Le sommet du G20 qui se tient aujourd’hui à Washington
se déroule durant la pire crise économique et financière que le monde ait connue
depuis la Grande Dépression des années 1930. Mais, indépendamment des paroles
creuses sur la nécessité d’un nouveau Bretton Woods et des appels en
faveur d’une restructuration du système financier international, le
sommet n’apportera aucune solution à la crise qui est en train de s’aggraver
rapidement. Bien au contraire, en l’absence de tout programme cohérent,
il se peut que les divisions entre les principales puissances capitalistes
s’accentuent.
Le sommet qui avait été convoqué le mois dernier, à
l’instigation du président américain sortant George W. Bush, rassemble
les dirigeants du G8, de l’Australie, de l’Union européenne ainsi
que des pays que l’on dit émergents, l’Inde, la Chine, le Brésil,
le Mexique, l’Argentine, la Turquie, l’Indonésie, l’Arabie
saoudite, l’Afrique du Sud. Tous ensemble, ils représentent 90 pour cent
du produit intérieur brut mondial.
Avant le sommet, le premier ministre britannique, Gordon
Brown, avait dit qu’il devait être un « moment décisif » pour
l’économie mondiale et offrir l’occasion d’un « nouveau
Bretton Woods », à savoir, l’équivalent de la conférence tenue en
juillet 1944 et qui avait jeté les bases de l’ordre économique
d’après-guerre suite à la dévastation économique des années 1930.
Le président français, Nicolas Sarkozy, qui est actuellement
le président de l’UE, a souligné le besoin de « changer les règles
du jeu du système financier mondial » et la nécessité d’une autre
conférence au printemps afin de concrétiser les accords conclus à Washington.
Les perspectives réelles qu’offre le sommet ont toutefois
été plus justement énoncées dans un article du journal britannique Independent :
« Ce que nous avons, c’est un sommet sans ordre du jour, sur une
crise dont on ne parvient pas à convenir de la cause, dans un pays dont le
gouvernement n’est pas en état de marche. »
Les divergences sont manifestes. Le gouvernement Bush est
opposé à tout système de régulation internationale. Dans un discours prononcé
jeudi, Bush a déclaré que l’histoire avait montré que le plus grand
danger n’était pas trop peu d’intervention gouvernementale
sur le marché mais trop d’intervention alors que certaines
puissances européennes, la France notamment, préconisent davantage
d’intervention. S’exprimant à l’issue de la réunion au Brésil
des ministres des finances du G20, la ministre française de l’Economie et
des Finances, Christine Lagarde, a déclaré : « Nous voyons des
frictions entre le capitalisme anglo-américain d’une part et le
capitalisme de type européen de l’autre. »
Avant la conférence, le directeur général du Fonds monétaire
international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a signalé qu’il ne fallait
pas nourrir trop d’illusions quant à un nouveau Bretton Woods. « Il
ne faudrait pas nourrir des attentes trop élevées », a-t-il précisé dans
une interview au Financial Times. « Beaucoup de gens parlent
d’un Bretton Woods II. Ça sonne bien mais nous n’allons pas créer
un nouveau traité international. »
Strauss-Kahn a même émis des doutes quant aux propositions
soutenues entre autres par Brown pour un système d’avertissement précoce
administré par le FMI afin d’éviter une future crise mondiale. « Je
ne pense pas qu’on puisse avoir un système mécanique avec des lumières
rouges et des lumières vertes et que parfois, pays par pays, les lumières
passeraient du vert au rouge », a-t-il dit.
Un simple coup d’œil sur l’histoire du G20
suffit à dissiper toute idée fausse sur la capacité de cette organisation à
résoudre le problème de la crise économique mondiale. L’organisation fut
créée en septembre 1999 suite à la crise financière asiatique de 1997-98. Dans
le sillage de cette catastrophe qui avait entraîné la perte de 10 pour cent du
produit intérieur brut d’un certain nombre de pays d’Asie du Sud-est
et qui avait mené au défaut de paiement de la Russie en août 1998, l’on avait
beaucoup parlé de la nécessité de la mise en place d’une « nouvelle
architecture financière. »
Cela n’avait débouché sur rien. Au lieu de prendre des
mesures pour résoudre l’instabilité croissante du système financier international,
la Banque fédérale américaine augmenta entre 2001 et 2004, le flux de crédit du
système financier américain en réduisant toujours davantage les taux
d’intérêt, créant de ce fait les conditions pour une bulle immobilière et
la crise financière qui s’ensuivit. Quant au G20, son impact a été si
faible depuis sa création il y a neuf ans que le mois dernier lors d’une
conversation téléphonique avec le premier ministre australien, Kevin Rudd, Bush
lui aurait demandé ce que c’était.
Adopter une vision historique plus longue, en revenant sur
la conférence de Bretton Woods de 1944 et au-delà, souligne encore plus
l’incapacité du sommet du G20 ou de tout autre groupe d’établir une
architecture financière mondiale solide.
La différence fondamentale entre la situation actuelle et
celle de juillet 1944 est la position des Etats-Unis. A l’époque, avec la
victoire de la Deuxième Guerre mondiale se profilant à l’horizon, les
Etats-Unis se trouvaient au sommet de leur puissance mondiale. Leur industrie
tournant à plein régime, ils étaient en mesure de recourir à leur suprématie
économique pour imposer les changements dont l’ordre économique mondial avait
besoin pour surmonter la catastrophe survenue durant la décennie précédente.
Le principal changement fut la création d’un système monétaire
stable, fixant le prix du dollar américain en or à 35 dollars l’once
d’or afin d’éviter le type de dévaluation et de protectionnisme qui
avaient contribué à aggraver la Grande Dépression.
La stabilité monétaire alla de pair avec un système de
régulation par lequel les gouvernements étaient en mesure de protéger leurs
économies de l’impact des grands flux internationaux de capitaux. Pour
reprendre les termes du secrétaire américain au Trésor, Henry Morgenthau, dans
son discours de clôture, l’un des objectifs des nouvelles mesures était
de limiter le pouvoir des banquiers privés et de « chasser les usuriers prêteurs
d’argent du temple de la finance internationale. » Ou bien, comme
l’avait dit John Maynard Keynes, l’un des deux principaux
architectes de l’accord et qui dirigeait la délégation britannique à
Bretton Woods, « Le projet accorde à chaque gouvernement membre le droit
explicite de contrôler tous les mouvements de capitaux non pas comme une simple
mesure de transition, mais comme un règlement permanent. Ce qui était jadis une
hérésie est devenue à présent une orthodoxie. »
Le système de Bretton Woods posa les fondements de
l’expansion économique d’après-guerre. Mais il ne surmonta pas les
contradictions du capitalisme mondial qui commencèrent à s’imposer à
nouveau au début des années 1970. En août 1971, le président américain Richard
Nixon résiliait la convertibilité en or du dollar américain et en 1973 le
système fondé sur les taux de change fixes établi par Bretton Woods était
remplacé par un système de taux de change flottant.
Durant ces 35 dernières années, il s’est développé un
système financier mondial dans lequel des billions de dollars parcourent tous
les jours les marchés en échappant à tout contrôle de gouvernements, de groupes
de gouvernements ou d’autorités financières.
Le changement le plus significatif est le déclin de la
puissance économique des Etats-Unis et dont la présente crise mondiale est
l’expression. A l’époque de Bretton Woods, les noms de General
Motors et de Ford étaient synonymes de suprématie économique américaine.
Aujourd’hui, ils sont en quête d’une bouée de sauvetage financière
de la part du gouvernement.
La conférence de Bretton Woods avait pour but de mettre fin
aux conflits économiques des années 1930 qui avaient conduit directement à la
guerre. Aujourd’hui, la réunion a lieu dans des conditions où les
tensions économiques entre les grandes puissances ne cessent de
s’intensifier.
L’une des raisons de l’absence du président élu,
Barack Obama, n’est pas que les Américains n’ont « qu’un
seul président à la fois », mais que le nouveau gouvernement tient à avoir
les coudées franches pour promouvoir la position américaine dans une situation
où les conditions économiques ne cessent de se détériorer.
La conférence de ce week-end rappelle moins Bretton Woods
que la Conférence économique mondiale de Londres en 1933. Organisée afin de convenir
d’une réponse commune à la Grande Dépression, elle échoua pour cause de
rivalités entre principales puissances et fut ajournée sans qu’un accord
soit trouvé. La guerre devait éclater six ans plus tard.