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Elections canadiennes

Les débats des chefs : Pas de solution progressiste à la crise économique

Par Keith Jones
11 octobre 2008

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La crise financière aux Etats-Unis et l’imminente récession nord-américaine furent au centre des débats télévisés, diffusés la semaine dernière en français et en anglais, entre les chefs des cinq principaux partis se présentant à l’élection fédérale du Canada le 14 octobre.

Le premier ministre conservateur Stephen Harper a tenté de minimiser l’importance de l’effondrement financier sur Wall Street. Adoptant une posture calme et paternelle, il a avancé que le Canada est essentiellement isolé des convulsions du capitalisme mondial, même si ces convulsions proviennent du pays qui absorbe trois quarts des exportations du Canada et qui soutient depuis des décennies le système financier mondial.

 « Le Canada n’est pas les Etats-Unis », a déclaré Harper au début du débat francophone de mercredi. « La situation est très différente. Les bases de notre économie sont solides… Nous ne sommes pas en crise. »

En dépit des commentaires de Harper, l’indice composé du Toronto Stock Exchange a dégringolé de 813, ou 7 pour cent, le jour suivant, soit la deuxième chute du genre dans la même semaine. Au même moment, on continue de divulguer des informations dans les pages de la presse financière canadienne sur l’étendue des interventions du gouvernement, de la Banque du Canada et de diverses agences de règlementation pour fournir du crédit aux grandes banques du pays et les soutenir financièrement, et particulièrement au cours des deux derniers mois.

Lors du débat anglophone de jeudi dernier, Harper a abordé plus vigoureusement la question de la crise financière aux Etats-Unis, mais afin de mieux souligner le prétendu contraste avec le Canada : « Le désordre économique et financier aux Etats-Unis est désastreux; les politiques ont été irresponsables. Nous avons fait des choix très différents au Canada. Nous ne renflouons pas des entreprises… »

Tout en minimisant la crise économique, Harper a dénoncé, comme il l’a fait durant toute la campagne, les autres partis qui défendent des changements « risqués » au régime de taxation et des propositions de dépenses — à vrai dire, de modestes augmentations dans les dépenses.

Les chefs du Parti libéral, du social-démocrate Nouveau Parti démocrate (NPD), de l’indépendantiste Bloc québécois et du Parti vert ont tous attaqué Harper pour sa croyance, à la George W. Bush, que la main invisible du marché va résoudre tous les problèmes socioéconomiques.

Mais tous les quatre ont démontré qu’ils étaient, tout autant que Harper, d’implacables défenseurs du capitalisme, un ordre social dans lequel les besoins sociaux fondamentaux sont subordonnés à l’impératif des profits de la grande entreprise. Ils demandent tout au plus une augmentation de la règlementation gouvernementale dans le secteur financier, un plus grand soutien de l’Etat pour les grandes compagnies de l’automobile et d’autres manufacturiers, ainsi que des mesures protectionnistes visant à améliorer la position de la grande entreprise canadienne dans la lutte pour les marchés et les profits.

Malgré leurs assertions qu’il existe une différence idéologique marquée entre eux et Harper, aucun d’entre eux n’a même été prêt à défier la litanie néolibérale du budget sans déficit. Le chef libéral Stéphane Dion et Jack Layton du NPD se sont engagés à laisser tomber, si nécessaire, leurs promesses électorales d’augmenter les dépenses sociales afin d’assurer un budget fédéral équilibré. Quant à lui, Gilles Duceppe du BQ s’est vanté que son parti défend depuis longtemps l’idée d’une loi « anti-déficit ».

