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La « responsabilité fiscale » à la base de la plateforme du NPD

Par Carl Bronski
15 octobre 2008

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24 heures seulement après avoir dévoilé les détails de la plateforme électorale de son parti, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jack Layton s’est engagé à l’abandonner si le budget fédéral canadien menaçait d’être déficitaire. Cet engagement de Layton fut pris pour apaiser les critiques des grands médias et des conservateurs qui ont accusé la plateforme du NPD de ne pas tenir compte de la crise financière mondiale et de la récession nord-américaine imminente.

Le 28 septembre, la veille du plus grand effondrement boursier de l’histoire de la bourse de Toronto sur Bay Street (841 points ou 6,9 pour cent), Layton a annoncé une série de promesses électorales totalisant 51 milliards $ qui ont été présentées par le NPD comme un avantage offert aux « familles ordinaires » aux dépens des grandes entreprises.

Mais avant même que les paroles de Layton de dimanche après-midi ne soient oubliées dans les reportages de lundi matin, le chef du NPD couvrait déjà ses arrières. Demandant que soit tenue une réunion privée de tous les chefs de partis pour discuter de l’éclatement de la crise financière sur Wall Street et sur les marchés internationaux, Layton a promis que la priorité du NPD serait de « maintenir le budget [fédéral] équilibré ». Si les promesses de dépenses devaient être sacrifiées pour satisfaire aux demandes de l’élite financière, Layton ne fuirait pas ses responsabilités.

Les pratiques corrompues de Layton ne sont pas une surprise pour quiconque a suivi la trajectoire vers la droite du NPD — et des partis sociaux-démocrates semblables à travers le monde — au cours de la dernière génération. A maintes reprises, le NPD a fait campagne sur un programme de légères réformes pour par la suite attaquer sauvagement les travailleurs lorsqu’il prenait effectivement le pouvoir.

Bien sûr, malgré que Layton affirme qu’il lutte pour le poste de premier ministre dans la campagne de l’élection fédérale du 14 octobre, il lutte plutôt avec le moribond Parti libéral pour devenir le chef de l’opposition officielle d’un probable gouvernement conservateur dirigé par le premier ministre de droite Stephen Harper. Si les rêves les plus chers de Layton se voient réalisés, son parti pourrait même détenir la balance du pouvoir dans un gouvernement minoritaire conservateur ou même, ce qui est moins probable, libéral. Layton et le NPD continuent de faire la promotion du dernier budget libéral fédéral, produit sous la direction du grand coupeur de taxes et d’impôts Paul Martin, comme un « budget du NPD », car les libéraux y avaient incorporé de légères augmentations dans les dépenses sociales en retour du soutien temporaire des sociaux-démocrates pour maintenir au pouvoir le gouvernement minoritaire de Martin.

Layton et le NPD voient une certaine opportunité lors de la prochaine élection dans des conditions où, selon de nombreux sondages, la popularité des libéraux de Stéphane Dion n’a jamais été aussi faible. Les libéraux, le parti traditionnel de gouvernance du Canada au 20e siècle, se sont orientés considérablement vers la droite afin de suivre un Parti conservateur rajeuni et conserver l’appui de la grande entreprise.

La poussée des libéraux et des conservateurs vers la droite a été telle au cours de la dernière période que même les légères et « responsables » propositions de dépense du NPD dans l’actuelle élection peuvent sembler presque radicales. Mais en fait, ces promesses de dépenses ressemblent étrangement au « livre rouge » libéral de minuscules réformes avancées par Jean Chrétien lors de l’élection de 1993 et qui fut rapidement jeté à la corbeille lorsque les libéraux obtinrent une majorité de sièges au parlement.

Ramener le taux d’imposition des entreprises à celui de 2007

Parmi les principales mesures populistes de la plateforme de Layton on retrouve : une augmentation des crédits d’impôts et des bonus pour les familles avec enfants, un programme d’accès progressif aux médicaments pour les maladies graves, un nouveau programme de garderies, davantage d’aide aux populations amérindiennes, des subventions aux étudiants, des investissements dans les logements sociaux, ainsi que la création de divers groupes de protection des consommateurs.

Le NPD propose de financer essentiellement ces dépenses en annulant les baisses d’impôt aux entreprises de 51 milliards de dollars que Harper a promis d’implémenter au cours des quatre prochaines années (de 2009 à 2013). Sous le plan fiscal du NPD, le taux d’imposition des entreprises serait ramené au taux établi par les deux premiers budgets conservateurs, soit 22 pour cent. C’est une mesure extrêmement modeste. Des pays tels que les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon, qui sont tous dirigés par des partis politiques de droite, maintiennent des taux d’imposition aux entreprises beaucoup plus élevés même lorsque l’impôt provincial supplémentaire est pris en compte.

