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La guerre en Géorgie : La LCR dans le sillage de la politique étrangère de Sarkozy

Par Peter Schwarz
15 septembre 2008

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On reconnait souvent la véritable orientation de classe d’un parti à la façon dont il réagit aux événements politiques, à sa capacité d’estimer les situations nouvelles et de fournir une orientation politique correcte. A en juger par la réaction de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) en France à la récente crise géorgienne, il est clair que les conceptions de ce parti en matière de politique étrangère correspondent en grande partie à celle de l’élite dirigeante du pays. 

La LCR, fondée en 1969, est en train de se muer en un « Nouveau parti anticapitaliste » (NPA). Elle présente ce parti comme une alternative socialiste aux partis politiques bourgeois et qui serait entièrement indépendante du Parti socialiste qui est lui, complètement discrédité. Mais sa réaction à la guerre en Géorgie ne se distingue que peu de celle du gouvernement français soutenue aussi par le Parti socialiste.  

Ce qui est à remarquer d’abord, c’est que la LCR accorde très peu d’importance à un événement qui domine pourtant l’actualité depuis des semaines et qui nous rapproche dangereusement d’un possible conflit armé entre la Russie et les Etats-Unis, deux puissances nucléaires. Sur leur site internet, qui prend position quotidiennement sur des questions sociales et politiques et qui informe des dernières interventions de son porte-parole, Olivier Besancenot, on ne trouve sur la guerre dans le Caucase qu’un bref communiqué d’une vingtaine de lignes. Et celui-ci est si bien caché qu’on ne peut le trouver qu’à l’aide d’une recherche. 

Par son contenu, la prise de position de la LCR se fait l’écho de l’attitude adoptée par les gouvernements européens, qui s’inquiètent de l’éclatement d’hostilités dans le Caucase et soutiennent le président français Sarkozy qui, en sa qualité de président du Conseil de l’Union européenne, a négocié un cessez-le-feu. Comme Sarkozy et l’Union européenne, elle prend l’attitude de celui qui est au-dessus des partis et veut la paix et elle présente sous les couleurs les plus favorables le rôle joué par ces derniers.

A la manière de Salomon, elle déclare : « Mais les raisons de ce conflit sont multiples et les torts partagés » et déclare tous les protagonistes responsables au même degré.

Elle écrit, avec compréhension, à propos de l’attaque de l’Ossétie du Sud par la Géorgie ayant déclenché la guerre : « L’offensive, probablement mal calculée, lancée par les responsables géorgiens est motivée à la fois par la volonté de faire respecter l’intégrité territoriale d’un Etat aux contours contestés et celle de se s’affirmer politiquement et militairement face au voisin russe. »

La LCR reproche aux dirigeants russes de vouloir « montrer à l’UE et aux Etats-Unis qu’ils sont de retour comme force impérialiste de premier plan, qu’ils revendiquent le rôle de gendarme régional et que l’entrée dans l’OTAN de plusieurs pays et régions anciennement membres du Pacte de Varsovie constitue à leurs yeux une menace. »

Et quant à la responsabilité de l’OTAN, elle écrit avec mansuétude : « De ce point de vue, la responsabilité des dirigeants occidentaux est engagée, eux qui font le choix d’élargir l’OTAN, organisation à laquelle la Géorgie entend adhérer. »

Finalement, la LCR dit des dirigeants russes et géorgiens qu’ils présentent de fortes similitudes : « Les deux sont ultranationalistes, autoritaires et militaristes et la majorité de la population de ces pays n’a rien à gagner dans un tel conflit. »

Le communiqué se termine sur un appel général à la fraternité des peuples : « Par-delà les frontières, les intérêts du monde du travail sont partout les mêmes. La fraternité doit s’imposer, ce qui passe par le respect du droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes… Tout cela rend nécessaire la construction d’un mouvement de solidarité internationale entre les peuples. »

Ce genre d’appel à la compréhension entre les peuples est, au fond, pacifiste, et tout à fait compatible avec la politique étrangère de Sarkozy et de son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner.

La LCR escamote toutes les questions essentielles : les conséquences catastrophiques de la dissolution de l’Union soviétique, provoquant une nouvelle éruption de conflits nationaux, manipulés et exploités par les grandes puissances ; la marche agressive de l’impérialisme américain et européen vers les réserves de gaz naturel et de pétrole de la mer Caspienne et de l’Asie centrale et l’encerclement militaire de la Russie qui l’accompagne ; la responsabilité des Etats-Unis et de leur marionnette géorgienne, Saakachvili qui ont provoqué cette guerre par l’attaque nocturne de la capitale de l’Ossétie du Sud ; et finalement, la complicité de la France, de l’Allemagne et des autres puissances européennes qui défendent leurs propres intérêts stratégiques dans la région et qui, malgré leurs différences tactiques, ont nettement pris parti pour les Etats-Unis.

Le régime russe de Poutine et Medvedev ne mérite évidemment ni confiance ni soutien. Ce régime représente les intérêts de la classe dirigeante des nouveaux riches qui a détruit et pillé l’Union soviétique et qui réprime la classe ouvrière. Mais en gommant les causes de la guerre dans le Caucase, en faisant partager la responsabilité de celle-ci de façon égale à tous, et en accompagnant cela d’appels généraux à la fraternisation des peuples, la LCR désarme la classe ouvrière face aux énormes dangers qui la menace de la part de la politique agressive de l’impérialisme américain et européen. Elle donne de la crédibilité à la politique du gouvernement français, qui cache, lui aussi, ses desseins impérialistes derrière des généralités sur la paix, la fraternité des peuples et l’autodétermination.