Dion a condamné, comme s’il s’agissait d’une mesure socialiste, la proposition du NPD visant à annuler le plan des conservateurs sur la réduction des impôts aux entreprises de 50 milliards $ au cours des quatre prochaines années. Mais Layton ne propose que de ramener le taux d’imposition des entreprises qu’au niveau atteint par les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et Paul Martin en 2006. Un gouvernement du NPD laisserait en place les baisses de taxes massives sur les gains en capital et les revenus des particuliers imposées par les gouvernements libéral et conservateur. Ces baisses de taxes ont presque transformé le système progressif d’imposition à un système à taux unique, entraînant ainsi un énorme transfert de richesse vers les sections les plus privilégiées de la société.

Elizabeth May, la toute première représentante du Parti vert à participer à un débat des chefs du Canada, a répété les paroles de Dion selon lesquelles la réduction de la consommation des combustibles fossiles et la promotion de « technologies vertes » par le gouvernement rendraient les entreprises canadiennes plus compétitives. May a cité avec grand enthousiasme l’ancien président américain Bill Clinton en clamant que l’environnement était la plus grande opportunité d’affaires de tous les temps.

Lorsqu’un auditeur du débat francophone, après avoir souligné les énormes profits qu’engrangeaient les grandes compagnies pétrolières, demanda si certains des partis seraient prêts à nationaliser l’industrie pétrolière, les chefs s’empressèrent de se distancer d’une telle proposition « radicale ». Dion n’a même pas pris la peine de répondre à la question. Layton, Duceppe et May, qui critiquent tous le gouvernement Harper pour ses liens étroits avec l’industrie du pétrole de l’Alberta, l’ont catégoriquement rejetée.

Pourquoi Harper ment

 

Avant les débats, le premier ministre conservateur Stephen Harper a demandé et obtenu une modification au format des débats pour permettre plus de discussions sur l’économie. Cela est en lien avec la stratégie électorale contradictoire des conservateurs, qui a tenté de vendre Harper comme étant le choix modéré et prudent pour diriger le Canada pendant une période  économique turbulente, tout en prétendant simultanément que l’impact de la crise financière américaine sur le Canada sera limité.

 

En tant qu’économiste de formation, Harper sait très bien que le capitalisme confronte actuellement sa plus grande crise depuis la Grande Dépression. Mais, il n’est pas du tout disposé à énoncer les implications de la crise, parce qu’il reconnaît que pour soutenir la position déclinante de la grande entreprise canadienne, le prochain gouvernement sera contraint à prendre des mesures draconiennes et impopulaires, pendant que les entreprises vont elles-mêmes couper dans les emplois et les salaires. Pour les mêmes raisons, il calcule que le Canada des grandes entreprises se ralliera derrière la poussée des conservateurs en faveur d’un gouvernement majoritaire, vu qu’un gouvernement qui est assuré de ne pas retourner en élection pour un autre cinq ans sera davantage isolé de l’opinion publique.

 

Mais, la position des conservateurs est tellement un mensonge flagrant — tellement déphasée par rapport aux titres des quotidiens qui annonce que la crise de Wall Street est maintenant en train d’engouffrer les principales institutions financières européennes et que l’économie nord-américaine est entrée en récession — que des sections de l’élite économique canadienne sont inquiètes qu’elle puisse donner à réfléchir aux électeurs.

 

Vendredi, le Globe and Mail, la voix traditionnelle de Bay Street, a réprimandé le premier ministre dans un éditorial intitulé « Ce n’est pas du leadership : le Canada doit accepter la vérité sur l’économie. » Le Globe a mis en garde que les affirmations roses de Harper « commencent à être moins efficaces. … Il a tort de penser, s’il le pense vraiment, que la contagion aux Etats-Unis ne va pas nous affaiblir au Canada. » Après avoir expliqué que les gouvernements en Europe sont en train de formuler des plans d’urgence afin de contenir l’hémorragie du système financier, le Globe observa que le seul pays qui « n’est même pas dans la partie est le voisin le plus près des Etats-Unis et le plus grand partenaire commercial des Etats-Unis. »

 

Dans une tentative de raviver la faible campagne des libéraux, Dion a annoncé, au début du débat en français, que son parti a un « plan en cinq point » pour faire face à l’urgence économique. Hormis l’implantation accélérée des propositions des libéraux pour augmenter les dépenses sur les infrastructures publiques, le plan est à peine plus qu’une série de rapports sur la situation économique et les règlementations du monde de la finance et des réunions parmi les hauts dirigeants.

