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Canada : Le gouvernement conservateur force une élection fédérale le 14 octobre

Par Keith Jones
13 septembre 2008

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Contournant la loi de son propre gouvernement qui fixait la date des élections, le premier ministre canadien et chef du Parti conservateur Stephen Harper a déclenché une élection fédérale qui se tiendra le mardi 14 octobre.

Une série de récents sondages semblent indiquer que les conservateurs, qui forment un gouvernement minoritaire depuis février 2006, sont à portée d’une majorité parlementaire. Mais la principale raison qui explique la précipitation d’une élection par les conservateurs est la détérioration rapide de la situation économique.

Les conservateurs craignent les retombées électorales d’une récession nord-américaine éminente et des ondes de choc qui ont ébranlé le système financier mondial depuis l’effondrement du marché américain des subprimes.

Ils anticipent de plus que la grande entreprise va se ranger derrière leur tentative de former un gouvernement majoritaire, considérant qu’un gouvernement majoritaire serait encore plus isolé de l’opposition populaire et ainsi mieux positionné pour rejeter impitoyablement le fardeau complet de la crise économique sur le dos des travailleurs.

Tant Harper que Stéphane Dion, le chef du parti officiel de l’opposition, le Parti libéral, ont débuté leurs campagnes respectives en affirmant que les Canadiens allaient devoir choisir catégoriquement lors de cette élection.

 « Entre aujourd’hui et le 14 octobre », a déclaré Harper, « les Canadiens devront choisir un gouvernement capable de défendre leurs intérêts dans une période d’instabilité économique mondiale.

 « Ils choisiront entre une orientation claire ou l’incertitude ; entre le bon sens ou les expériences risquées ; entre la stabilité ou l’imprudence. »

Il a ensuite promis que les conservateurs allaient aller de l’avant avec des politiques fiscales ayant pour but de rediriger une part encore plus grande du revenu national vers les sections les plus privilégiées de la société et de réduire la capacité de l’Etat de financer des services publics et sociaux. Les conservateurs, a annoncé Harper, « vont continuer de diriger le Canada en maintenant les taxes faibles et le surplus budgétaire et en limitant les dépenses à des objectifs clairs et abordables. »

Dion a qualifié le gouvernement Harper « du plus conservateur... de notre histoire », accusant les conservateurs de laisser les Canadiens « à leur sort », et soutenant que le résultat de l’élection aura un impact déterminant sur le pays pour des décennies à venir.

L’affirmation selon laquelle il y des différences fondamentales et prononcées entre les principaux partis de l’élite dirigeante canadienne a été répétée plusieurs fois dans les chroniques et les éditoriaux des journaux de lundi. Dion a « raison en argumentant qu’il y a rarement eu un contraste aussi dramatique entre les deux gouvernements qui visent le pouvoir, » a affirmé le chroniqueur du National Post, Don Martin.

Les faits politiques montrent une version tout à fait différente.

Les libéraux de Dion ont soutenu le gouvernement minoritaire conservateur au pouvoir pendant la majeure partie de la durée du dernier parlement et ont constamment voté en faveur des projets de loi des conservateurs, incluant des changements « loi et ordre » régressifs au Code criminel ainsi qu’un programme de certificat de sécurité nationale sous lequel des non-citoyens peuvent être détenus indéfiniment sans accusation ni procès.

Concernant ce qui était vraisemblablement la question centrale qui se posait au parlement minoritaire de 31 mois maintenant dissout — l’engagement croissant du Canada dans la guerre en Afghanistan — les libéraux ont donné deux fois au gouvernement Harper les votes nécessaires pour étendre et prolonger la mission de guerre des Forces armées canadiennes pour le compte du gouvernement fantoche des Etats-Unis à Kaboul.

La deuxième fois, en mars dernier, c’est Dion lui-même qui avait négocié un accord avec le premier ministre pour prolonger le déploiement des FAC à Kandahar jusqu’à la fin de 2011. Cette entente bipartite fut, par la suite, utilisée par l’administration Bush pour pousser d’autres pays de l’OTAN à jouer un rôle plus important dans la guerre afghane.

Si le gouvernement Harper cherche à créer une société marquée par les inégalités sociales croissantes et l’insécurité économique dans laquelle — pour reprendre les mots de Dion et de son prédécesseur comme chef du Parti libéral, Paul Martin — les Canadiens doivent « s’en remettre à eux-mêmes », il ne fait que poursuivre le chemin tracé par le gouvernement libéral de Martin et de Jean Chrétien de 1993 à 2006. Ce sont les libéraux qui, au nom de l’élimination du déficit budgétaire fédéral, avaient imposé, entre 1995 et 1997, les plus grandes coupures dans les dépenses sociales de toute l’histoire du Canada, coupant des milliards en transfert dans la santé, l’aide sociale et l’éducation post-secondaire. Les libéraux avaient aussi réécrit les règles du programme d’assurance-chômage afin de soutirer à la majorité des sans-emploi leurs droits aux prestations. Ensuite, après l’élimination du déficit, les libéraux ont initié un programme massif de baisse d’impôts qui a gonflé les profits des entreprises et les revenus après impôts des riches et des très riches.

De façon similaire, la poussée du gouvernement Harper pour réarmer les Forces armées canadiennes et les utiliser comme un instrument de guerre afin de défendre les intérêts prédateurs de la grande entreprise canadienne à l’échelle mondiale n’est qu’une intensification du tournant dans la politique étrangère canadienne initié par le gouvernement libéral de Chrétien et Martin.

En 1999, les avions de guerre des FAC ont joué un rôle de premier plan dans la campagne de bombardement de l’OTAN contre la Yougoslavie. Pendant l’automne 2001, le gouvernement libéral de Chrétien avait annoncé que le Canada lancerait son plus grand déploiement outremer depuis la guerre de Corée en appuyant l’invasion américaine de l’Afghanistan. Subséquemment, les libéraux ont accepté de déployer plus de 2000 soldats des FAC à Kandahar, où ils ont été au front de la guerre de contre-insurrection afghane.

Récemment, Dion a critiqué Harper pour ne pas faire pression sur Washington pour le rapatriement de « l’enfant-soldat », Omar Khadr, qui est incarcéré à Guantanamo Bay depuis six années. Mais, comme Harper l’a fait remarquer, les gouvernements libéraux desquels Dion a fait partie n’ont jamais critiqué la détention de Khadr pour une durée indéfinie sans procès. En fait, sous le gouvernement libéral de Chrétien et Martin, les forces de sécurité du Canada ont développé leur propre forme de restitution extraordinaire (rendition) pour contourner les lois canadiennes interdisant la détention sans accusation et la torture.

Le « Tournant vert » des libéraux

Il y a bien sûr des différences tactiques entre les libéraux et les conservateurs, un parti créé en 2004 de la fusion de l’Alliance canadienne, un parti populiste de droite, avec le parti traditionnel de la droite, le Parti progressiste-conservateur.

Ces différences prennent leur source dans les intérêts des fractions de la classe dirigeante qui diffèrent selon les régions. Chaque parti trouve dans une région particulière le gros de son soutien électoral et cela a façonné la façon dont ils forment et manipulent les sentiments populaires. Les libéraux ont historiquement pris la posture d’un parti implantant à petites doses des réformes pour mieux lier politiquement la classe ouvrière aux objectifs et aux ambitions de la bourgeoisie canadienne.

Depuis plusieurs mois déjà, les conservateurs, qui ont des liens étroits bien connus avec l’industrie du pétrole et du gaz naturel de l’Alberta, ont lancé un blitz de propagande visant à dépeindre le tournant vert des libéraux, qui est la pièce maîtresse de leur programme électoral, comme de nouvelles taxes d’un gouvernement dépensier si ce n’est comme une mesure quasi-socialiste.

En fait, le point central du tournant vert, comme Dion ne cesse de l’expliquer, est de lier un programme pour limiter les émissions de gaz à effet de serre à un plan visant à accroître la compétitivité des grandes entreprises canadiennes afin qu’elles puissent être mieux positionnées contre les rivales étrangères dans la lutte pour les marchés et les profits.

« Lutter contre le réchauffement planétaire, peut-on lire dans le Tournant vert des libéraux, est une occasion que nous ne devons pas manquer, une occasion de moderniser notre économie, de rendre le Canada plus compétitif et mieux adapté au XXIe siècle. »

Au moyen de subventions gouvernementales visant l’adoption et le développement de technologies « vertes », en imposant une nouvelle taxe sur les émissions de carbone et en coupant dans les impôts et les taxes aux entreprises et aux particuliers, les libéraux cherchent à donner aux entreprises canadiennes « une des juridictions les plus compétitives au monde sur le plan fiscal » et à faire en sorte que les entreprises canadiennes soient des leaders mondiaux de la vente de technologies « vertes » et utilisent plus efficacement l’énergie, ce qui leur permettra de gagner des parts de marché à l’étranger et d’augmenter leurs profits.

Des think tanks comme le Conference Board du Canada et de puissants lobbys d’affaires comme le Conseil canadien des chefs d’entreprise, ont endossé l’idée d’une taxe sur le carbone et même dans certains cas les détails du plan proposé par le Parti libéral.

Mais il y a aussi eu plusieurs critiques face à un changement de stratégie aussi brusque, critiques que les conservateurs ont adoptées et amplifiées. Certains voient la taxe sur le carbone comme allant à l’encontre de la poussée de la bourgeoisie canadienne pour faire du Canada une « superpuissance de l’énergie » en exploitant les sables bitumineux de l’Alberta.

Une autre critique importante est que, si les compagnies canadiennes doivent payer une taxe du carbone, alors elles auront le dessous devant leurs compétiteurs de l’étranger qui n’ont pas les mêmes obligations.

En réponse à cet argument, les libéraux ont dit que des tarifs seront peut-être imposés sur les biens provenant de pays qui n’imposeraient pas leur propre taxe sur le carbone.

Finalement, les libéraux sont largement condamnés pour essayer de rendre leur plan plus acceptable aux sections à faibles revenus, qui devront porter le fardeau de l’augmentation des prix résultant de leur nouvelle taxe à la consommation en augmentant les crédits d’impôt pour les faibles revenus.

Une autre différence entre les libéraux et les conservateurs porte sur les plans conservateurs pour donner plus de pouvoirs aux gouvernements provinciaux. Les conservateurs voient la décentralisation comme un moyen de faire pression pour le démantèlement du système de santé public et d’autres services sociaux publics. Les libéraux, eux, expriment l’inquiétude de sections du Capital canadien qu’un « Etat fédéral affaibli » serait dans les faits incapable de défendre leurs intérêts sur la scène mondiale.

Les libéraux ont attaqué les conservateurs pour avoir aligné leur politique sur celle de l’administration Bush, comme lorsque Harper a soutenu sans réserves l’invasion du Liban par Israël en 2006. Mais l’augmentation des tensions entre les puissances impérialistes et la dépendance du Canada envers les Etats-Unis signifient que ces différences, comme le montre bien la question de l’Afghanistan, sont bien moins importantes qu’il n’y parait au premier abord. L’actuel chef-adjoint du Parti libéral, Michael Ignatieff, a été un des principaux représentants du libéralisme défendant l’invasion américaine de l’Irak.

Les médias de la grande entreprise appuient fortement la réélection des conservateurs. Cela s’exprime par la vénération médiatique de Harper en tant que dirigeant solide ainsi que par les efforts soutenus visant à le présenter lui, et ses conservateurs, comme des modérés, bien qu’il soit un idéologue néo-conservateur et que la base militante de son parti soit fortement constituée de conservateurs sociaux et religieux.

L’élite dirigeante est tout particulièrement partisane du gouvernement Harper en raison des changements apportés à la prise de position géopolitique du Canada et à l’adoption ouverte du militarisme, telles qu’exemplifiées par sa défense de l’intervention militaire canadienne en Afghanistan.

Mais étant donné l’instabilité de la situation économique et géopolitique mondiale et le manque palpable d’enthousiasme populaire pour l’un ou l’autre des principaux partis, il est possible que certaines sections de l’élite dirigeante changent leurs préférences avant l’élection du 14 octobre.

Les trois autres partis qui sont représentés à la Chambre des Communes — le social-démocrate Nouveau Parti démocratique (NPD), le Bloc québécois (BQ) indépendantiste et les Verts — tentent d’exploiter la désaffection populaire face aux principaux partis.

Le NPD en particulier peut à certaines occasions recourir à une rhétorique anti-patronale. Mais tous sont d’ardents défenseurs du système capitaliste.

Le NPD et les souverainistes québécois (du parti frère du BQ au Québec, le Parti québécois) ont implémenté des coupes massives dans les dépenses sociales, des lois antisyndicales et des programmes obligatoires de création d’emplois pour les chômeurs lorsqu’ils ont formé le gouvernement au niveau provincial.

Le Parti vert, dans un geste représentant ses aspirations à devenir un parti de l’establishment, a accepté dans ses rangs un transfuge libéral comme premier député et a procédé à un pacte électoral avec les libéraux.

La chose la plus significative dans la déclaration d’ouverture de campagne du chef du NPD, Jack Layton, est qu’il a évité toute mention de la guerre en Afghanistan ainsi que l’appel du parti pour le retrait des troupes de combat des FAC du pays de l’Asie centrale.

Layton a ouvertement proclamé son enthousiasme pour Barack Obama, le candidat présidentiel du Parti démocrate qui a fait appel au sentiment anti-guerre pour gagner la nomination et qui, depuis, s’est empressé de courtiser la droite pour démontrer à Wall Street qu’elle peut compter sur lui dans le but de défendre ses intérêts aux Etats-Unis et à l’étranger. En fait, Layton a cherché à imiter le discours insipide d’Obama sur des changements progressistes.

Ce qui est en cause n’est pas qu’un politicien de l’establishment sans imagination qui cherche une manœuvre pour gagner l’appui du public. Layton a cherché ouvertement à courtiser les libéraux et d’autres « progressistes. » Lors des élections de 2006, après que le NPD eut, pendant six mois, appuyé le gouvernement libéral minoritaire, Layton a demandé aux électeurs libéraux de « prêter leurs votes au NPD. » Récemment, Layton a recruté un ancien libéral de droite qui faisait partie du cabinet de ministre du Parti libéral du Québec, Thomas Mulcair. Peu après, Layton l’a désigné comme leader adjoint du parti.

(Article original anglais paru le 9 septembre 2008)

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