La
semaine passée, le journal en ligne Médiapart
publiait une interview avec Alain Krivine, le
dirigeant de longue date de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).
L’interview jette une vive lumière sur le programme et le rôle politique
du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) que la LCR projette de fonder fin
janvier.
Krivine fait comprendre trois choses : premièrement,
le nouveau parti sera réformiste plutôt que révolutionnaire ; son but
n’est pas de construire une société socialiste, mais bien plutôt de
rénover le système capitaliste existant. Deuxièmement, le nouveau parti ne
représente pas une rupture politique avec les vieilles organisations ouvrières
en faillite, mais s’entend comme un moyen de rassembler les réformistes,
les staliniens, les syndicalistes et les radicaux petits-bourgeois
« de gauche ». Troisièmement, le parti adopte une attitude
cynique et méprisante vis-à-vis des traditions du mouvement révolutionnaire
marxiste.
La
toute première réponse présente Krivine
d’emblée comme un politicien bourgeois. A la question « Comment la
LCR analyse-t-elle "la crise" actuelle du système
capitaliste ? » il répond, « Elle participe des grandes crises
qui secouent périodiquement un système dominé par la recherche à tout prix du
profit. »
C’est
faux et mène à des conclusions politiques complètement fausses.
La présente crise n’est pas seulement une crise systémique qui frappe
le capitalisme à intervalle régulier pour faire place à un nouvel essor. Elle
s’est déjà propagée du secteur financier au domaine de la production en
provoquant la première récession mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale.
Elle représente une nouvelle étape du déclin du capitalisme mondial et ramène à
la surface toutes les contradictions historiques qui, entre 1914 et 1945, ont
plongé le monde dans des luttes de classe révolutionnaires, dans la barbarie
fasciste et dans deux guerres mondiales.
Au cœur de la crise se trouve le déclin de l’impérialisme
américain dont la suprématie économique avait servi de base à une stabilité
temporaire du monde capitaliste après la Seconde Guerre mondiale. A présent,
les Etats-Unis compensent leur déclin économique par un déploiement agressif de
leurs forces militaires. La classe dirigeante européenne y a réagi en
entreprenant son propre réarmement militaire et en lançant ses propres
initiatives de repartage du monde et de ses ressources. La recrudescence
militariste et la réaction sociale ne sont que les deux faces d’une même
médaille.
De ce fait il incombe à la classe ouvrière des tâches révolutionnaires. Elle
ne peut plus se défendre sur la base de méthodes réformistes ou syndicales qui,
dans le contexte du système de l’Etat-nation,
aboutissent à des compromis. La mondialisation de la production a dépassé et
rendu obsolètes et réactionnaires les limites de l’Etat-nation.
Le déclin de toutes les organisations réformistes en est le reflet. La crise ne
peut être résolue dans le contexte de la société capitaliste. Elle place la
classe ouvrière devant la tâche de rompre avec les vieilles organisations
réformistes, de prendre l’initiative politique et de lutter pour le
pouvoir politique, ou sinon de retomber dans la dictature et la guerre. La
classe ouvrière est confrontée à l’alternative : socialisme ou
barbarie.
Ce n’est là, pas la perspective de Krivine.
Son évaluation de la crise ne se différencie pas substantiellement de celle des
politiciens bourgeois qui, comme le président français, Nicolas Sarkozy, ou la
chancelière allemande, AngelaMerkel,
affirment que « l’économie réelle » est en fait saine en
attribuant la cause de la crise financière aux erreurs faites par certains
spéculateurs et en promettant de résoudre le problème au moyen de régulations
plus strictes. Répétant ces propos, Krivine déclare
que la crise « arrive à un moment où la richesse financière ne correspond
plus à la richesse réelle. »
Il suggère une série de « mesures immédiates » comme « la
mise en place d’un pôle public de banques et du crédit » soumis au
contrôle démocratique ainsi qu’une interdiction des licenciements dans
les entreprises qui font du profit, l’ouverture des livres de compte, la
levée du secret bancaire, la relève du pouvoir d’achat par une augmentation
des salaires et des pensions, etc.
Certes, ces mesures apparaissent radicales, mais Krivine
ne les relie pas à un programme de pouvoir ouvrier. Elles ne sont réclamées que
dans le but d’exercer une pression sur les autres partis. La tâche du NPA
n’est pas de préparer la classe ouvrière à l’inévitable
confrontation de classe en la libérant de l’influence paralysante des
appareils réformistes, staliniens et syndicaux. Au lieu de cela, le NPA
encourage l’illusion que, sous la pression, il serait possible de forcer
précisément ces appareils à adopter une politique favorable aux intérêts des
travailleurs.
Le prochain paragraphe de l’interview montre clairement à quel point
la LCR/NPA est liée à ces vieilles organisations bureaucratiques.
Krivine se vante de ce que le NPA a déjà un effet
positif sur les vieux partis : « Avant même sa naissance, il force
déjà tous les partis de gauche en crise à se définir en permanence en fonction
de lui ou des déclarations d’Olivier Besancenot…
Il est donc déjà utile. »
Krivine en appelle en particulier à tous ceux qui
sont restés politiquement en rade suite au virage droitier opéré par leur
ancienne organisation : « Le projet du NPA c’est de construire
un débouché politique pour tous les courants, toutes les personnes qui veulent
résister par un "tous ensemble" unitaire à l’offensive sans
précédent du patronat et du gouvernement Sarkozy. »
Krivine se réjouit de ce qu’un si grand
nombre ait déjà répondu à cet appel : « Ce parti qui n’existe
pas encore accueille une frange de militants expérimentés venant du PS (plus
que prévu…) et du PC avec un fort contingent du mouvement syndical et
associatif. »
Il n’exclut aucune sorte de manœuvre politique ou de combine, y
compris la participation au gouvernement. Le NPA, dit-il, est « un
mouvement utile dans les luttes, utile pour dégager une alternative politique
et pourquoi pas demain, à certaines conditions qui n’existent pas encore,
utile à l’exercice du pouvoir. Rien n’est clos mais une nouvelle
page s’ouvre. »
Krivine est prêt aussi à coopérer et à dresser des
listes communes de candidats avec d’autres courants politiques. Sa seule
condition est : pas de participation « à des coalitions
gouvernementales avec les PS comme l’ont fait le PRC [Parti de la Refondation
communiste] en Italie ou comme Die Linke [La Gauche] en Allemagne ».