 

En réponse aux questions des journalistes, le critique libéral en matière de finance, John McCallum, a expliqué que les libéraux avaient l’intention de générer le type de consensus dans l’establishment que le gouvernement Chrétien avait développé au milieu des années 1990 sur la nécessité d’éliminer le déficit du budget fédéral — un consensus qui s’était rapidement transféré dans les plus grandes coupes de dépenses publiques de l’histoire canadienne, incluant des coupes massives dans les transferts aux provinces qui financent les soins de santé, l’éducation post-secondaire et l’aide sociale ainsi que le pillage du programme d’assurance-chômage.

 

En réponse à la crise économique qui s’aggrave, les libéraux ont régulièrement attaqué les conservateurs de la droite. Ils argumentent qu’un gouvernement libéral implanterait de plus grandes coupes d’impôts aux particuliers et aux entreprises que les conservateurs et ils contrastent le passé de coupures budgétaires — et d’impôts — des gouvernements Chrétien-Martin avec les politiques fiscales « imprudentes » de Harper.

 

Les libéraux, tout comme le NPD et le BQ, ont défendu les récriminations de sections de la grande entreprise en Ontario et au Québec selon lesquelles le gouvernement Harper n’a pas mobilisé agressivement les ressources de l’Etat pour les aider à résister à l’impact grandissant de la compétition étrangère et de la montée de la valeur du dollar canadien. « Nous avons un plan pour le secteur manufacturier » a déclaré Dion « pour investir dans celui-ci, pour attirer des investissements de partout dans le monde ». À l’inverse, a dit Dion, les conservateurs « ont cette approche de laissez-faire » et disent « ce n’est pas notre boulot de choisir entre les gagnants et les perdants », et ils cèdent aux « gouverneurs des Etats-Unis et de partout dans le monde » l’avantage dans la quête des investissements.

 

L’affirmation de Dion selon laquelle son parti est séparé des conservateurs par un grand gouffre idéologique fut niée par Layton, qui a fait le point évident que les Libéraux ont voté en faveur du gouvernement conservateur minoritaire de Harper à plus de 40 occasions. Dion n’avait littéralement aucune réponse à donner.

Le chef du NPD a mis l’emphase sur son appel à l’annulation des coupes d’impôts pour les entreprises des conservateurs et s’est présenté comme un chef qui répondrait aux inquiétudes des canadiens ordinaires et non de celles de la grande entreprise.

Le NPD tente de gagner des votes en se présentant comme le parti qui peut protéger les travailleurs de la catastrophe économique imminente. Le bilan du NPD montre toutefois qu’il ferait exactement le contraire. Les gouvernements du NPD du début des années 1990, en Ontario, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, lors d’un ralentissement de l’économie canadienne, se sont rapidement prosternés devant la grande entreprise qui exigea que ces derniers renoncent à leurs propositions de réformes modestes et imposent des coupes massives dans les dépenses sociales, d’importantes hausses de taxes, et qu’ils attaquent les droits des ouvriers.

Duceppe a demandé aux Québécois qu’ils se rallient autour du BQ, la seule manière selon lui d’empêcher les conservateurs de Harper, qu’il accuse favoriser les intérêts de l’industrie pétrolière albertaine aux entreprises manufacturières du Québec, de former un gouvernement majoritaire. Mais tout comme les libéraux, le BQ a collaboré ouvertement avec le gouvernement minoritaire conservateur dans le dernier parlement. De plus, le BQ préfère la réélection des conservateurs plutôt que l’arrivée au pouvoir des libéraux, car le plan des conservateurs qui visent à miner la capacité de mettre en place de nouveaux programmes sociaux vient rejoindre les objectifs du Bloc québécois de renforcer l’appareil d’Etat du Québec.

