Il y a quelques jours, le World Socialist Web Site a affiché
sur son site en langue anglaise un rapport détaillé des conférences du week-end
dernier, données par deux organisations opportunistes « de gauche »,
le Socialist Workers Party (SWP) et le Respect Renewal de George Galloway. (Voir
Britain: the
SWP and Galloway's Respect Renewal on the economic crisis)
Ces conférences ont une signification plus large en ce
qu’elles peuvent aider à comprendre les intérêts sociaux et la
trajectoire politique droitière de formations similaires de par le monde,
telles la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en France et le Parti La
gauche en Allemagne.
Malgré le conflit fractionnel existant entre le SWP et
Respect Renewal, ce qui frappe est la similarité fondamentale des approches de
ces deux partis à la crise économique du capitalisme mondial. Ces deux groupes
ont absolument à cœur de minimiser l’importance de la crise mondiale
qui a vu s’effondrer un bon nombre des principaux établissements
financiers du monde et qui menace de faillite des économies tout entières.
Ces efforts sont aussi liés à leur insistance absolue
qu’il n’y a aucune possibilité de convaincre la classe ouvrière (et
qu’aucun effort ne devrait être fait pour la convaincre) de la nécessité
d’une alternative socialiste au système capitaliste. L’unique
possibilité consiste à faire pression sur les gouvernements nationaux bourgeois
pour qu’ils mettent en place une réglementation étatique de type
keynésien de l’économie et ainsi garantissent un certain nombre de
réformes minimales qui protégeront les travailleurs des pires effets de la
récession à venir.
L’analyse de Respect Renewal et du SWP est creuse,
a-historique, passive et fait preuve d’une démoralisation totale. Aussi
grave que puisse apparaître la situation, concluent-ils, la crise économique
est gérable et le système ne va pas s’effondrer. L’idée que des
socialistes peuvent ou devraient apporter une issue différente de celle prévue
par les décideurs des gouvernements existants est balayée d’un revers de
main. Ainsi Galloway raille quiconque parle d’une
« catastrophe » confrontant le capitalisme, tandis que Chris Harman
du SWP insiste pour dire que la crise ne sera pas aussi « grave que celle
des années 1930 ».
Pour les marxistes, c’est une évidence qu’une
révolution socialiste ne peut se développer que sur la base de conditions
objectivement révolutionnaires bien définies. Néanmoins, ce n’est pas là
justifier le fatalisme politique. Il faut étudier et appréhender les conditions
objectives pour ensuite agir sur elles. Pour les marxistes, la possibilité
d’un développement révolutionnaire résultant de la crise actuelle ne peut
se comprendre en dehors du rôle actif d’un parti socialiste éduquant et
organisant la classe ouvrière, et mobilisant ses représentants les plus avancés
vers une perspective révolutionnaire.
Pour les dirigeants des groupes petits-bourgeois de gauche
il n’en est absolument pas question. L’unique acteur historique en
qui ils ont quelque confiance est la bourgeoisie. Toute initiative politique
doit être laissée entre les mains de la classe dirigeante. Ainsi, la raison
pour laquelle la crise économique actuelle ne provoquera pas de krach mondial, selon
Harman, c’est que « l’Etat va intervenir » pour
l’empêcher.
Pour justifier sa passivité et son adaptation politique à la
bourgeoisie, le SWP insiste sur le fait que la classe ouvrière n’ira
jamais au-delà de la perspective de réformer le capitalisme. La possibilité que
la force des conditions objectives, combinée aux efforts des socialistes
révolutionnaires, puisse changer l’orientation de la classe ouvrière
n’est même pas envisagée. Ceux qui luttent pour une perspective
révolutionnaire doivent être dénoncés et traités de « sectaires ».
Le dirigeant de Respect Renewal, Galloway insiste pour dire
que la gauche doit cesser de parler des « Russes morts »
(c'est-à-dire Lénine et Trotsky) tandis qu’un intervenant à la conférence
du SWP, Robin Blackburn du magazine New Left Review, insiste lui sur le fait
que la situation n’est pas la même qu’en 1917 « où personne ne
savait que faire et Lénine a levé le doigt dans le fond de la salle et dit
qu’il prendrait les choses en mains ».
La question n’est pas de savoir si la situation
actuelle est semblable à celle de 1917, année de luttes révolutionnaires de
masse en Russie. Il est clair que la situation actuelle n’est pas
semblable à celle de 1917. Mais dans les années précédant la révolution, Lénine
s’était battu sans relâche pour construire un parti socialiste
révolutionnaire, fondé sur la théorie et les principes marxistes, et en
opposition à toute forme d’opportunisme politique. Sans ce combat, il
n’y aurait jamais eu de révolution socialiste victorieuse en 1917.
Et la manière dont la crise actuelle va se développer (soit
vers la catastrophe du fascisme comme dans les années 1930, soit vers la
révolution socialiste) dépend pour une grande part de l’action des
marxistes. C’était l’idée fondamentale de Trotsky lorsqu’il
écrivit dans le document fondateur de la Quatrième Internationale, « La
crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction
révolutionnaire. »
Il n’est pas inutile de faire remarquer que la
bourgeoisie ne cherche pas à dénigrer ses personnages historiques et leurs
réalisations. Bien au contraire. Elle insiste inlassablement sur
l’importance durable d’Adam Smith. Mais les petits-bourgeois
gauchistes ne ratent jamais une occasion de dénigrer l’héritage de Marx,
Engels, Lénine et Trotsky, toujours au motif de « parler une langue que
les travailleurs comprennent » afin de s’opposer à la perspective
révolutionnaire à laquelle ces géants du socialisme sont à jamais associés.
Malgré leur rhétorique socialiste occasionnelle, des groupes
comme le SWP, les divers éléments gravitant autour de Galloway et leurs
acolytes du monde entier n’expriment pas les intérêts historiques de la
classe ouvrière. Ils sont issus d’une couche de la classe moyenne qui
dépendait fortement de l’Etat providence de l’après-guerre et qui
occupait généralement des postes universitaires ou dans le gouvernement local
et la fonction publique. Leur situation au sein de la société s’est
exprimée à travers diverses formes de politique de protestation dont le but
était d’exercer un maximum de pression sur les partis ouvriers et
syndicats bureaucratiques afin de maintenir les acquis sociaux de la période
d’après-guerre.
Ces dernières décennies ont vu l’important virage à
droite de tous ces groupes, dont le personnel dirigeant s’est depuis
longtemps intégré à l’appareil des syndicats et à l’ensemble des
cercles de la gauche officielle. Leur insistance que des réglementations de
style keynésien et diverses réformes minimales sont tout ce qu’il est
possible de faire, est liée au rôle qu’ils cherchent à présent à jouer
pour les bureaucraties ouvrières qui ont perdu l’essentiel de leur
soutien parmi la classe ouvrière.
Dans tous les pays, les anciens gauchistes sont à présent
engagés à construire des partis « de gauche élargie » qui offriront
une nouvelle base à divers réformistes, staliniens et dirigeants syndicaux qui
sont laissés en plan par le pourrissement et l’effondrement des vieux
partis. Les diverses « revendications transitoires » et
« revendications minimum » qu’ils mettent en avant sont vues
comme un moyen de restaurer les illusions des travailleurs et des jeunes sur
ces individus tellement discrédités politiquement. Ceci est, de plus, renforcé
par la proscription imposée de toute discussion des idées de Marx, Engels,
Lénine et Trotsky, et de tout ce qui pourrait mener à la formation d’une
authentique alternative socialiste.
(Article original anglais paru le 30 octobre 2008)