La réponse des bourses européennes au sommet de crise qui s’est tenu
samedi à Paris ne pouvait être plus claire. Lundi les valeurs chutaient dans
toutes les bourses d’Europe.
L’indice DAX de la bourse de Francfort a perdu 7 pour cent, le TecDax
11 pour cent, le FTSE 100 (Londres) 8 pour cent et le CAC 40 (Paris) 9 pour
cent. En Islande, les transactions sur les valeurs financières ont même été suspendues.
Après la nationalisation de la troisième plus grande banque du pays, le
gouvernement risque de se trouver au bord de la faillite.
Les chefs d’Etat de quatre membres européens du G8, France, Allemagne,
Grande-Bretagne et Italie, se sont rencontrés samedi à Paris pour discuter
d’une action commune afin de combattre la crise financière. Le bilan du
sommet fut décevant.
Les dirigeants rassemblés à Paris sont tombés d’accord pour que chaque
Etat membre prenne ses responsabilités au niveau national. Suite à
l’opposition allemande, la proposition pour la création d’un fonds
commun de sauvetage à l’image du plan Paulson aux Etats-Unis ne figura pas
à l’ordre du jour du sommet.
En fin de semaine, une série d’événements a clairement montré à quel
point l’Europe et tout particulièrement l’Allemagne a été frappée
par les remous financiers internationaux.
Le plan de sauvetage établi il y a une semaine par le gouvernement allemand
de nombreuses banques pour secourir la deuxième plus grande banque allemande
spécialisée dans le financement immobilier, Hypo Real Estate (HRE), a échoué
samedi. La Banque centrale allemande (Bundesbank) et des banques privées
avaient projeté d’accorder 35 milliards d’euros à HRE pour
renflouer cette entreprise au bilan de 400 milliards d’euros et cotée à
l’indice DAX allemand. Quant au gouvernement allemand, il a décidé
d’apporter une garantie des dépôts bancaires à hauteur de 26,5 milliards
d’euros financés avec l’argent des contribuables.
Samedi, les banques privées avaient annoncé leur retrait du plan de sauvetage
après que les difficultés financières de la HRE s’eurent avérées être
bien supérieures à ce qu’il avait été dit initialement. Pour cette année,
les pertes de la banque sont évaluées entre 50 et 60 milliards d’euros et
elles pourraient grimper à plus de 100 milliards d’euros l’année
prochaine.
Les banques n’avaient informé le gouvernement allemand ni de leurs
nouvelles évaluations des difficultés financières de la HRE ni de leur
intention de se retirer du plan de sauvetage. Les dirigeants gouvernementaux en
colère ont pris connaissance de la situation par un communiqué de presse de la
HRE.
Pour ses nouveaux problèmes, la HRE chercha à faire porter le blâme au
ministre des Finances allemand, Peer Steinbrück (Parti social-démocrate
allemand, SPD), parce qu’il avait parlé d’une « liquidation »
de la banque. Manifestement, les banques ont essayé de faire pression sur le
gouvernement pour qu’il engage davantage de fonds public dans le plan de
sauvetage.
Dimanche, d’autres pourparlers de crise ont eu lieu pour établir un
nouveau plan de sauvetage pour la HRE. Le gouvernement a pris la situation tellement
au sérieux que la chancelière Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate, CDU)
et le ministre des Finances Steinbrück décidèrent de tenir une conférence de presse
conjointe pour annoncer que le gouvernement fournirait la garantie pour tous
les dépôts privés en Allemagne. « Les comptes d’épargne des
épargnants sont sûrs, le gouvernement fédéral s’en porte garant, » a
déclaré Merkel.
La déclaration de garantie a un double but : apaiser la colère de l’opinion
publique contre la décision du gouvernement de débloquer des milliards
d’euros pour couvrir les pertes spéculatives des banques dans des
conditions où les petits épargnants risquent de perdre leurs économies et
prévenir une ruée bancaire comme celle qui eut lieu en Allemagne en 1931.
Le sérieux avec lequel le milieu dirigeant juge la situation fut révélé dans
les commentaires du ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble, (CDU).
Dans le dernier numéro de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel,
Schäuble a fait le parallèle avec la crise économique dans les années 1920 et
1930 en mettant en garde qu’« Une telle crise économique pourrait entraîner
un incroyable danger pour toute la société. Les conséquences de cette
dépression étaient Hitler et, indirectement, la Seconde Guerre mondiale et
Auschwitz. »
Au lieu de calmer la situation, la promesse du gouvernement de garantir les
dépôts bancaires privés a renforcé les craintes car révélant l’ampleur de
la crise. Le gouvernement allemand s’est engagé à couvrir un montant
quasi illimité. Selon les données du gouvernement, la garantie inclura des
avoirs bancaires d’une valeur de 568 milliards d’euros, c’est-à-dire
deux fois le budget fédéral annuel. Selon certaines évaluations, les
différentes formes de placements financiers s’élèveraient à 4,5 billions
d’euros.
Spiegel Online a fait le commentaire suivant : « Merkel et
Cie n’ont plus les moyens de surpasser les promesses faites aux
épargnants. Il n’y a plus de réserves en cas d’effondrement du
système financier allemand… si l’Etat était effectivement obligé de
compenser les pertes dépassant les dépôts garantis à hauteur de 20 000
euros des particuliers et le fonds de garantie de dépôts des banques privées,
alors la dette publique continuera de croître des années durant, les opérations
d’investissement baisseront et les systèmes de protection sociale seront encore
davantage pénalisés. »
La garantie du gouvernement allemand a été fortement critiquée par les
autres capitales européennes, notamment Londres. Au sommet de Paris, le
gouvernement irlandais fut critiqué pour avoir mis en place une garantie
identique sur les dépôts de six grandes banques irlandaises. Maintenant, le
gouvernement allemand fait la même chose.
