World Socialist Web Site www.wsws.org

WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Le Bloc québécois veut faire oublier son soutien au gouvernement Harper

Par Guy Charron
22 septembre 2008

Retour | Ecrivez à l'auteur

Le Bloc québécois (BQ), le parti fédéral défendant l’indépendance de l’unique province canadienne à majorité francophone, tente de stopper sa perte de popularité en se présentant comme l’unique rempart contre un gouvernement conservateur majoritaire.

A l’ouverture de la campagne électorale, le chef du BQ, Gilles Duceppe dénonçait ainsi les conservateurs : « En 2003, inspiré de l’administration Bush, Stephen Harper voulait entraîner le Canada dans la guerre en Irak et déchirer le protocole de Kyoto, préférant défendre les pétrolières plutôt que l’environnement. C’est cette ligne politique à la Bush que Stephen Harper a mise de l’avant une fois au pouvoir. Cela va à l’encontre des valeurs universelles que les Québécoises et les Québécois partagent avec de nombreuses nations dans le monde. »

Les appuis électoraux du BQ se sont considérablement effrités depuis la dernière élection de 2006 où il avait obtenu 42 pour cent des voix exprimées au Québec. Les sondages lui donnent aujourd’hui au plus 35 pour cent des intentions de vote, certains moins de 30 pour cent.

Tentant d’améliorer sa fortune électorale, Duceppe demande aux fédéralistes de voter pour le BQ pour empêcher l’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur.

« Il y a les Canadiens qui espèrent fortement que le Bloc québécois batte les conservateurs parce qu'ils savent bien que si on les prive d'une majorité, ça va rendre service aux Canadiens et à tout le Canada », a déclaré Duceppe ce dimanche.

Bien qu’il dénonce aujourd’hui le gouvernement d’Harper pour être trop à droite, le Bloc québécois a joué un rôle clé dans l’arrivée et du maintien au pouvoir du gouvernement conservateur minoritaire.

Au cours des années précédant l’élection fédérale de 2006, au nom de la soi-disant « défense des intérêts du Québec », le BQ a agi de façon coordonnée avec l’Alliance canadienne, le parti prédécesseur du Parti conservateur (PC) et ensuite avec les conservateurs de Harper pour contrer le Parti libéral du Canada (PLC). Lors des dernières élections en 2006, Duceppe avait minimisé la signification de l’élection de Harper, déclarant que l’élection du Parti conservateur était l’affaire des Canadiens. Plus important, le BQ a formé une coalition de fait avec le gouvernement minoritaire conservateur après son élection en 2006, le soutenant lors des votes cruciaux du discours du trône et des deux premiers budgets conservateurs, sans compter que le BQ a voté du côté des conservateurs lors d’une douzaine d’occasions où une défaite aurait signifié la fin du gouvernement minoritaire de Harper et l’appel à des élections.

Et dans cette élection encore le Bloc québécois veut en fait la continuation de la situation actuelle de marchandage avec les conservateurs. Le BQ ne réclame pas la défaite des conservateurs. Les bloquistes évaluent qu’ils seront en meilleure position pour obtenir de nouveaux pouvoirs pour l’État québécois ou de meilleures conditions pour les grandes entreprises basées au Québec avec un gouvernement minoritaire conservateur.

Dans l’alliance du BQ avec les conservateurs, nul doute que le calcul politique ait joué. Le PLC est le représentant des tendances désirant une centralisation des pouvoirs dans l’État fédéral et les bloquistes ont espéré que la cause pour l’indépendance se porterait mieux si les libéraux étaient affaiblis. Aussi pour améliorer sa fortune électorale, le BQ et les forces qui l’appuie, comme les bureaucraties syndicales et la soi-disant gauche souverainiste, n’ont pas hésité à s’allier avec un parti populiste de droite, néo-conservateur et présentant même des tendances chauvines anti-francophones.

Mais cette alliance n’est pas simplement conjoncturelle ou tactique. Déjà lors des élections fédérales de 1984 et 1988, le PQ, le parti souverainiste provincial, s’était allié aux conservateurs de Brian Mulroney pour donner à ces derniers la plus grande majorité de l’histoire canadienne. Après la défaite du gouvernement Mulroney en 1993, les indépendantistes québécois se sont entendus avec les prédécesseurs du Parti conservateur actuel, le Parti réformateur de Preston Manning et l’Alliance canadienne de Stockwell Day, sur la demande de « limiter le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ». Une telle mesure est défendue par le Parti conservateur comme une façon d’instaurer des coupes draconiennes dans ce qui reste de programmes sociaux et de services publics au Canada et de donner plus de pouvoirs aux provinces de l’Ouest au détriment du Canada central, l’Ontario et le Québec.

Le BQ est aussi en accord avec le Parti conservateur sur un grand nombre de points essentiels, même si le fait qu’il lui soit impossible de prendre le pouvoir lui permet de faire des appels démagogiques de gauche. Comme les conservateurs, le Bloc québécois considère que la guerre en Afghanistan est une « noble cause » dont Gilles Duceppe se vante qu’il l’a appuyée « à l’origine et continue de le faire ». Et comme les conservateurs, le BQ se décrit comme un grand défenseur de la loi et l’ordre, demandant par exemple l’allongement du temps de prison.

Les accords programmatiques entre le BQ et le PC s’expliquent par le fait que ces deux partis défendent essentiellement les mêmes intérêts, ceux du grand capital.

Le Bloc québécois trouve son origine dans une scission au sein du Parti conservateur en 1990 après que Lucien Bouchard, alors ministre dans le gouvernement conservateur de droite dirigé par Brian Mulroney, eut claqué la porte après l’échec de l’accord constitutionnel du Lac Meech. Il avait été rejoint par une poignée de conservateurs et de libéraux de droite pour former le Bloc québécois. La création du Bloc québécois avait été appuyée par le premier ministre québécois de l’époque, le libéral Robert Bourassa.

La signification du programme du BQ en pratique est montrée par l’historique au pouvoir de son parti jumeau au niveau provincial, le Parti québécois. Il n’existe pas deux partis plus proches politiquement et organisationnellement dans la politique canadienne. Les deux partis s’aident mutuellement lors des élections et développent conjointement leur stratégie politique.

Le PQ a formé le gouvernement provincial pendant dix-huit des trente-deux dernières années. Ses deux derniers mandats, de 1994 à 2003, ont été caractérisés par un assaut général sur les services publics. Sous le gouvernement péquiste dirigé par Lucien Bouchard, avec le soutien entier des dirigeants syndicaux, des hôpitaux ont été fermés, des dizaines de milliers d’emplois ont été éliminés dans le secteur de la santé et le reste du secteur public et les assistés sociaux ont subi des coupes sauvages dans les prestations d’aide sociale. Ces attaques ont été justifiées au nom de la lutte au déficit, avec pour objectif la diminution des impôts pour les riches. Dégoûtés par la politique du PQ qui a dans les faits formé un des gouvernements les plus à droite en Amérique du Nord, les travailleurs ont abandonné en masse ce parti, en grande partie en ne votant pas.

En fait, lorsque le BQ déclare défendre les intérêts québécois, ce qu’il signifie en réalité, c’est la défense des intérêts des grandes entreprises au Québec, comme Power Corporation, Bombardier, Ubisoft, Merck & Frost, Quebecor, Jean Coutu et les autres grandes multinationales.

C’est ce qui explique que la principale critique que fait le Bloc québécois du gouvernment Harper est que sa base électorale se trouvant dans l’Ouest canadien, le Parti conservateur défend les intérêts des pétrolières albertaines, plutôt que des manufacturières québécoises. Traditionnellement plus faibles que l’industrie ontarienne plus près du MidWest américain, les industries québécoises ont été durement touchées par la hausse du dollar canadien  et le ralentissement économique américain.

Le Bloc québécois ne se fait pas que le défenseur direct des intérêts de la grande entreprise au Québec. Il joue aussi un rôle essentiel pour le capitalisme québécois et canadien en contribuant à attacher les travailleurs québécois aux intérêts du capital québécois. Le nationalisme québécois, qui prend d’ailleurs des formes de plus en plus chauvines, fait l’argument que les travailleurs québécois ont plus d’intérêts en commun avec les capitalistes québécois qu’avec les travailleurs canadiens et du reste du monde.

Le BQ bénéficie en cela de l’appui indéfectible de la bureaucratie syndicale québécoise, qui s’est tourné vers le PQ et le nationalisme québécois à la fin des années 1960 - début des années 1970 pour rependre le contrôle d’un soulèvement militant de la classe ouvrière. Plus tard, le nationalisme québécois a servi de cadre idéologique à la collaboration corporatiste des syndicats avec le patronat et l’État.

La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la centrale regroupant la plus grande partie des travailleurs syndiqués du secteur privé, a donné son soutien au BQ. « Nous ne pouvons nous payer le luxe de laisser les conservateurs gouverner pour l’Ouest en restant les bras croisés devant les milliers de pertes d’emplois au Québec, dans le textile, la forêt, l’industrie de la fabrication » a déclaré le président de la FTQ, Michel Arsenault.

L’autre grande centrale au Québec, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), a recommandé un « vote utile et stratégique ». Si la CSN ne demande pas explicitement un vote pour le BQ, elle ne laisse aucun doute sur le parti qu’elle appuie en fait. « Si dans d'autres comtés, a déclaré la présidente de la CSN Claudette Carbonneau, la façon de battre les conservateurs c'est d'élire un libéral, un NPD, et bien go, allons-y… dans près de deux tiers des comtés (au Québec), la vraie lutte c'est une lutte à deux entre le Bloc et les conservateurs. Dans ce cas-là, appelons un chat un chat : le vote utile, ça veut dire voter Bloc. »

Les liens entre la bureaucratie syndicale et le parti pro-entreprise qu’est le BQ dépasse l’accord idéologique. Le chef du BQ Gilles Duceppe et Pierre Paquette, souvent décrit comme son dauphin, ont fait carrière dans la CSN avant de joindre le BQ et le président de la section québécoise des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA-Québec) est un candidat vedette du BQ dans le compté au nord de Montréal où se trouvait l’ancienne usine de GM au Québec.

Les liens étroits entre la bureaucratie syndicale et le BQ sont régulièrement utilisés par les nationalistes québécois de droite pour faire pression sur le BQ pour qu’il aille plus à droite. Dans l’actuelle campagne, cette faction va plus loin, appuyant les conservateurs en déclarant que le BQ a perdu de son utilité. Ce développement est symptomatique d’un important virage à droite des élites québécoises. Tant les souverainistes de droite, comme l’ancien ministre péquiste Jacques Brassard dont les propos ont été largement repris dans la presse, l’ADQ, une importante section importante du PLQ que les éditorialistes de La Presse soutiennent l’élection d’un gouvernement conservateur.

Les travailleurs doivent tirer les conclusions de l’expérience politique avec le Parti québécois, le Bloc québécois et le mouvement souverainiste en général. Ce mouvement les dirige tout droit dans un cul-de-sac. Les travailleurs doivent rompre avec les bureaucraties syndicales et leur politique nationaliste et syndicaliste et considérer sérieusement l’option représentée par le Parti de l’égalité sociale, le socialisme et l’internationalisme.

Untitled Document


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés