World Socialist Web Site www.wsws.org

WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

L’industrie de l’automobile canadienne ravagée par les mises à pied et les fermetures d’usines

Par Carl Bronski
12 novembre 2008

Retour | Ecrivez à l'auteur

Le constructeur allemand Daimler AG a annoncé le mois dernier qu’il allait fermer très bientôt son usine d’assemblage de camions Sterling de St-Thomas en Ontario, juste au sud de la ville de London. La fermeture sera effective en mars prochain et 1300 travailleurs viendront grossir les rangs des chômeurs de la province.

Daimler a affirmé que la fermeture de l’usine ontarienne, et une autre à Portland en Oregon, reflétaient la réaction « ferme » de la compagnie face au développement du ralentissement économique dans le secteur automobile continental.

En présentant la décision selon la meilleure tradition du double discours des départements corporatifs de relations publiques à travers le monde, un porte-parole de Daimler a expliqué, « C’est un principe de notre stratégie “d’excellence mondiale” que de lutter pour une profitabilité compétitive et de répondre aux changements structurels de façon rapide et conséquente. »

Les travailleurs de l’automobile dans la petite ville du sud-ouest de l’Ontario souffrent déjà de telles stratégies « d’excellence mondiale ». Voilà seulement deux ans, l’usine Sterling embauchait plus de 2000 travailleurs. L’été dernier, Formet Industries, une filiale de Magna International, supprima 400 emplois de son usine de pièces automobiles, au moment même où Ford en supprimait plusieurs centaines d’autres à son usine d’assemblage régionale. La semaine dernière, près de Chatham en Ontario, International truck and Engine Corporation a annoncé les mises à pied des 470 ouvriers à ses installations Navistar.

Les terribles développements qui surviennent à St-Thomas et Chatham ne sont que le reflet régional d’un incroyable ralentissement dans l’industrie automobile au Canada, qui est fortement concentrée en Ontario et, dans une moindre mesure, au Québec. De janvier à août de cette année seulement, 10 000 emplois liés à l’assemblage et à la construction de pièces automobiles ont été supprimés de façon permanente. Depuis 2001, au sommet de l’industrie automobile canadienne, plus de 35 000 emplois ont été perdus.

L’an prochain, GM fermera son usine géante de camions à Oshawa, éliminant ainsi 2600 emplois. En 2010, son usine de transmission de Windsor sera fermée. Même les profitables usines d’assemblage d’Oakville et de mini-fourgonnettes de Chrysler-Cerberus à Windsor ont vu leur personnel réduit. L’usine d’assemblage CAMI de GM-Suzuki près de London cessera bientôt la production de véhicules Suzuki sports-utilitaires, causant ainsi la perte de 500 emplois. Alors que les ventes de voitures au sud de la frontière continuent de chuter (en octobre les ventes avaient fondu de 39,2 pour cent par rapport à l’an dernier), les analystes prédisent que l’industrie va continuer à être décimée.

Ken Lewenza, le nouveau président des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), après avoir scrupuleusement versé des larmes de crocodile à l’annonce des dernières suppressions d’emplois, a humblement répété le discours des compagnies automobile qui insistent que pas grand-chose ne peut être fait pour empêcher l’actuel remaniement de l’industrie. Lewenza, qui accepte résolument les dictats du marché capitaliste, a déjà indiqué qu’il était prêt à négocier un autre contrat à l’usine de camions Sterling à St-Thomas, à la seule condition que la compagnie annonce une « mise à l’arrêt » plutôt que la « fermeture » de l’usine.

Suivant avec fermeté les pas nationalistes de ses prédécesseurs des TCA, Buzz Hargrove et Bob White, Lewenza a déclaré que Daimler « va continuer à vendre des camions sur le marché canadien mais ils ne vont en construire aucun au Canada et c’est une question à laquelle tous les Canadiens doivent porter attention. » L’assistant de Lewenza, Jerry Dias, fut plus direct : « Ce que Daimler dit n’est que de la pacotille sur la fin du modèle Sterling. Ce qu’ils font, c’est déménager l’usine et la production d’ici au Mexique. »

Depuis sa fondation lors d’une scission avec la United Auto Workers (UAW) en 1985, la bureaucratie des TCA a cherché à monter les travailleurs du Canada contre leurs frères et sœurs de classe d’autres pays dans une lutte fratricide pour satisfaire les faveurs de telle ou telle compagnie automobile. Le cul-de-sac de leurs remèdes de charlatans nationalistes est maintenant évident pour tous, alors que les compagnies d’automobiles diminuent impitoyablement leur capacité de production basée sur une division mondiale du travail.

Tout en servant ce poison nationaliste à la classe ouvrière, la bureaucratie des TCA s’est liée plus étroitement aux géants de la production manufacturière en général et aux magnats des compagnies d’automobile en particulier. Dans une déclaration du 23 octobre, la TCA demande aux « gouvernements canadiens et américains de travailler avec leurs producteurs nord-américains afin de fournir une assistance d’urgence en liquidité reflétant la détérioration dramatique des conditions financières à laquelle ils font face. Cette assistance consisterait en… des garanties de prêts, des échanges d’actifs non liquides contre des actifs liquides, l’assouplissement temporaire de règlements comptables, et même (si nécessaire) des placements en actions. Comme première étape, le gouvernement canadien doit fournir un montant proportionnel aux 25 milliards de dollars en garanties de prêts fédéraux qui ont déjà été approuvés aux Etats-Unis afin de soutenir la réorganisation de l’industrie de l’automobile. »

 

La déclaration des TCA a été faite la même semaine où Gerry Fedchun, le président de l’Association des fabricants de pièces d’automobile du Canada (APMA), envoyait une lettre au ministre fédéral conservateur de l’Industrie Jim Prentice l’avertissant qu’un « très grand nombre » de compagnies de pièces d’automobile allaient faire faillite, à moins d’une intervention de 1 milliard de dollars canadiens du gouvernement Harper en garanties de prêts d’urgence pour combattre le resserrement du crédit.

L’APMA, avec les TCA et le gouvernement libéral ontarien pro-grande entreprise du premier ministre Dalton McGuinty a accusé les conservateurs, défenseurs du capital financier et du secteur énergétique, d’avoir privé le capital manufacturier de l’aide dont il a besoin en concentrant tous ses efforts sur le système bancaire. « Les véritables industries », peut-on lire dans la déclaration des TCA, « y compris l’industrie de l’auto, sont beaucoup plus importantes pour notre prospérité à long terme que les banques d’investissements et les fonds spéculatifs (hedge funds) ».

Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Industrie Prentice de décliner la demande d’aide de l’APMA, affirmant que de tels prêts garantis ne sont pas nécessaire par le gouvernement conservateur avait récemment accru la capacité de prêter de la société étatique Exportation et développement Canada. « Il est important de séparer les bases de l’industrie [de l’auto] de la question de la liquidité » a déclaré Prentice. Il a ajouté que l’importante dépréciation du dollar canadien par rapport à sa contrepartie américaine dans les derniers mois apportait déjà une aide appréciable aux industriels de l’automobile.

La déclaration de Prentice a immédiatement été critiquée par le ministre des Finances de l’Ontario Dwight Duncan qui se disputait depuis un certain temps déjà avec les conservateurs fédéraux parce que ces derniers n’avaient pas suffisamment financé l’industrie automobile. Duncan s’est plaint : « La dernière fois qu’[Ottawa] a annoncé qu’il donnerait de l’aide, ce fut à la dernière minute, durant les élections fédérales. Il ne peut pas prendre une attitude aussi cavalière. »

Les libéraux provinciaux, ainsi que les TCA (qui ont d’ailleurs soutenu les libéraux lors de la dernière élection provinciale) demandent que le gouvernement Harper à Ottawa se joigne à Duncan et au premier ministre McGuinty pour cogner aux portes des patrons de Ford, General Motors et Chrysler-Cerberus et leur offrir l’argent d’un plan d’aide. Lewenza, Duncan et les compagnies de l’automobile sont aussi en faveur de la résurrection du Conseil du partenariat pour le secteur canadien de l'automobile, un comité corporatiste qui a réuni les patrons, le gouvernement et les syndicats deux fois depuis 2005.

