Le constructeur allemand Daimler AG a annoncé le mois
dernier qu’il allait fermer très bientôt son usine d’assemblage de
camions Sterling de St-Thomas en Ontario, juste au sud de la ville de London.
La fermeture sera effective en mars prochain et 1300 travailleurs viendront
grossir les rangs des chômeurs de la province.
Daimler a affirmé que la fermeture de l’usine
ontarienne, et une autre à Portland en Oregon, reflétaient la réaction
« ferme » de la compagnie face au développement du ralentissement
économique dans le secteur automobile continental.
En présentant la décision selon la meilleure tradition du
double discours des départements corporatifs de relations publiques à travers
le monde, un porte-parole de Daimler a expliqué, « C’est un principe
de notre stratégie “d’excellence mondiale” que de lutter pour
une profitabilité compétitive et de répondre aux changements structurels de
façon rapide et conséquente. »
Les travailleurs de l’automobile dans la petite ville
du sud-ouest de l’Ontario souffrent déjà de telles stratégies
« d’excellence mondiale ». Voilà seulement deux ans,
l’usine Sterling embauchait plus de 2000 travailleurs. L’été
dernier, Formet Industries, une filiale de Magna International, supprima 400
emplois de son usine de pièces automobiles, au moment même où Ford en
supprimait plusieurs centaines d’autres à son usine d’assemblage
régionale. La semaine dernière, près de Chatham en Ontario, International truck
and Engine Corporation a annoncé les mises à pied des 470 ouvriers à ses
installations Navistar.
Les terribles développements qui surviennent à St-Thomas et
Chatham ne sont que le reflet régional d’un incroyable ralentissement
dans l’industrie automobile au Canada, qui est fortement concentrée en
Ontario et, dans une moindre mesure, au Québec. De janvier à août de cette
année seulement, 10 000 emplois liés à l’assemblage et à la
construction de pièces automobiles ont été supprimés de façon permanente.
Depuis 2001, au sommet de l’industrie automobile canadienne, plus de
35 000 emplois ont été perdus.
L’an prochain, GM fermera son usine géante de camions
à Oshawa, éliminant ainsi 2600 emplois. En 2010, son usine de transmission de
Windsor sera fermée. Même les profitables usines d’assemblage
d’Oakville et de mini-fourgonnettes de Chrysler-Cerberus à Windsor ont vu
leur personnel réduit. L’usine d’assemblage CAMI de GM-Suzuki près
de London cessera bientôt la production de véhicules Suzuki sports-utilitaires,
causant ainsi la perte de 500 emplois. Alors que les ventes de voitures au sud
de la frontière continuent de chuter (en octobre les ventes avaient fondu de
39,2 pour cent par rapport à l’an dernier), les analystes prédisent que
l’industrie va continuer à être décimée.
Ken Lewenza, le nouveau président des Travailleurs
canadiens de l’automobile (TCA), après avoir scrupuleusement versé des
larmes de crocodile à l’annonce des dernières suppressions
d’emplois, a humblement répété le discours des compagnies automobile qui
insistent que pas grand-chose ne peut être fait pour empêcher l’actuel
remaniement de l’industrie. Lewenza, qui accepte résolument les dictats
du marché capitaliste, a déjà indiqué qu’il était prêt à négocier un
autre contrat à l’usine de camions Sterling à St-Thomas, à la seule
condition que la compagnie annonce une « mise à l’arrêt »
plutôt que la « fermeture » de l’usine.
Suivant avec fermeté les pas nationalistes de ses prédécesseurs des TCA,
Buzz Hargrove et Bob White, Lewenza a déclaré que Daimler « va continuer à
vendre des camions sur le marché canadien mais ils ne vont en construire aucun
au Canada et c’est une question à laquelle tous les Canadiens doivent
porter attention. » L’assistant de Lewenza, Jerry Dias, fut plus
direct : « Ce que Daimler dit n’est que de la pacotille sur la
fin du modèle Sterling. Ce qu’ils font, c’est déménager
l’usine et la production d’ici au Mexique. »
Depuis sa fondation lors d’une scission avec la United Auto Workers
(UAW) en 1985, la bureaucratie des TCA a cherché à monter les travailleurs du
Canada contre leurs frères et sœurs de classe d’autres pays dans une
lutte fratricide pour satisfaire les faveurs de telle ou telle compagnie
automobile. Le cul-de-sac de leurs remèdes de charlatans nationalistes est
maintenant évident pour tous, alors que les compagnies d’automobiles diminuent
impitoyablement leur capacité de production basée sur une division mondiale du
travail.