Le journal Guardian a décrit « la colère » qu’ont
provoquée les démarches de Merkel. Le journal a dit : « Les
responsables britanniques étaient furieux contre Merkel. Ils ont dit
qu’elle n’avait nullement fait allusion à cette démarche samedi au
sommet de Paris qui était censé coordonner la réaction à la crise
économique. » Le journal a cité un expert financier qui a déclaré,
« C’est chacun pour soi dans une Europe unifiée. »
Le quotidien Daily Mail a cité un « responsable britannique en
colère » qui a déclaré : « Merkel avait été d’accord pour qu’on
travaille tous ensemble, puis elle a pris l’avion pour rentrer chez elle et
faire son truc à elle. »
Dans la nuit de dimanche, le gouvernement allemand et les banques se sont
finalement mis d’accord pour adopter un nouveau plan de sauvetage de la
HRE. Aux 35 milliards d’euros déjà prévus, le secteur financier
contribuera un crédit de 15 milliards d’euros supplémentaires sans
augmenter la garantie de 26,5 milliards d’euros financés par
l’Etat.
Le gouvernement a justifié le plan de sauvetage en se référant aux
« conséquences imprévisibles » qu’entraînerait la faillite de
la HRE. Merkel a précisé qu’il était indispensable de recourir à
l’argent du contribuable pour sauver la banque, car autrement « les
dommages seraient importants non seulement pour la République fédérale d’Allemagne,
mais aussi pour nombre de services financiers avec lesquels nous avons des
liens en Europe. »
Malgré le nouveau plan de sauvetage, les valeurs de la HRE ont plongé lundi
de 37 pour cent. Les banques réclamèrent davantage de fonds public.
L’Association des caisses d’épargne et organismes de virement,
Deutscher Sparkassen- und Giroverband, DSGV) a demandé à ce que le gouvernement
« déploie un parapluie pour protéger l’ensemble du secteur
bancaire. » Spiegel Online a cité un banquier qui a dit que la
solution du cas par cas ne résoudrait pas le problème. « Nous
n’avons jamais regardé dans un gouffre aussi profond, » a-t-il dit.
Le quasi-effondrement de la HRE n’est que la partie visible de
l’iceberg. La banque immobilière a été entraînée dans la crise via sa
filiale Deutsche Pfandbriefbank (Depfa) qu’elle avait rachetée
l’année dernière pour 5,7 milliards d’euros. Le patron de
l’époque de Depfa, Gerhard Bruckermann, avait bénéficié à
l’occasion de son départ à la retraite d’un parachute doré de 100
millions d’euros, selon la coutume dans ce secteur d’activité.
Le groupe Depfa est issu du Deutschen Pfandbriefanstalt (Institut allemand
des obligations hypothécaires) et a son siège à Dublin où il jouit d’un
taux d’imposition largement inférieur à celui en vigueur en Allemagne. Il
est spécialisé dans le financement public qui est censé être dépourvu de
risques. Le groupe fut précipité dans la crise par des financements de crédits
à long terme devant être refinancés à très court terme sur le marché
interbancaire où les banques effectuent des opérations entre elles à court
terme.
Depuis la faillite de Lehman Brothers, cependant, le marché interbancaire s’est
littéralement asséché car les banques ne se prêtent plus entre elles. Depfa n’a
plus été en mesure de trouver des crédits à court terme et à des taux
d’intérêt favorables et la HRE est à présent obligée de boucher un trou
de plusieurs milliards.
La HRE est aussi l’un des acteurs majeurs du marché hypothécaire allemand
avec un volume de 900 milliards d’euros et intervenant dans le
financement de nombreuses autres banques et compagnies d’assurance. On craint
que la faillite de la HRE n’entraîne l’effondrement de
l’ensemble du marché de refinancement obligataire des crédits à
l’immobilier en déclenchant une réaction en chaîne qui affecterait les
institutions d’assurance et de prévoyance, les fédérations allemandes des
caisses professionnelles d’assurances sociales ainsi que les Länder et
les communes.
Depfa n’est pas un cas isolé. Selon une étude de Der Spiegel,
d’autres banques allemandes ont accordé des crédits à long terme financés
par des crédits à court terme. Selon l’hebdomadaire,
l’établissement de droit public Landesbank Baden-Wurttemberg (LBBW) devra
même « refinancer quelque 100 milliards d’euros d’ici décembre
2009, » voire plus du double de la HRE. Pour ce qui est de la banque Nord/LB
(Norddeutsche Landesbank) il pourrait s’agir de 42 milliards, pour la
banque publique régionale West/LB et l’Eurohypo environ 30 milliards chacune,
pour la banque du Land de Rhénanie-Palatinat (Landesbank Rheinland Pfalz) 10
milliards d’euros et pour la banque publique du Land de Saxe, la Sachsen
LB, 3,5 milliards d’euros.
L’effondrement financier est loin d’avoir atteint son zénith. Ce
qui se passe actuellement est l’éclatement d’une énorme bulle de
capital fictif accumulé durant ces dernières décennies aux dépens de la classe
ouvrière.