Le congrès du Parti socialiste français (PS) qui s’est tenu
du 14 au 16 novembre à Reims et auquel participèrent environ 4000 personnes (dont
631 délégués, 860 adhérents et environ 700 journalistes) s’est terminé dans une
complète division.
Les dirigeants de ce parti appelèrent bien nombreux à
l’unité et exercèrent bien des pressions, mais on ne put trouver une majorité
en faveur d’une « synthèse » des quatre principales motions soumises
à ce congrès à la suite d’un vote des adhérents le 6 novembre.
L’élection du premier secrétaire du parti se fera donc par
un vote à bulletin secret de tous les membres le 20 novembre. C’est la première
fois depuis le congrès de Rennes en 1990 qu’un congrès du PS se termine sans majorité.
Lors de son dernier congrès, tenu en novembre 2005 au Mans, le Parti socialiste
avait réussi à trouver une « synthèse » de dernière minute. La
direction du PS était alors divisée principalement sur la question de la
constitution européenne, une majorité du parti soutenant ce traité. La victoire
des adversaires de la constitution au cours d’un referendum qui s’était tenu
la même année avait conduit à une crise sévère de cette organisation.
La centaine de dirigeants du parti et leurs aides réunis
dans la « commission des résolutions » dans la nuit du 15 novembre ne
purent que constater leur échec à trouver un quelconque compromis capable de
conduire à une unité de dernière minute. Ségolène Royal, la candidate du PS à
la dernière élection présidentielle a claqué, non sans calcul, la porte de la
commission. Pour finir, seuls le député européen Benoit Hamon et la maire de
Lille, Martine Aubry maintinrent, outre Royal, leur candidature.
Dimanche matin, Bertrand Delanoë, le maire de Paris
expliquait qu’il n’avait pas voulu ajouter à la division et s’était donc retiré
de la course. A la fin des délibérations le premier secrétaire sortant, François
Hollande, résuma la situation en disant : « Je prends note du fait
qu’il n’y a pas de majorité aujourd’hui au parti socialiste, c’est un moment
difficile. »
Le vote du 20 novembre déterminera qui sera le prochain
premier secrétaire du Parti socialiste. Si aucun des candidats n’obtient une
majorité absolue les deux premiers se départageront lors d’un autre scrutin le
jour suivant. C’est ensuite le candidat qui aura le plus grand nombre de voix
qui l’emportera et sera le prochain dirigeant du parti. L’élection à la
direction du parti est aussi considérée comme une nomination anticipée du
candidat du PS à l’élection présidentielle de 2012. Royal parait avoir un
avantage sur ses rivaux du fait qu’elle conduit la motion ayant obtenu le plus
de voix le 6 novembre (29 pour cent).
Le congrès lui-même s’est ouvert dans la division la plus
totale. Les quatre motions présentées par Ségolène Royal, Bertrand Delanoë,
Martine Aubry et Benoit Hamon qui représente la soi-disant aile gauche, ont
chacune reçu entre un tiers (Royal) et un cinquième des voix (Hamon) aucune
n’obtenant la majorité. Une motion écologiste et une motion « utopie »
n’obtinrent qu’un soutien marginal. Aucune des fractions en lice ne représente
une opposition au capitalisme quelle qu’elle soit.
Alors que les factions qui s’étaient regroupées autour des
diverses motions en décousaient au congrès (les motions servant de toit à des
tendances et à des intérêts variés et conflictuels et à des alliances de nature
souvent très temporaire) l’atmosphère était vite devenue houleuse. On allait
des huées adressées à l’orateur de l’autre bord aux applaudissements
frénétiques pour celui qu’on défendait, chaque faction essayant, toujours au
nom de l’« unité », d’être plus adroite que l’autre, de l’intimider
ou de la forcer à accepter sa propre position.
Royal, dont l’arrivée au congrès vendredi a été marquée par
une ruée des journalistes et par des bousculades largement rapportées dans les
médias, avait déclaré être candidate juste avant le début du congrès, essayant
d’imposer ainsi son « unité » à ses trois rivaux. On parla ensuite
beaucoup d’une possible majorité autour d’un front « anti Royal »
composé d’Aubry, Delanoë et Hamon. De nombreux délégués voyaient dans cette
solution la seule manière d’obtenir, coûte que coûte, une majorité.