Le Canada et la guerre en Afghanistan

Les deux principaux partis de la grande entreprise canadienne, les conservateurs et les libéraux, se sont alliés plus tôt cette année pour forcer une prolongation de la mission de premier plan des Forces armées canadiennes (FAC) dans la guerre en Afghanistan jusqu’à la fin de 2011.

Le NPD avait d’abord appuyé le déploiement des troupes canadiennes à Kandahar mais a changé de position vers la fin de 2006. Cependant, le NPD a tout fait pour exprimer son soutien pour le gouvernement fantoche des Etats-Unis, celui de Hamid Karzaï, et il affirme explicitement dans la plateforme du parti qu’il souhaite voir participer les FAC à des missions « de paix » de l’ONU, l’euphémisme employé pour justifier la Guerre du Golfe de 1991 et l’actuelle mission de l’OTAN en Afghanistan qui a été autorisée par l’ONU. Layton a refusé de faire de la guerre un enjeu dans sa campagne par crainte que cela vienne nuire aux efforts du NPD de se présenter comme un parti de l’establishment « responsable ».

L’élément le plus significatif à avoir été exprimé durant les sections des débats consacrées à la guerre en Afghanistan et à la politique étrangère du Canada fut que, pour la première fois, Harper ait qualifié la guerre en Irak d’« erreur », et ait ajouté, malgré sa propre position en faveur de la participation du Canada dans l’invasion de l’Irak en 2003 et son enthousiasme à utiliser les FAC comme un outil pour projeter la puissance du Canada sur la scène mondiale, que s’il avait été premier ministre lors du déclenchement de la guerre les troupes canadiennes ne seraient pas déployées en Irak.

Harper a fait ces remarques tout juste après que les libéraux aient révélé que la majeure partie du discours parlementaire qu’il avait prononcé en mars 2003, appelant à une participation canadienne à la guerre en Irak, avait été copié mot pour mot d’un discours parlementaire du  premier ministre australien et proche allié de Bush, John Howard.

Les mensonges et les euphémismes de Harper sur cette question montrent que ce dernier est conscient de l’immense haine populaire face à l’administration Bush et la guerre en Irak. Mais comme pour de nombreuses autres questions, la véritable position de l’élite canadienne est bien différente de la posture publique adoptée par ses partis. Bien qu’il soit vrai que le gouvernement libéral de Jean Chrétien se soit désisté à la dernière minute d’une participation officielle à la guerre en Irak, l’ambassadeur américain au Canada a par la suite avoué que le Canada en avait fait bien plus pour soutenir l’invasion américaine illégale de l’Irak que beaucoup de membres de la « coalition des volontaires ».

Il n’est donc pas surprenant que l’Etat canadien déporte des objecteurs de conscience pour qu’ils soient punis par l’armée américaine comme des « déserteurs ».

Les commentaires de Harper étaient en réponse à une question de Duceppe qui, comme Barack Obama, fait la promotion de la guerre en Afghanistan comme une « guerre noble » pour tenter de faire contraste avec la guerre en Irak. En vérité, les deux guerres ont été déclenchées par les Etats-Unis afin de prendre une position militaire stratégique dans deux importantes régions productrices de pétrole du monde.

Tous les cinq partis répondent aux intérêts de la grande entreprise canadienne. De la même manière qu’ils vont exécuter les ordres de l’élite corporative en imposant le fardeau de la crise économique à la classe ouvrière, ils vont, peu importe leurs promesses électorales, aider la bourgeoisie canadienne à raviver le militarisme et avancer ses intérêts prédateurs sur la scène mondiale pour réagir à la réémergence des antagonismes .

(Article original anglais paru le 4 octobre 2008)

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