stratégie qu’en Irak, soit l’envoi de plus de troupes et l’intensification des attaques militaires.

Les États-Unis ont accusé les puissances européennes de ne pas être assez combatives en Afghanistan et la demande pour plus de troupes à Kandahar telle qu’énoncée dans l’accord est utilisée pour faire pression sur elles.

La France envisage l’envoi des plus de 1000 soldats en renfort dans les provinces afghanes frontalières avec le Pakistan, préférant combattre aux côtés des Américains là-bas, ce qui libérerait le même nombre de soldats américains pour venir combattre avec les troupes canadiennes à Kandahar. Les États-Unis ont déjà annoncé qu’ils déploieront 3200 soldats supplémentaires en Afghanistan au cours des prochaines semaines, dont 2200 au sud. Ces soldats seront appuyés par une quarantaine d’aéronefs tels hélicoptères, Harrier AV-83 et drones. Le déploiement américain pourrait être considéré comme suffisant par le gouvernement Harper pour satisfaire les conditions de la prolongation de la mission canadienne en Afghanistan.

Le chef d’état-major canadien, le général Rick Hillier, a exigé que le Parlement donne un soutien « écrasant » à la prolongation de la mission canadienne en Afghanistan, laissant entendre que les députés votant contre la prolongation de la mission incitaient les talibans à commettre des attentats à la bombe contre les convois militaires canadiens.

Depuis plusieurs années, les officiers de l’état-major de l’armée et des forces de sécurité canadiennes interviennent dans le débat public pour terroriser la population ou faire pression sur les dirigeants politiques pour augmenter le financement de l’armée et des forces de sécurité et pour augmenter les pouvoirs policiers.

En général, ces interventions sont accueillies favorablement par les médias qui les présentent en première page ou en entrée de bulletin de nouvelles à la télévision et à la radio. En octobre dernier, Hillier a dit devant l’Association canadienne des diffuseurs que « d’une certaine façon, je suis autant à leur service [NdT : les soldats] qu’à celui du gouvernement du Canada et au service des Canadiens et du Canada lui-même ». Son discours fut accueilli par une ovation debout par les représentants des grands médias électroniques au Canada.

Cette fois, parce que les deux principaux partis de la grande entreprise au Parlement se sont entendus pour défendre les intérêts fondamentaux du Capital canadien, le Globe and Mail s’est permis de gentiment rappeler Hillier à l’ordre. Après avoir encensé Hillier pour ces nombreuses défenses de la mission canadienne, le Globe and Mail a écrit qu’« il est décourageant de savoir que nos soldats sont si douillets qu’ils ont besoin du soutien explicite de chacun des députés du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique pour faire leur travail ».

Gilles Duceppe, le chef du parti séparatiste au niveau fédéral, le Bloc québécois, a annoncé qu’il voterait contre la motion des libéraux et des conservateurs parce que « ça fait deux fois qu'il y a des dates fermes qui sont remises, reportées. Nous, c'est février 2009, point à la ligne. » Comme les libéraux, les bloquistes tentent hypocritement de se positionner pour s’accaparer une partie du vote anti-guerre. Mais tout comme les libéraux avant leur accord avec les conservateurs, Duceppe ne demande pas la fin de la guerre en Afghanistan, mais seulement que le Canada se retire du front de Kandahar. Dans un long discours qu’il a donné en 2007 expliquant la position du Bloc québécois sur l’Afghanistan, il a insisté que l’occupation de l’Afghanistan constituait « une noble cause ». Si le Bloc peut se permettre de voter contre la motion, c’est en grande partie parce qu’il sait que son parti n’étant basé que dans une seule province, il lui est impossible de jamais prendre le pouvoir, ce qui lui laisse une grande marge de manœuvre pour prendre des positions démagogiques.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD), après avoir soutenu l’intervention canadienne de 2002 à la fin de 2006, demande aujourd’hui le retrait des troupes canadiennes pour leur permettre d’intervenir dans d’autres endroits dans le monde comme le Liban, Haïti ou le Darfour. Pour l’Afghanistan lui-même, le NPD demande que la responsabilité de la mission passe de l’OTAN à l’ONU comme si cette organisation dominée par les Etats-Unis et les grandes puissances européennes pouvait jouer un rôle différent de celui de l’OTAN à qui elle a donné le mandat de réaliser l’occupation de l’Afghanistan en son nom.

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