Tout en servant ce poison nationaliste à la classe
ouvrière, la bureaucratie des TCA s’est liée plus étroitement aux géants
de la production manufacturière en général et aux magnats des compagnies
d’automobile en particulier. Dans une déclaration du 23 octobre, la TCA
demande aux « gouvernements canadiens et américains de travailler avec
leurs producteurs nord-américains afin de fournir une assistance
d’urgence en liquidité reflétant la détérioration dramatique des
conditions financières à laquelle ils font face. Cette assistance consisterait
en… des garanties de prêts, des échanges d’actifs non liquides
contre des actifs liquides, l’assouplissement temporaire de règlements
comptables, et même (si nécessaire) des placements en actions. Comme première
étape, le gouvernement canadien doit fournir un montant proportionnel aux 25
milliards de dollars en garanties de prêts fédéraux qui ont déjà été approuvés
aux Etats-Unis afin de soutenir la réorganisation de l’industrie de
l’automobile. »
La déclaration des TCA a été faite la même semaine où Gerry
Fedchun, le président de l’Association des fabricants de pièces
d’automobile du Canada (APMA), envoyait une lettre au ministre fédéral
conservateur de l’Industrie Jim Prentice l’avertissant qu’un
« très grand nombre » de compagnies de pièces d’automobile
allaient faire faillite, à moins d’une intervention de 1 milliard de
dollars canadiens du gouvernement Harper en garanties de prêts d’urgence
pour combattre le resserrement du crédit.
L’APMA, avec les TCA et le
gouvernement libéral ontarien pro-grande entreprise du premier ministre Dalton
McGuinty a accusé les conservateurs, défenseurs du capital financier et du
secteur énergétique, d’avoir privé le capital manufacturier de
l’aide dont il a besoin en concentrant tous ses efforts sur le système
bancaire. « Les véritables industries », peut-on lire dans la
déclaration des TCA, « y compris l’industrie de l’auto, sont
beaucoup plus importantes pour notre prospérité à long terme que les banques
d’investissements et les fonds spéculatifs (hedge funds) ».
Ce qui n’a pas empêché le ministre de
l’Industrie Prentice de décliner la demande d’aide de l’APMA,
affirmant que de tels prêts garantis ne sont pas nécessaire par le gouvernement
conservateur avait récemment accru la capacité de prêter de la société étatique
Exportation et développement Canada. « Il est important de séparer les
bases de l’industrie [de l’auto] de la question de la
liquidité » a déclaré Prentice. Il a ajouté que l’importante
dépréciation du dollar canadien par rapport à sa contrepartie américaine dans
les derniers mois apportait déjà une aide appréciable aux industriels de
l’automobile.
La déclaration de Prentice a immédiatement
été critiquée par le ministre des Finances de l’Ontario Dwight Duncan qui
se disputait depuis un certain temps déjà avec les conservateurs fédéraux parce
que ces derniers n’avaient pas suffisamment financé l’industrie
automobile. Duncan s’est plaint : « La dernière fois
qu’[Ottawa] a annoncé qu’il donnerait de l’aide, ce fut à la
dernière minute, durant les élections fédérales. Il ne peut pas prendre une
attitude aussi cavalière. »
Les libéraux provinciaux, ainsi que les TCA
(qui ont d’ailleurs soutenu les libéraux lors de la dernière élection
provinciale) demandent que le gouvernement Harper à Ottawa se joigne à Duncan
et au premier ministre McGuinty pour cogner aux portes des patrons de Ford,
General Motors et Chrysler-Cerberus et leur offrir l’argent d’un
plan d’aide. Lewenza, Duncan et les compagnies de l’automobile sont
aussi en faveur de la résurrection du Conseil du
partenariat pour le secteur canadien de l'automobile, un comité
corporatiste qui a réuni les patrons, le gouvernement et les syndicats deux
fois depuis 2005.
Les conservateurs fédéraux ont pris la
position que toute discussion sur un plan d’aide dans l’industrie
automobile serait prématurée tant que le gouvernement américain ne donnerait
pas plus d’informations sur son propre plan pour les Trois Grands de
Détroit. La semaine passée, le département du Trésor américain a rejeté une
demande de General Motors de plus de 10 milliards de dollars américains pour financer
une proposition de fusion avec Chrysler-Cerberus.
L’animosité entre les libéraux
provinciaux, le secteur manufacturier et les TCA, d’un côté, et le
gouvernement fédéral conservateur de l’autre, est le reflet de divisions
historiques au sein de la classe dirigeante au Canada entre les banques, le
secteur des matières premières et les principaux industriels. Les banques et
l’industrie de l’énergie basée principalement en Alberta
considèrent que la plus grande partie du secteur manufacturier canadien comme
un concurrent pour les largesses du gouvernement quant à la fiscalité, la
politique commerciale et, aujourd’hui, les plans d’aide.
Quant à elle, la bureaucratie des TCA a
toujours acquiescé à l’impératif du profit pour les manufacturières de
l’automobile. Toute leur stratégie depuis qu’ils se sont séparés
des UAW a été basée sur l’avantage pour les Trois Grands en terme de coût
de la main-d’œuvre au Canada par rapport aux Etats-Unis. Cet
avantage était principalement dû à un dollar canadien relativement faible et
des coûts d’assurance-maladie plus bas pour les compagnies parce que le
Canada a un régime public de santé plus large que celui des Etats-Unis. A
maintes reprises, la direction des TCA a accepté des changements de
l’organisation du travail, des réductions d’emplois et
d’autres concessions pour accroître les profits. Plus tôt cette année, la
direction des TCA a négocié des contrats contenants des concessions majeures
aux Trois Grands dans des négociations sur le contrat bien avant l’échéance
de celui en vigueur.
Les dirigeants des TCA n’ont pas
justifié leur « stratégie d’urgence » par une défense des
emplois et du niveau de vie de leurs membres, mais plutôt par un accord de
concession qui permettra une rationalisation mieux ordonnée de l’industrie
automobile. Dans une entrevue qu’il a donnée récemment au quotidien Globe
and Mail, Lewenza a accepté que l’industrie de l’automobile au
Canada soit « beaucoup plus petite » d’ici cinq ans. Parlant
comme un cadre junior, Lewenza a appelé pour de meilleurs modèles du flux de
trésorerie et pour l’amélioration des stratégies de marketing des Trois
Grands. Mais si les emplois dans le secteur automobile ne peuvent être
défendus, le syndicat doit continuer, lui, à se diversifier. Portant toujours
attention à la base financière que constituent les cotisations syndicales
obligatoires pour tous les ouvriers, Lewenza a aussi appelé pour sa propre
stratégie de « croissance », visant le secteur largement non-syndiqué
du secteur de fabrication des pièces. Cherchant de nouvelles sources de
cotisations syndicales, les TCA ont accepté l’an dernier de former un
« nouveau partenariat » avec Magna International en vertu duquel le
géant de la fabrication des pièces automobiles invitera les TCA à « organiser »
ses usines. En retour, les TCA ont accepté de ne pas faire de grèves,
l’arbitrage exécutoire des disputes sur le contrat et l’abandon du
système traditionnel des griefs syndicaux.
La perspective nationaliste du syndicat ne
sert qu’à monter les ouvriers de l’automobile au Canada contre
leurs frères et sœurs aux États-Unis et internationalement et nourrit la
spirale sans fin de la diminution des salaires et des conditions de travail.
Pour mener leur offensive mondiale contre les manufacturières de
l’automobile, les ouvriers doivent rompre avec leurs syndicats
pro-compagnies, s’unir avec les ouvriers de par le monde et construire de
nouveaux organes de lutte. Ces derniers seront basés sur un programme
socialiste et internationaliste pour réorganiser la vie économique et politique
dans les intérêts des travailleurs plutôt que pour maximiser les profits
d’une minuscule élite.
(Article original anglais paru le 8
novembre 2008)