En fait le NPD propose de maintenir toutes les baisses d’impôt aux entreprises implémentées par les gouvernements libéraux de Chrétien et Martin et d’annuler seulement le plan de Harper, qui est soutenu par les libéraux de Dion, visant à réduire les taux d’imposition aux entreprises à 15 pour cent d’ici 2012. De plus, un gouvernement du NPD conserverait les drastiques baisses d’impôt personnel et sur les gains en capital qui ont été implémentées à tour de rôle par les gouvernements des huit dernières années, essentiellement au profit des sections les mieux nanties de la société.

Avant les baisses d’impôt entreprises par le premier ministre libéral Paul Martin et poursuivies par Harper, le taux d’imposition des entreprises se situait à près de 30 pour cent.

Mais bien sûr, tout finit pas se payer. Même si Layton tourne en ridicule la dernière série de baisses de taxe massives, il propose de transférer des milliards de dollars aux entreprises sous la forme d’incitatifs à la productivité, de remboursements de dettes, et de douteux dons liés au marché des émissions de carbone.

La plateforme du NPD prévoit aussi une modeste épargne fiscale qui proviendrait du retrait des Forces armées canadiennes de l’Afghanistan — une promesse que Layton a constamment mise en sourdine à travers la campagne électorale. Bien entendu, l’appui qu’a donné le NPD pour la mission de combat jusqu’à la fin de 2006 est tout simplement ignoré. Et ce qui est tout aussi significatif est que, alors que le NPD parle de « dividendes de paix » en Afghanistan, sa plateforme est complètement silencieuse sur les énormes augmentations des dépenses militaires qui sont prévues au cours de la prochaine décennie. Il est important à ce propos de noter que le budget libéral de 2005, présenté par les sociaux-démocrates du Canada comme « le premier budget du NPD », a initié l’augmentation substantielle des dépenses militaires canadiennes.

Le programme du NPD est beaucoup plus à droite que ce que les sociaux-démocrates ont avancé pendant les années 1960 et 1970. Nulle part le NPD ne parle de placer des compagnies ou des sections importantes de l’économie sous le contrôle de l’Etat. Il promet d’équilibrer le budget fédéral à chaque année de son gouvernement. Layton a attaqué les conservateurs pour leur « irresponsabilité fiscale » parce qu’ils prétendent qu’ils peuvent combiner une augmentation de dépenses « ciblées » sur les familles et des dépenses militaires avec d’importantes diminutions d’impôts. Aussi, bien que le NPD ait traditionnellement appelé à un retrait du Canada de l’OTAN et de NORAD, Layton défend l’idée que le Canada doit faire pression pour une sorte de réforme « vague » des alliances militaires dirigées par les Etats-Unis.

Une chose est demeurée constante dans les positions politiques du NPD même si la mondialisation a rendu caducs tous les programmes de réformisme national — l’affirmation d’une position économique nationaliste qui a comme logique ultime la promotion du protectionnisme, de la guerre commerciale et des rivalités inter-impérialistes. Cette orientation a uniquement servi à affaiblir la classe ouvrière dans ses luttes contre le capital en opposant les travailleurs de chaque pays les uns contre les autres, contre leurs frères et sœurs de classe au niveau international dans une lutte fratricide pour un nombre toujours plus bas d’emplois, de salaires et d’avantages sociaux. Invariablement, la bureaucratie syndicale a craché son poison nationaliste, tout en collaborant avec les employeurs, au nom de la sauvegarde d’« emplois canadiens », afin d’imposer des concessions, des intensifications de la productivité et des suppressions d’emplois. La promesse de Layton d’annuler l’accord sur le bois d’œuvre avec les Etats-Unis, d’instituer des règlementations du gouvernement fédéral du type « acheter canadien » et de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) sont destinées simplement à faire bénéficier certaines sections de la grande entreprise aux dépens d’autres sections.

Le passé du NPD

Pendant trois décennies, depuis sa formation en 1961 jusqu’au début des années 1990, le NPD était le « tiers parti » en politique canadienne, étant quelques fois le gouvernement provincial dans trois des quatre provinces de l’Ouest et devenant une force électorale de plus en plus puissante en Ontario, la province la plus populeuse et la plus industrialisée du Canada, mais il a néanmoins joué un rôle clé dans la politique canadienne.