Ce n’est pas la première fois que la politique étrangère de Sarkozy jouit du soutien de la LCR. La séparation du Kosovo de la Serbie que le ministre des Affaires étrangères français Kouchner avait fait avancer de façon déterminante, avait été soutenue sans réserve par la LCR.

Kouchner est d’ailleurs une vielle connaissance du fondateur de la LCR, Alain Krivine. Dans les années 1960, tous deux se trouvaient à la direction du CVN (Comité Vietnam national). Kouchner a plus tard rejoint le Parti socialiste et après le succès électoral de Sarkozy, il est passé dans le camp de celui-ci. Krivine est lui, resté jusqu'à aujourd’hui un dirigeant déterminant de la LCR.

Balkanisation du Caucase

Le communiqué de la LCR porte la date du 12 août — cinq jours après l’attaque de Tskhinvali par la Géorgie. Voilà près d’un mois qu’elle ne s’est pas exprimée sur le conflit géorgien, bien que les événements se soient précipités et que la présidence française de l’Union européenne y ait joué un rôle extrêmement actif. Ce silence est, lui aussi, une forme de complicité.

Seule l’édition du 4 septembre de Rouge, le journal de la LCR (qui ne paraît pas au mois d’août), contient un autre bref article sur le conflit caucasien, qui n’est pas de sa rédaction, mais consiste en extraits d’une prise de position du groupe russe Vpered (En avant).

Vpered décrit la guerre dans le Caucase comme un conflit entre deux blocs impérialistes et met la Russie et les Etats-Unis sur le même plan. S’efforçant de toute évidence de prendre ses distances vis-à-vis du régime de Poutine, ce groupe écrit : « Nous refusons toute solidarité avec l’impérialisme russe, ainsi que tout soutien à l’État de Poutine et Medvedev. »

Vpered se dit en même temps « partisan[s] d’une solidarité entière et inconditionnelle avec le peuple ossète » et dit soutenir « le droit de l’Ossétie du Sud à l’autodétermination, jusqu’à la séparation de la Géorgie et à la création d’un État indépendant ou à l’unification avec l’Ossétie du Nord, comme composante de la Fédération de Russie ».

La position de Vpered souffre d’une contradiction insoluble, car elle confie la protection des Ossètes à ce régime russe même vis-à-vis duquel elle prend ses distances. L’article dit : « Ainsi, le rapport de force concret à l’échelle internationale — ainsi que la grande faiblesse du mouvement ouvrier international et géorgien — fait qu’aujourd’hui la population d’Ossétie n’a pas d’autres défenseurs que les armées de la Russie impérialiste. »

L’édition de septembre du magazine en anglais du Secrétariat unifié dont fait partie la LCR, International Viewpoint, contient également deux articles sur le conflit caucasien : le texte déjà cité de Vpered et un article rédigé par le magazine britannique Socialist Resistance.

Ce dernier qualifie lui aussi le conflit du Caucase de « guerre impérialiste opposant les impérialismes russe et américain, la Géorgie étant le représentant des Etats-Unis » ; il donne cependant aux Etats-Unis une responsabilité nettement plus grande que ne le fait Vpered.

Mais les deux articles se rejoignent dans leurs conclusions. Vpered et Socialist Resistance se déclarent sans réserve en faveur du principe de l’autodétermination nationale, soutenant « inconditionnellement le combat des Ossètes pour l’autodétermination », comme le dit Vpered.

Une réalisation conséquente de ce principe aurait pour résultat la balkanisation totale du Caucase, sa division en innombrables petits Etats à base ethnique et en conflit perpétuel à propos de leurs frontières, réprimant et pourchassant les minorités ethniques et devenant — étant donné qu’ils ne sont pas viables dans une économie mondialisée — le jouet des grandes puissances. Elle déclencherait un scénario terrible semblable à celui qui se déroule dans les Balkans depuis la dissolution de la Yougoslavie et tel qu’on l’observe dans une partie du Caucase. 

Les marxistes défendent depuis longtemps le point de vue que la solution de la question nationale est inséparable de la révolution socialiste. Ce n’est qu’une fédération socialiste qui puisse garantir une existence pacifique et équitable des nombreuses nationalités vivant dans le Caucase.

La Révolution d’octobre a fourni une telle solution, qui fut cependant vite sabotée par le chauvinisme grand-russe de la bureaucratie stalinienne montante. Déjà Lénine s’était, peu avant sa mort, brouillé avec Staline à propos de la question géorgienne. Avec la dissolution de l’Union soviétique, les conflits nationaux se sont enflammés et furent utilisés par les puissances impérialistes pour pénétrer dans le Caucase et en Asie centrale.

Il est révélateur que la LCR et ses amis politiques au plan international ne prennent même pas en considération une solution socialiste ni ne font référence à l’expérience de l’Union soviétique. Cela en dit long sur leur orientation sociale. L’insistance sur la formation d’un Etat à soi est devenue la marque de fabrique des éléments petits bourgeois qui aspirent à l’ascension sociale et à une relation privilégiée avec les puissances impérialistes.

(Article original publié le 11 septembre 2008)

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