Mais de telles déclarations ne veulent rien dire. L’intervalle de
temps que durent de telles promesses est habituellement court. De plus, il
existe différentes formes de coopération. En 1938, le Parti communiste français
n’a pas participé directement au gouvernement de Front populaire dirigé
par Léon Blum et qui fut une coalition du Parti socialiste et de partis
radicaux bourgeois. Toujours est-il que le PCF fut le plus important soutien de
Blum en votant pour son gouvernement à l’Assemblée nationale et en
étouffant le puissant mouvement de grève générale de l’époque pour
assurer la survie du capitalisme français.
Le temps nous dira si le NPA participera à un futur gouvernement français.
Pour le moment, sa plus importante tâche consiste à couper une nouvelle
génération de travailleurs et de jeunes de l’héritage du mouvement
ouvrier révolutionnaire. A cet égard, il remplit un rôle identique à celui joué
par le POUM espagnol et que Trotsky a décrit en ces termes : « Par
leurs formules générales "gauches", les chefs du POUM ont créé
l’illusion qu’il existait en Espagne un parti révolutionnaire et
empêché que se fassent jour des tendances intransigeantes véritablement prolétariennes. »
(1) Ce faisant, expliquait Trotsky, le POUM portait « une énorme
responsabilité dans la tragédie espagnole ».
Krivine parle avec mépris de l’héritage du
mouvement marxiste. Il traite avec dédain les grands débats théoriques et
politiques qui décidèrent du sort de millions de gens comme étant une polémique
sur des « ismes » dépassés.
« Jusqu’alors, nous recrutions à la LCR avec difficulté quelques
centaines de gens qui avaient différencié stalinisme, maoïsme, trotskysme,
anarchisme, et tous les "ismes"
imaginables », déclare Krivine.
« Aujourd’hui, les révolutionnaires sont écoutés par des millions de
personnes et s’efforcent, sans du tout renier leur combat, de construire
un parti populaire qui va nous astreindre à changer, en commun, notre
vocabulaire, nos méthodes, notre fonctionnement. »
Krivine repousse catégoriquement la tradition du
trotskysme dont la LCR se réclamait (à tort) jusque-là : « Parti qui
veut "révolutionner la société", le NPA ne sera pas
"trotskyste" mais s’efforcera de synthétiser le positif des
différentes traditions du mouvement ouvrier. Il s’enrichira de
l’apport des militants altermondialistes,
écologistes ou féministes sans oublier l’expérience de ceux qui viennent
des partis traditionnels ou du mouvement libertaire. »
Cette mixture opportuniste de courants politiques irréconciliables en un
mélange indéfinissable est réactionnaire. Il n’est pas possible de
« synthétiser » le stalinisme et le trotskysme. Ce qui les sépare ne
sont pas simplement des divergences d’opinion mais, comme l’a dit
Trotsky, un fleuve de sang. Le régime stalinien a assassiné bien plus de
communistes que les fascistes, comme l’a remarqué un jour Mussolini, le
dirigeant fasciste italien. Le conflit entre le trotskysme et le stalinisme
était l’expression théorique et politique au plus haut niveau de la lutte
de classe internationale elle-même. Le stalinisme a été responsable des
défaites de la classe ouvrière dont l’impact a duré des générations
entières. La même chose peut être dite au sujet des confrontations qui ont
opposé le mouvement marxiste aux réformistes et aux anarchistes.
Une stratégie socialiste révolutionnaire ne peut être élaborée que sur la
base d’une assimilation des leçons des luttes passées. Ce n’est que
si la classe ouvrière tire les enseignements de l’histoire et les leçons
des victoires et des défaites antérieures qu’elle sera bien préparée pour
une nouvelle période de conflit révolutionnaire. Au cœur de ces leçons se
trouve la lutte menée par la Quatrième Internationale contre le stalinisme, le
réformisme, le révisionnisme pabliste et toutes les autres formes
d’opportunisme politique. Les leçons les plus importantes du vingtième
siècle sont contenues dans cette tradition.
La LCR/NPA fait tout son possible pour couper les travailleurs et les jeunes
de cette histoire et des connaissances politiques qui doivent être tirées de
l’histoire. Elle se tourne vers une nouvelle génération qui a grandi dans
une période marquée par l’effondrement de l’Union soviétique et au
milieu d’une campagne de propagande proclamant une prétendue « faillite
du socialisme », et qui a très peu de connaissances des traditions
révolutionnaires du mouvement ouvrier. Mais la LCR/NPA ne le fait pas pour
éduquer cette génération politiquement mais pour lui inculquer le mépris de la
théorie et de l’histoire. Un tel mouvement ne peut servir que
d’obstacle au développement révolutionnaire de la classe ouvrière et de
soutien au régime bourgeois.
(1) Léon Trotsky, « Centrisme et Quatrième
Internationale », Oeuvres 20, janvier-mars 1939,
p. 237