En tant qu’instrument de la bureaucratie syndicale, le NPD a joué un rôle vital dans la régulation des relations de classe. La bureaucratie syndicale a utilisé le NPD afin de faire pression sur les gouvernements libéraux de la grande entreprise pour obtenir des réformes sociales. Cela a servi à étouffer le développement d’un mouvement politique indépendant et anti-capitaliste de la classe ouvrière. Par le parlement et des négociations collectives, le système de profit pouvait être humanisé, du moins selon les sociaux-démocrates, en donnant un niveau de vie décent à tous ainsi qu’un minimum d’égalité sociale.

Évidemment, les sociaux-démocrates et leurs alliés dans la bureaucratie syndicale ont toujours été vivement conscients de leur responsabilité à s’assurer que la lutte des classes ne dépasse pas les limites que les capitalistes sont prêts à accepter. En Colombie-Britannique en 1983 par exemple, la bureaucratie syndicale a étranglé une grève générale à la grandeur de la province contre une batterie de lois du Parti du crédit social qui introduisaient le modèle Reagan-Thatcher à la côte ouest canadienne. Quant au NPD, son ancien chef, Dave Barrett, avait déploré le mouvement de grève « Opération solidarité » comme étant illégal et une menace à la « démocratie » au moins aussi grande que l’assaut du gouvernement sur les droits démocratiques et ouvriers.

Au début des années 1990, lors du pire ralentissement économique au Canada depuis la Grande Dépression, les travailleurs portèrent le NPD au pouvoir en Ontario, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan — des provinces représentant plus de la moitié de la population du pays. Leurs espoirs que le NPD allait les protéger de la crise économique furent rapidement anéantis. Les gouvernements néo-démocrates imposèrent des coupures massives dans les services publics et les programmes sociaux, des politiques d’austérité salariale, et ils répétèrent la rhétorique de la droite, de la réforme de l’aide sociale jusqu’aux lois anti-ouvrières. 

En Ontario, le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae (actuellement député en vue du Parti libéral) attaqua les travailleurs du secteur public et fut responsable d’agressives coupes dans les services sociaux. En 1995, discrédités par leur assaut contre la classe ouvrière, le NDP de Rae fit place, et il en était responsable, au régime conservateur de Mike Harris. Ensuite en 1996, lors d’une série de grèves générales (« Days of Action »), la bureaucratie syndicale, appuyée par le NPD, torpilla le mouvement. Le résultat fut le même à l’automne 1997 lorsqu’une grève des enseignants des écoles publiques et des lycées devint le point central de l’opposition de masse au gouvernement conservateur. 

En Colombie-Britannique, le gouvernement NPD au pouvoir de 1991 à 2001 a ouvert la voie aux libéraux de Campbell en s’accommodant encore plus parfaitement aux demandes de la grande entreprise. Sous les premiers ministres Mike Harcourt, Glen Clark et finalement Ujjal Dosanjh, le NPD a imposé de nouvelles restrictions sur les droits de grève des enseignants, a voté des lois pour rendre des grèves illégales et fait sienne les mesures d’allocations d’aide sociale conditionnelles et la rhétorique de « la loi et de l’ordre ».

Les travailleurs en Colombie-Britannique ont à plusieurs reprises pris l’offensive contre l’actuel gouvernement libéral de Campbell, seulement pour voir les dirigeants des syndicats et du NPD isoler les grèves et imposer des ententes de concessions. Il faut particulièrement souligner la grève des travailleurs du traversier en 2003 et celle des travailleurs des hôpitaux en 2004. Dans les deux cas, les travailleurs ont fait la grève malgré des lois anti-syndicales et leur action militante menaçait de devenir le catalyseur d’une grève générale dans toute la province, un grand nombre de travailleurs les considérant avec raison comme défiant le régime détesté de Campbell.

Dans ce contexte, les principaux dirigeants du NPD n’ont eu aucune difficulté à rejoindre la direction du Parti libéral ou du monde des affaires. Glen Clark s’est trouvé un bon poste après sa défaite électorale en Colombie-Britannique, étant aujourd’hui vice-président directeur de l’empire tentaculaire du milliardaire Jim Pattison. Et Bob Rae est loin d’être l’unique « star » du NPD à s’asseoir aux premiers bancs des libéraux au Parlement. L’ancien premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique Ujjal Dosanjh était ministre sous Paul Martin et est devenu porte-parole en matière de santé lorsque les libéraux se sont retrouvés dans l’opposition. L’ancienne ministre néo-démocrate de la Saskatchewan, Joan Beatty est aujourd’hui candidate pour les libéraux.

Les deux partis sont si semblables du point de vue de la pratique et de la philosophie que cet opportunisme politique se fait dans les deux sens maintenant que les libéraux ont perdu la cote. Thomas Mulcair, qui fut ministre du gouvernement libéral québécois de Jean Charest, a été sollicité par Layton qui tentait d’obtenir un siège dans la province francophone. Immédiatement après la victoire surprise de Mulclair dans une élection complémentaire, Layton l’a promu chef adjoint du NPD et porte-parole en matière de finances. Une importante promotion du même type attendrait Françoise Boivin, une ancienne députée libérale se présentant dans le comté de Gatineau au Québec.

Layton et Doer

L’an dernier, lorsque Layton a rassemblé son état-major à Winnipeg au Manitoba pour préparer la stratégie électorale de son parti, il s’est assuré de louanger publiquement le gouvernement néo-démocrate provincial de Gary Doer. Doer, qui a obtenu des majorités trois fois au Manitoba, se considère comme un adepte du libéralisme. Les rapports que son gouvernement entretient avec les méga-porcheries et les usines géantes d’empaquetage de la viande sont si ouverts qu’ils sont critiqués même au sein des cercles sociaux-démocrates.

Doer a offert des diminutions d’impôts d’un milliard de dollars qui vont en grande partie aux sections les plus riches de la population, a allégé la réglementation environnementale et a supervisé une augmentation alarmante de la pauvreté. Il prévoit diminuer les impôts pour les compagnies en 2012, qui passeront de 14 pour cent à 12 pour cent, ce qui en fera les plus bas dans tout le pays. La province a un des taux de pauvreté infantile et familiale parmi les plus élevés et des salaires moyens parmi les plus bas au Canada. Elle connaît aussi une crise du logement abordable. Ce qui n’a pas empêché Layton d’affirmer lors du conclave de son parti : « Nous sommes vraiment impressionnés par le gouvernement de Gary Doer. »

Le NPD atteindra peut-être son objectif de récolter plus de 20 pour cent des voix exprimées dans les élections qui viennent. La remontée actuelle de la fortune électorale de ce parti est le produit de deux processus reliés : une radicalisation de vastes couches des travailleurs et un ralliement des sociaux-démocrates, des bureaucrates syndicaux et des activistes de la politique de l’identité derrière le NPD dans le but d’intercepter cette radicalisation, de la stopper et ainsi assurer l’avancement de leur propre carrière pour services rendus à l’Etat canadien.

On assiste à un vaste mouvement de radicalisation des masses dans la récente période, causé par l’invasion illégale et l’occupation coloniale de l’Irak par les Etats-Unis, le déploiement concomitant de forces de combat canadiennes en Afghanistan, les révélations continuelles de corruption dans la grande entreprise et le gouvernement, l’augmentation de la destruction de l’environnement et la croissance de l’inégalité sociale, l’effondrement des bourses et la menace d’une récession mondiale.

Les grands bonzes des syndicats et des sociaux-démocrates sentent que cette radicalisation est une occasion de regagner de l’influence politique, mais ils en sentent encore plus le danger. En effet, lorsque Layton est devenu le chef du NPD en 2004, une personnalité aussi importante que le doyen et ancien chef du NPD, Ed Broadbent, a expliqué pourquoi il avait choisi de soutenir Layton, un candidat de « l’extérieur », au poste de chef du parti plutôt que son bon ami, le député du NPD Bill Blaikie. Broadbent a averti que les sociaux-démocrates « ne peuvent entretenir l’illusion que les nombreux Canadiens qui ont en ont assez de la politique dérivée de la manie des compressions… vont inévitablement rejoindre le NPD… Ils peuvent nous dépasser pour rejoindre bien d’autres options. »

Le World Socialist Web Site reviendra sur le programme et la campagne électorale du NPD. Mais il suffit pour l’instant de rapporter que le NPD, le Janus de gauche de l’establishment politique canadien qui prétend qu’il est possible de faire pression sur la grande entreprise pour des réformes tout en l’assurant qu’elle n’est souffrira pas, n’est en aucun cas l’instrument politique par lequel les travailleurs peuvent défléchir l’assaut du capital, encore bien moins défendre ses intérêts historiques. Ce parti est plutôt un instrument de la classe dirigeante qui sert de soupape de sécurité au mécontentement social et, en temps de crise capitaliste, à discipliner la classe ouvrière et imposer les demandes de la grande entreprise.

La défense des emplois, des conditions sociales et des droits démocratiques demande la construction d’un nouveau parti de masse de la classe ouvrière qui s’opposera à ce que les besoins sociaux soient subordonnés aux profits de la grande entreprise et qui unira les travailleurs canadiens avec les travailleurs du monde dans une lutte commune contre le système de profit capitaliste. Cette lutte est la raison d’être du World Socialist Web Site  et du Parti de l’égalité socialiste.

(Article original anglais paru le 2 octobre 2008)

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