Les conservateurs fédéraux ont pris la position que toute discussion sur un plan d’aide dans l’industrie automobile serait prématurée tant que le gouvernement américain ne donnerait pas plus d’informations sur son propre plan pour les Trois Grands de Détroit. La semaine passée, le département du Trésor américain a rejeté une demande de General Motors de plus de 10 milliards de dollars américains pour financer une proposition de fusion avec Chrysler-Cerberus.

L’animosité entre les libéraux provinciaux, le secteur manufacturier et les TCA, d’un côté, et le gouvernement fédéral conservateur de l’autre, est le reflet de divisions historiques au sein de la classe dirigeante au Canada entre les banques, le secteur des matières premières et les principaux industriels. Les banques et l’industrie de l’énergie basée principalement en Alberta considèrent que la plus grande partie du secteur manufacturier canadien comme un concurrent pour les largesses du gouvernement quant à la fiscalité, la politique commerciale et, aujourd’hui, les plans d’aide.

Quant à elle, la bureaucratie des TCA a toujours acquiescé à l’impératif du profit pour les manufacturières de l’automobile. Toute leur stratégie depuis qu’ils se sont séparés des UAW a été basée sur l’avantage pour les Trois Grands en terme de coût de la main-d’œuvre au Canada par rapport aux Etats-Unis. Cet avantage était principalement dû à un dollar canadien relativement faible et des coûts d’assurance-maladie plus bas pour les compagnies parce que le Canada a un régime public de santé plus large que celui des Etats-Unis. A maintes reprises, la direction des TCA a accepté des changements de l’organisation du travail, des réductions d’emplois et d’autres concessions pour accroître les profits. Plus tôt cette année, la direction des TCA a négocié des contrats contenants des concessions majeures aux Trois Grands dans des négociations sur le contrat bien avant l’échéance de celui en vigueur.

Les dirigeants des TCA n’ont pas justifié leur « stratégie d’urgence » par une défense des emplois et du niveau de vie de leurs membres, mais plutôt par un accord de concession qui permettra une rationalisation mieux ordonnée de l’industrie automobile. Dans une entrevue qu’il a donnée récemment au quotidien Globe and Mail, Lewenza a accepté que l’industrie de l’automobile au Canada soit « beaucoup plus petite » d’ici cinq ans. Parlant comme un cadre junior, Lewenza a appelé pour de meilleurs modèles du flux de trésorerie et pour l’amélioration des stratégies de marketing des Trois Grands. Mais si les emplois dans le secteur automobile ne peuvent être défendus, le syndicat doit continuer, lui, à se diversifier. Portant toujours attention à la base financière que constituent les cotisations syndicales obligatoires pour tous les ouvriers, Lewenza a aussi appelé pour sa propre stratégie de « croissance », visant le secteur largement non-syndiqué du secteur de fabrication des pièces. Cherchant de nouvelles sources de cotisations syndicales, les TCA ont accepté l’an dernier de former un « nouveau partenariat » avec Magna International en vertu duquel le géant de la fabrication des pièces automobiles invitera les TCA à « organiser » ses usines. En retour, les TCA ont accepté de ne pas faire de grèves, l’arbitrage exécutoire des disputes sur le contrat et l’abandon du système traditionnel des griefs syndicaux.

La perspective nationaliste du syndicat ne sert qu’à monter les ouvriers de l’automobile au Canada contre leurs frères et sœurs aux États-Unis et internationalement et nourrit la spirale sans fin de la diminution des salaires et des conditions de travail. Pour mener leur offensive mondiale contre les manufacturières de l’automobile, les ouvriers doivent rompre avec leurs syndicats pro-compagnies, s’unir avec les ouvriers de par le monde et construire de nouveaux organes de lutte. Ces derniers seront basés sur un programme socialiste et internationaliste pour réorganiser la vie économique et politique dans les intérêts des travailleurs plutôt que pour maximiser les profits d’une minuscule élite.

(Article original anglais paru le 8 novembre 2008)

 

Untitled Document


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés