L’Union européenne a publié mercredi un appel pour un sommet
des principales économies mondiales afin d’élaborer un nouveau système de
réglementation financière mondiale et que les dirigeants de l’Union européenne
appellent « Bretton Woods II ».
A l’issue d’une réunion de deux jours des dirigeants de l’UE,
la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré « Nous devrions avoir une
réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du G8 et des marchés émergents encore
cette année, de préférence en novembre, pour reformer le système financier
mondial et éviter que de telles choses ne se reproduisent. »
Mais, malgré l’unité des dirigeants de l’UE derrière l’appel
pour un « nouveau Bretton Woods » et un accord commercial mondial, la
réunion de Bruxelles témoigne une fois de plus de la perplexité et de l’impuissance
dont font preuve les dirigeants européens face à la plongée dans la récession
de l’économie mondiale.
En adoptant un plan de sauvetage de 2,7 billions d’euros
initialement accepté à Paris dimanche dernier, le sommet de l’UE a confirmé les
projets des puissances européennes de renflouer leurs principales banques aux
dépens de l’argent des contribuables. « L’Europe tout entière, sans
exception, approuve les mesures » du plan adopté dimanche à Paris a dit le
président français, Nicolas Sarkozy dont le pays assume par rotation la
présidence de l’Union européenne.
Mais ces mesures et des initiatives identiques de la part des
Etats-Unis ont déjà échoué à rétablir la confiance dans les marchés. Avec la preuve
grandissante d’une contraction de l’économie mondiale et d’annonces de
fermetures d’usine et de hausse du chômage, c’est sur fond de nouvelles chutes
des cours boursiers sur les marchés européens et asiatiques que le sommet de
l’UE a eu lieu. Au dernier jour de la réunion, des chutes de l’ordre de 5 et de
11 pour cent se sont produites en Europe, avec l’indice britannique FTSE
clôturant à son plus bas niveau en cinq ans, en France, le CAC 40 a plongé de
5,9 pour cent, le DAX allemand de 4,9 pour cent et la bourse de Tokyo a accusé
sa plus forte perte en un jour depuis 1987.
Les dirigeants de l’UE de l’Eurogroupe se sont mis d’accord
pour mettre sur pied une cellule de gestion de crise en vue de partager les
informations sensibles sur les finances et de rechercher une solution commune à
la crise actuelle. Toutefois, le sommet de l’UE n’a pas pu s’accorder sur un
projet unifié pour revigorer les économies européennes et il n’y a pas eu de
discussion sur les mesures à adopter pour aider les millions de travailleurs qui
verront leur vie dévastée par une grave récession.
Des communiqués ont été publiés sur les préoccupations du
premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen concernant « l’impact
négatif sur l’économie réelle » tandis que Sarkozy a dit que ce serait
mentir que d’affirmer qu’ils ne suivent pas ce qui se passe sur les places
boursières. Mais rétablir la confiance dans le système financier leur est
apparu être la clé pour la consolidation de l’économie européenne, un thème qui
fut souligné par le premier ministre britannique, Gordon Brown.
Avec cette facture du « rétablissement de la
confiance » qui atteint des billions de dollars, ce qui est en fait à
l’ordre du jour ce sont des augmentations d’impôts, des licenciements de masse
et des réductions des dépenses publiques. L’assouplissement de la
réglementation budgétaire communautaire qui limite à 3 pour cent du produit
intérieur brut (PIB) les déficits budgétaires servira à canaliser les finances
vers les banques pour leur permettre de concurrencer leurs rivales américaines
et asiatiques, mais pas de soulager la souffrance de la population laborieuse.
Les responsables déclarent que les déficits budgétaires pourront excéder cette
limite à raison de « plusieurs chiffres derrière la virgule. »
Toute démarche vers un subventionnement de l’économie aura le
même but, renforcer la position concurrentielle de l’Europe par rapport à ses
rivales américaines et asiatiques. Réagissant au prêt de 25 milliards de
dollars accordé par le gouvernement américain aux constructeurs automobiles
américains, le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker a dit,
« Si les Américains soutiennent massivement leur industrie automobile,
l’Europe ne peut pas ne pas réagir. » Au sein de l’Europe même, la crise
financière a intensifié les divisions nationales en menaçant de saper les
fondements de l’unité monétaire européenne. Les affirmations que l’Europe a été
le fer de lance d’une réaction coordonnée internationale à la crise sont vides
de sens. En réalité, les gouvernements ont entrepris des actions unilatérales
pour étayer leur système bancaire national en forçant en cela les autres
gouvernements à faire de même par crainte d’une fuite des capitaux vers les
pays offrant les garanties les plus généreuses à leurs banques.
La réaction des Etats-Unis à l’appel du sommet de l’UE en
faveur d’un nouveau cadre réglementaire mondial a été on ne peut plus froide.
« Nous aurons l’occasion de discuter de cela et des idées des autres, à un
moment opportun », a dit le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony Fratto.
Du reste, dans le cadre de principes généraux adoptés par
l’UE, chaque gouvernement national disposera d’une grande latitude pour agir
comme bon lui semble afin de soutenir les banques basées au sein de ses propres
frontières, en offrant les conditions les plus avantageuses pour nuire ainsi
aux banques des autres pays.
Dans cette lutte pour le contrôle des ressources financières
qui déclinent, les pays les plus grands auront forcément un avantage considérable
par rapport aux pays plus petits et qui ne seront pas renfloués par l’UE.
L’Allemagne et la Grande-Bretagne ont toutes deux précisé qu’elles
n’approuveront pas la poursuite des subventions qui ont été jusque-là le
fondement du projet communautaire.
C’est pourquoi même avant la tenue du sommet, il y avait eu
une spéculation ouverte dans les journaux économiques quant à la viabilité de l’euro,
la monnaie unique et même de l’UE. Ambrose Evans-Pritchard a écrit dans le Daily
Telegraph, « Nous avons atteint le moment décisif où l’Allemagne aura
à décider s’il convient de peser de tout son poids souverain pour soutenir le
projet [l’Union monétaire européenne] ou bien faire savoir qu’elle n’est pas
disposée à le faire dans une situation de crise… C’est un concours de circonstances
très dangereux pour une union monétaire. Comptera-t-elle encore 15 membres d’ici
Noël ? »
Ecrivant pour l’Associated Press, William J. Kole a mis en
garde que « Si l’UE n’est pas capable de trouver une réponse commune à un
effondrement qui traverse les frontières, qui implique des bailleurs de fonds
multinationaux et qui a poussé l’euro à son niveau le plus bas en un an, certains
se demandent : A quoi bon avoir une UE ? »
Wolfgang Munchau a noté dans le Financial Times,
« Pour l’Europe, ceci et plus qu’une simple crise bancaire. Contrairement
aux Etats-Unis, elle pourrait évoluer vers une crise du système monétaire. Une
crise bancaire systémique fait partie de ces quelques chocs susceptibles de
détruire l’union monétaire de l’Europe. »
Bretton Woods II
L’écroulement financier, la récession mondiale et les failles
grandissantes dans les fondations de l’UE forment le contexte au sein duquel la
viabilité des propositions européennes pour une refonte du système financier
mondial doit être jugée.
Le premier ministre Brown et le président Sarkozy ont tous
deux demandé des fonds pour la création d’un nouveau système mondial de
gouvernance et de réglementation financières. Mais, mis à part la rhétorique et
les propositions pour un ensemble commun de principes de gouvernance, ni l’un
ni l’autre n’ont avancé un projet substantiel.
Brown, en soulignant que « Les marchés financiers
mondiaux comportent des défis qu’aucune nation ne peut résoudre
isolément, » a demandé instamment l’adoption d’un agenda de quatre points
pour « renforcer la coopération mondiale et construire une nouvelle
architecture mondiale pour les années à venir, un nouveau Bretton Woods qui reconnaisse
la mondialisation du risque financier dans les responsabilités des institutions
financières mondiales. »
Ses quatre points consistent en « un système mondial d’avertissement
préalable » qui traiterait des crises à venir, « des normes de
surveillance et de régulation acceptées mondialement », « une
surveillance transfrontalière » des 30 principales banques et compagnies
d’assurance et « une coopération et une action coordonnée » dans un
moment de crise.
Il a appelé à la réforme de la Banque mondiale, à la
reconstruction du FMI afin « d’être adéquat » et à ce que d’autres
régulateurs nationaux travaillent plus étroitement ensemble.
Ses propositions doivent être mises à discussion lors du
prochain sommet G8 qui se tiendra soit en novembre soit en décembre et qu’il souhaite
élargir à la Chine et à l’Inde dont on s’attend à ce qu’en retour ils règlent
une partie de l’addition des crises économiques à venir.
Le schéma mis en avant par Brown et son appel à un
« Bretton Woods II » laissent de côté les vastes changements qui ont
eu lieu au cours de ces cinquante dernières années dans l’économie mondiale.
Le système de réglementation financière mis en place en 1944
lors de la conférence des puissances alliées à Bretton Woods, dans le New
Hampshire, fut forgé sous l’hégémonie des Etats-Unis. Il avait été conçu comme
un moyen d’empêcher un retour à la Dépression des années 1930 et aux conflits
économiques effrénés entre les pays et qui avaient conduit à la Seconde Guerre
mondiale. Ce système avait comme point de départ les vastes ressources
économiques et la puissance industrielle sans égale du capitalisme américain.
Dans les conditions de la dévastation d’après-guerre du
capitalisme européen et japonais, les Etats-Unis avaient été en mesure de
parrainer la reconstruction du capitalisme mondial dans des conditions garantissant
leurs propres intérêts. Ceci était symbolisé dans l’établissement du dollar
comme monnaie de réserve mondiale et définie en or.
Bretton Woods fut une tentative pour surmonter le déclin
historique général du système capitaliste mondial sur la base de la force et de
la domination des Etats-Unis comme le pays capitaliste le plus puissant.
Toutefois, en secourant l’Europe et le Japon pour s’assurer des marchés dont
dépendait son industrie, les Etats-Unis avaient inévitablement mis en action un
processus qui sapait sa propre suprématie économique.
En 1971, le déclin de la position relative des Etats-Unis dans
l’économie mondiale fut exprimé par l’incapacité des Etats-Unis à tenir leur
promesse de racheter les dollars au taux fixe de 35 dollars l’once d’or. Les
Etats-Unis supprimèrent la convertibilité du dollar en or aboutissant à
l’effondrement du système de Bretton Woods.
Dans les décennies qui s’ensuivirent, la bourgeoisie
américaine chercha à surmonter son déclin économique en se tournant vers des formes
de plus en plus grotesques de parasitisme et de spéculation économiques.
Aujourd’hui, le déclin industriel des Etats-Unis et sa transformation du statut
de premier créditeur mondial à celui du plus grand débiteur mondial signifie
qu’au lieu d’être en position de sauver le système capitaliste mondial, les
Etats-Unis sont en train d’entraîner leurs rivaux économiques dans l’abîme.
Il n’est pas possible non plus que le rôle précédemment joué par
les Etats-Unis puisse être assumé par une coalition de puissances européennes. Non
seulement ils ont parcouru le même chemin que Wall Street dans la spéculation en
se détachant presque complètement de la création de valeur réelle, mais ils
sont aussi incapables de surmonter les antagonismes nationaux déchaînés par la
crise économique.
Quant à la Chine, il s’est avéré qu’en détenant le gros des
dettes américaines et en dépendant fortement du marché américain pour
l’exportation de ses produits manufacturés son économie est liée plus que tout
autre au capitalisme américain secoué par la crise. Ses marchés financiers ont
perdu les deux tiers de leur valeur depuis octobre de l’année dernière.