Ainsi que l’ont souligné les médias et les dirigeants du Parti
socialiste eux-mêmes, il n’y avait entre les diverses motions aucune différence
fondamentale ou irréconciliable. Cela fut souligné également par ceux qui présentaient
les motions au congrès, l’observateur se demandant, devant le spectacle d’antagonismes
tant venimeux que tangibles pourquoi il en était ainsi. La plupart des
journalistes, ainsi que de nombreux délégués craignant pour l’unité du PS, ont
eux décrit cet état de choses comme une infortunée et inutile « bataille
d’égos ».
S’il n’y a pas de divergences entre les diverses factions en
ce qui concerne la nécessité de défendre le capitalisme et d’empêcher la classe
ouvrière de le mettre politiquement au défi, il y a en revanche des désaccords
sur la manière de réaliser de tels objectifs. L’avenir politique du Parti
socialiste et les intérêts matériels considérables liés à des postes, élus ou
non, dépend de la capacité de ce parti à remplir cette fonction. Le PS a été, sous
sa forme actuelle, un soutien indispensable de la politique capitaliste en
France depuis le début des années 1970.
Les médias informèrent en détail sur le déroulement de ce
congrès qui fit la une des journaux français durant trois jours. Il est prévisible
que dans les conditions d’une crise économique et politique qui va
s’intensifiant et d’une radicalisation politique de la classe ouvrière, la
bourgeoisie française aura une fois de plus besoin des sociaux-démocrates au gouvernement.
Le Parti socialiste a été dans une crise visible depuis sa défaite
à l’élection présidentielle d’avril 2002. Lionel Jospin, premier ministre à
l’époque avait obtenu moins de voix que le fasciste Jean-Marie Le Pen au
premier tour. Cette humiliation avait marqué la fin de la « Gauche
plurielle », une coalition gouvernementale dirigée par le PS et comprenant
les Verts et le Parti communiste. Depuis, ce parti, bourgeois de part en part, s’est
déplacé rapidement vers la droite.
Après la défaite à l’élection présidentielle de 2007, un
nombre appréciable des dirigeants du PS ont soit rejoint le gouvernent Sarkozy,
soit collaboré avec lui au sein de l’une ou de l’autre « commission »,
comme l’ancien ministre de l’Education Jack Lang (qui soutient Aubry) ou
l’ancien Primer Ministre Michel Rocard (qui soutien Delanoë), tous deux présents
aux congrès. Cette collaboration ouverte avec l’actuel gouvernement
conservateur ne fut même pas mentionnée et encore moins débattue durant ce
congrès.
Une expression de la crise où se trouve ce parti est le fait
que seuls 126 000 adhérents (55,38 pour cent) ont voté sur les motions
présentées le 6 novembre.
Le Parti socialiste français se trouve a présent coincé
entre l’UMP de Sarkozy (qui depuis l’éclatement de la crise financière a adopté
un cours d’intervention étatique destiné à défendre les intérêts du capital
financier français contre ses rivaux au niveau international) et le Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA) des pablistes, qui a lui, pour objectif de donner une
base plus « radicale » à la « gauche » politique et à la bureaucratie
syndicale. Jusqu’ici, ce rôle avait été joué par le Parti socialiste et son
proche allié, le Parti communiste.
Une réaction à cette situation a été la scission juste avant
le congrès d’une faction dirigée par le sénateur PS Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci
a immédiatement proposé une collaboration au NPA dans la prochaine élection européenne.
Les différentes motions mises au vote avant le congrès
indiquent un certain nombre de divergences de nature toute tactique. Il s’agit
de divergences sur des alliances avec d’autres partis bourgeois, en particulier
sur une coalition au niveau national avec le Modem (Mouvement démocratique) de François
Bayrou et de l’attitude à prendre envers d’autres partis de la
« gauche », tels que le Parti communiste stalinien et la pseudo
trotskiste Lutte ouvrière.
De telles alliances ont déjà eu lieu dans diverses régions
lors des dernières élections municipales et ont été soutenues par tous les
camps en présence au congrès. Certains, comme Delanoë et Aubry, préconisent une
alliance traditionnelle avec les staliniens et la bureaucratie syndicale,
d’autres comme Royal, une alliance avec le politicien libéral Bayrou. D’autres encore,
comme Hamon, laissent la porte ouverte à une alliance avec l’ensemble de la gauche
(y compris le NPA).
Il existe aussi des divergences sur l’Europe et le rôle de
l’Union européenne ainsi que sur la réponse à apporter à la crise économique et
financière. La plupart des motions préconisent une réglementation renforcée des
marchés financiers. Pour des raisons qui lui sont propres, le groupe
parlementaire socialiste s’est récemment abstenu lors du vote sur le plan de
sauvetage du gouvernement pour les banques. Toutes les tendances proposent à présent
un degré ou un autre de réforme du système capitaliste. Ces propositions ne
sont pas différentes de ce qui se discute actuellement dans l’UMP ou dans le
Modem.
La principale pomme de discorde aux congrès a cependant été
la marche future du parti. Ce conflit s’est manifesté en condensé dans la
candidature de Royal au poste de premier secrétaire et dans la réaction hostile
mais divisée des autres tendances. Sous les mots d’ordre de « plus de démocratie »
et d’un « renouveau du parti », Royal fait campagne pour transformer
le Parti socialiste en une organisation populiste tournant autour de sa
personne. Elle cherche à construire une machine électorale sur le modèle du
parti démocrate aux Etats-Unis, s’appuyant sur des supporters qu’on mobilise
pour de grands meetings, au lieu d’un parti basé sur une structure telle que
celle du Parti socialiste. Cette ligne se heurte à la forte résistance d’un nombre
important de ceux qui ont dirigé le PS ces trois dernières décennies.
Royal et sa faction ont poursuivi cette ligne depuis la
campagne de l’élection présidentielle de 2007. Son camp a profité de la désunion
qui régnait alors dans la direction du PS pour faire passer sa candidature.
Dans le discours qu’elle a prononcé au congrès et qui
consistait en un mélange de démagogie et de pression sur les autres factions,
elle souligna le besoin de permettre à la base du parti et avant tout « au
peuple français » de décider. Elle parla de « l’ouverture du parti
aux masses » et de « la transformation de notre parti en un grand
parti populaire ». Une de ses principales propositions, provoquant les
applaudissements frénétiques d’une partie de l’auditoire, a été de soumettre la
question des alliances à un vote direct des « militants » (les
adhérents) et d’ouvrir le parti à quiconque voudrait bien payer la cotisation réduite
de 20 euros.
Royal souligna que ce qui était requis en France contre
Sarkozy, c’était une « lutte de tous les républicains ». Elle demanda
de façon ironique aux autres factions si un « autre front populaire »
ne les tentait pas. Elle pressa le congrès, de façon démagogique, de s’unir derrière
elle, disant que « le temps que nous gaspillons en joutes dérisoires, lui,
le malheur le met à profit et il prospère ».
Sa ligne se heurta à une forte opposition d’une partie du
PS, telles les forces qui se trouvent derrière Aubry et Hamon, qui craignent
qu’elle ne conduise à une dissolution de l’appareil et ne lui aliène tout vestige
de soutien dans l’électorat ouvrier. Pour ces gens, elle signifierait aussi la
fin du Parti socialiste tel qu’il existe depuis 1971.
Il y a une véritable inquiétude au sein de cette partie du
PS, proche de la bureaucratie syndicale, que le chemin proposé par Royal ne
ruine sa chance de maintenir une influence quelconque dans la classe ouvrière
et par conséquent n’empêche ce parti de jouer le rôle qu’il joue le mieux :
celui de se poser en alternative de gauche aux partis bourgeois traditionnels
afin d’étrangler les luttes de la classe ouvrière.
Il y a aussi l’inquiétude dans les médias et parmi les délégués
que l’échec à parvenir à un accord au congrès de Reims conduira à une fracture irréversible
dans le parti. Certains considèrent l’éclatement du Parti socialiste comme tout
à fait possible dans un avenir prochain.
Une des choses frappantes de ce congrès fut que, malgré toutes
les joutes spectaculaires, il ne put y avoir aucune discussion de la part des
factions en lutte sur des questions politiques. Les formules codées prononcées
dans tous les discours avaient pour seule fonction d’appuyer le maquignonnage
ouvert entre factions et la compétition intense à propos des postes. Pas une
seule question politique ou sociale ne fut soulevée et encore moins débattue le
temps que dura ce congrès.
Tout fut fait pour empêcher la véritable politique du Parti
socialiste d’être révélée et reconnue, car toute discussion politique menée au
grand jour aurait rapidement mis à jour le caractère totalement droitier de
cette organisation.
(Article original anglais paru le 18 novembre 2008)